Quand soumettre un litige stratégique?

Comme pour beaucoup d’autres décisions, le choix du moment peut être un élément déterminant pour le succès du litige stratégique. Ce chapitre examine le meilleur moment pour introduire une affaire, les facteurs qui influencent cette décision, à quel moment on peut attendre les résultats, et quel échéancier pourra être suivi. 

1. Quel est le meilleur moment pour introduire un litige stratégique?

Examiner ses options

Toutes les affaires ne sont pas nécessairement vouées à être déposées sous forme de litige stratégique, et il n'est pas toujours nécessaire d'engager un procès pour atteindre son objectif ou servir sa cause. En général, un litige peut s'avérer être une procédure longue et coûteuse. Dans certains cas, il est raisonnable de garder le choix du dépôt d'une plainte pour les cas où certaines personnes ou gouvernements se sont avérés résistants à toute autre forme de changement. Il y a beaucoup de facteurs à prendre en compte lorsqu'on décide d'engager or non des poursuites :

  • Y-a-t-il une problématique juridique sous-jacente qui illustre ou se rapporte à un problème social ou de société plus large ?
  • Est-ce qu'une décision de justice est à même de remédier au problème? La décision du tribunal peut-elle avoir un effet étendu?
  • Votre cause et la problématique principale de l'affaire sont-elles faciles à comprendre pour les médias et le public ? Quel est le potentiel de couverture médiatique ?
  • Existe- il d'autres méthodes pour atteindre votre objectif? Si tel est le cas, comment se comparent-elles au litige stratégique en termes d'efficacité?
  • Est-ce que les tribunaux de la juridiction dans laquelle vous allez déposer l'affaire sont indépendants des autres branches du gouvernement, respectés et réceptifs à la fois à votre cause et aux litiges stratégiques en général?

Evaluer son affaire

Parce qu'un litige peut nécessiter beaucoup de ressources, il est préferable, avant d'engager la procédure, d'évaluer, de faire des recherches et d'enquêter sur votre affaire et sur les revendications que vous voulez soumettre. Il faut examiner en profondeur les faits, les preuves, les revendications elles-mêmes et la juridiction dans laquelle vous pensez engager votre réclamation. Vous pouvez en particulier vous demander :

  • Quelles sont les lois qui correspondent à vos revendications? Sont-elles généralement appliquées? Quel degré de clarté ont ces lois? Sont-elles écrites clairement? Sont-elles interprétées clairement? Sont-elles appliquées clairement?
    • Veuillez noter qu'il est généralement plus facile de travailler avec et de baser sa revendication sur des lois claires. Au contraire, les lois peu claires offrent plus d'opportunités de créer un précédent nouveau et innovant, mais avec plus de risques.
  • A quel point vos revendications juridiques sont-elles solides ? Comment seront-elles regardées par les tribunaux et le système juridique ? Quel sera leur degré de popularité parmi la communauté locale, régionale et nationale ?
  • Quelle est la probabilité de recevoir une décision favorable des tribunaux ?
  • Le tribunal serait-il capable et disposé à fournir des réparations innovantes et non-traditionnelles à votre affaire?
    • Dans certaines juridictions, les tribunaux peuvent ordonner à une personne, un gouvernement ou à une organisation poursuivie en justice non seulement de ne plus causer de dommages, mais également de travailler activement à remédier aux dommages déjà causés et à éviter que cela ne se reproduise dans le futur. Ces organismes seront peut-être amenés à inventer et à mettre en place de nouveaux systèmes et mécanismes pour protéger les droits, fournir des soins ou prévenir des abus.
  • Le succès de votre affaire pourrait-il engendrer des réactions violentes ou, des réactions ou répercussions politiques ? Et si elle était infructueuse ?
  • Est-ce que la théorie supportant votre dossier est claire, simple et facile à comprendre? Si vous deviez avoir gain de cause, le remède que vous demandez est-il clair, simple et facile à exécuter ?
  • Existe-t-il un autre groupe ou une organisation qui serait plus à même de se charger de votre affaire ?

Exemples:

  1. Inde: M.C. Mehta c. État du Tamil Nadu et autres. Dans ce cas, la militante indienne M.C. Mehta a poursuivi l'Etat du Tamil Nadu pour améliorer les conditions de travail pour les enfants et pour offrir aux enfants libérés du travail dangereux l'accès à une éducation.
  2. Paraguay: Niños en con conflicto la ley: Instituto de Reeducación del Menor c. Paraguay. Dans une affaire concernant un centre de détention de mineurs surpeuplés au Paraguay, la Cour interaméricaine des droits de l'homme a établi des normes minimales de soins pour les jeunes en conflit avec la loi en détention par l'État.

Considérations sur le droit international

Si votre plainte concerne le droit international relatif aux droits de l'homme ou le droit international en général, il serait bon de regarder comment le droit international interagit avec la juridiction dans laquelle vous prévoyez de déposez votre affaire.
Voir le guide sur les Nations Unies et les mécanismes internationaux pour les droits de l'homme.

Une des meilleures façons de le faire est de s'intéresser à la manière dont le gouvernement applique les lois nationales et internationales existantes. Si l'application des lois existantes a été arbitraire ou inconsistante, cela peut renforcer votre affaire et fournir une opportunité pour donner une orientation aux autorités et tribunaux locaux.Vous pouvez vous demander :

  • Comment le gouvernement et les tribunaux nationaux interprètent leur propres normes de droits civils, politiques et humains? Est-ce en ligne avec la façon dont la communauté internationale interprète ces normes?
    • Si les normes n'ont pas été clairement établies, il y a peut-être une opportunité par le biais d'un litige stratégique de travailler avec les gouvernements et les tribunaux pour déterminer quelles devraient être les meilleures pratiques.
  • Les représentants et autorités gouvernementaux locaux et nationaux bénéficient-ils du conseil des tribunaux sur la façon dont ils peuvent respecter et appliquer les normes internationales relatives aux droits humains ?
  • Il y a t-il raison de croire que le gouvernement ne se conforme pas entièrement aux normes internationales ou à ses propres normes nationales? Dans ce cas, peut-on établir qu'il est posible de contester ceci en justice?

Consultez les lois internationales, régionales et nationales relatives aux droits des enfants par pays dans notre base de données juridiques.

La Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant (CDE) : La Convention accorde une panoplie de droits de l'homme aux enfants et a été approuvée dans tous les pays sauf les États-Unis et le Soudan du Sud. Le Protocole facultatif établissant une procédure de communications (OP3) permet de soumettre au Comité des droits de l'enfant des plaintes concernant des violations des droits protégés par la Convention contre n'importe quel Etat ayant ratifié le Protocole. La convention est également une source  de droit précieuse pour les tribunaux nationaux et régionaux. Bien que les tribunaux réagissent à la CDE de manières très différentes et certains peuvent être plus réceptifs que d'autres aux droits internationaux des enfants, il est certainement utile de réfléchir à la Convention au moment de formuler vos revendications.

Texte complet de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.

Recherchez des litiges internationaux, régionaux et nationaux qui citent la Convention dans notre base de données juridiques.

Vérifiez si votre pays a ratifié l'OP3.

Consultez notre guide sur le mécanisme de plaintes du Comité des droits de l'enfant.

Preuves

Fournir des pièces et des preuves pour appuyer votre affaire est crucial. Sans preuve soutenant vos revendications, vous aurez une route ardue devant vous et des difficultés pour gagner devant les tribunaux. Il est également important de savoir que bien qu'on puisse apprendre beaucoup de choses dans l'évaluation, la recherche et l'enquête, il subsiste une chance que le tribunal n'accepte pas toutes vos informations comme preuves lors de l'examen de l'affaire.

Règles en matière de preuves : Il est important de vérifier les règles de preuves de la juridiction pertinente. En particulier, comme beaucoup de plaintes engagées en litige stratégique ne sont pas conventionnelles et peuvent s'avérer difficiles à prouver, il est important de déterminer les règles pour la soumission de preuves moins courantes, telles que les études sociologiques et de terrain.

Les experts : Les experts peuvent être très importants pour fournir et analyser les preuves. Dans beaucoup de juridictions, les experts compétents dans un domaine particulier peuvent exprimer leur opinion à la cour d'une façon que les avocats et autres représentants ne peuvent pas le faire. Pour cette raison, cela vaut la peine de voir si des témoins experts réputés et fiables ou des consultants seraient prêts à participer à votre affaire.

Les enfants et les preuves : Dans de nombreuses juridictions, les tribunaux peuvent être méfiants ou réticents à accepter le témoignage des enfants. Dans la mesure du possible, vous devriez essayer de comprendre s'il existe des règles particulières, procédures ou pratiques au sein de la juridiction concernée pour faire face aux preuves produites ou présentées par des enfants. Si vous craignez que la Cour ne prenne pas au sérieux le témoignage des enfants, vous pouvez aussi envisager de faire appel à des adultes qui ont une connaissance personnelle de la preuve sur laquelle vous travaillez.

Consultez la page du projet sur l'accès des enfants à la justice pour connaître les règles qui s'appliquent concernant le témoignage d'enfants dans votre juridiction.

Les ressources

Quand on envisage d'introduire un litige stratégique, les ressources sont décisives. Un litige peut durer des années, même des dizaines d'années, et les ressources doivent être disponibles pour soutenir votre équipe de juristes et financer totalement toutes les activités nécessaires pour continuer l'affaire. Etant donné le résultat incertain durant toutes les étapes du litige, il est nécessaire de penser au long terme et s'assurer d'avoir envisagé tous les scénarios catastrophes.

2. Quels sont les échéances à respecter et les délais auxquels s'attendre ?

Les délais de prescription

Un délai de prescription est une loi qui détermine la limite dans le temps pour intenter un procès.

Chaque type de plainte ou de procès a en général un délai de prescription différent. Il est dès lors important de connaître la nature des plaintes que l'on veut déposer de façon à déterminer combien de temps il reste pour les déposer devant la cour. Il est également nécessaire de vérifier les statuts de limitation ou le délai de prescription de la juridiction dans laquelle on compte déposer son affaire. A cause des statuts de limitation ou du délai de prescription, trouver la meilleure affaire pour servir votre cause ou objectif par le biais du litige stratégique peut s'avérer difficile. Il est conseillé de faire des recherches sur les délais à respecter dès que vous pensez que le litige stratégique est une stratégie intéressante à poursuivre.

Point de départ du délai : Le délai commence généralement à courir dès que les faits que l'on veut poursuivre se sont déroulées, bien que dans certains cas il existe des prolongements spéciaux. Ces prolongements impliquent souvent des affaires dans lesquelles la partie lésée n'était pas au courant du dommage infligé au moment où il se produisait, comme par exemple dans les cas de fraude ou d'exposition à des substances toxiques et dangereuses. Dans ces cas là, le délai peut courir à partir du moment où la partie lésée devient consciente du dommage causé.

Arrêter l'horloge : "Suspendre" le délai de prescription signifie que le délai a cessé de courir. Le délai peut cesser de courir pour plusieurs raisons, notamment, si la personne lésée est temporairement handicapée, ou encore si la personne mise en cause fait face à d'autres poursuites.

Arrêter l'horloge pour les enfants : Dans de nombreux pays, l'horloge peut même ne pas commencer à courir pour les enfants jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de la majorité. Cela préserve les revendications juridiques des enfants, et peut signifier que les jeunes adultes dans certains pays peuvent toujours intenter des poursuites relatives aux droits des enfants. Cependant, de nombreux pays suspendent le délai de prescription jusqu'à l'âge adulte parce qu'ils ne permettent pas aux enfants d'apporter un litige en justice. Si tel est le cas, il ne sera pas possible de travailler avec les enfants pour qu'ils portent eux-mêmes une affaire.

Consultez la page du projet sur l'accès des enfants à la justice pour en savoir plus sur les délais de prescription dans votre juridiction.

Appels

En cas de non-succès de l'affaire devant un tribunal de première instance ou devant une autre procédure judiciaire, vous pourrez peut-être contester cet échec en demandant à une cour d'appel d'examiner sur votre affaire. Cependant, il est probable que si vous arrivez en appel, il y aura un temps limite pour demander à la cour de plus haute instance d'examiner la décision ou l'ordre du tribunal de première instance.
Au moment d'introduire une affaire, il est nécessaire de regarder si un appel est garanti, s'il est possible mais pas automatique, ou bien si la décision de la cour sera finale. Si vous avez la possibilité de faire appel, prenez note de la date limite pour commencer la procédure, qui vous devrez en général initier par une requête légale ou par une autre forme de notification auprès du tribunal. Quelques juridictions permettrent parfois d'étendre le délai. Cependant, il est raisonnable de vérifier cela, car les délais supplémentaires ne sont pas automatiques.

Consultez la page du projet sur l'accès des enfants à la justice pour en savoir plus sur les voies d'appel dans votre juridiction.

Exhaustion des voies de recours

Pour qu'une affaire soit entendue par un tribunal international ou une cour nationale de plus grande instance, il faut avoir épuisé toutes les voies de recours. Cela signifie qu'il faut utiliser toutes les autres voies juridiques disponibles avant que l'affaire soit entendue par un nouveau tribunal.

En ce qui concerne les tribunaux internationaux, il se peut que vous soyez tenus de passer devant les tribunaux nationaux de la juridiction dans laquelle vous comptez engager des poursuites jusqu'à ce qu'il ne soit plus possible de faire appel. Ensuite, il peut y avoir une échéance pour déposer l'affaire devant une plus haute cour, sans quoi la décision du dernier tribunal restera valable. Beaucoup de tribunaux internationaux fixent cette limite à six mois.

Exceptions : Il peut y avoir des exceptions à la fois pour l'extinction des voies de recours et pour toutes autres limites de temps établies. Par exemple, si vous arrivez à prouver que les tribunaux de la juridiction dans laquelle vous comptez déposer votre plainte sont corrompus, vous ne serez pas obligés de poursuivre un recours devant ces tribunaux. Ou alors, si vous pouvez démontrer que vous ne pouviez pas introduire votre affaire dans le délai imparti, vous aurez peut-être droit à un délai supplémentaire.

A quels délais peut-on s'attendre?

Parce que le litige stratégique implique nécessairement d'autres personnes, organisations ou gouvernements et doit être supervisé par une instance judicaire, il est souvent difficile de prédire le temps qu'il faut pour obtenir une décision finale. Un certain nombre de facteurs peuvent influencer la durée d'une affaire judiciaire, mais en général la durée du litige augmente avec la complexité de l'affaire, le nombre de parties  impliquées, le manque de coopération des parties et la charge de travail de la cour. Dans certains cas, cela peut prendre des années, ou encore des dizaines d'années pour avoir une décision finale. Cela peut aussi varier entre juridictions et à l'intérieur même des juridictions.

Avant d'introduire un dossier, il est important d'estimer, autant que possible, le temps que prendra l'affaire. Bien qu'il soit impossible de savoir exactement quand vous aurez une décision, vous pouvez obtenir une fourchette de délais dans lesquels vous pouvez espérer avoir des nouvelles de la cour. Avec l'aide de cette fourchette, vous pouvez prévoir du temps et des ressources de manière appropriée et fixer les attentes de toutes les parties impliquées.

Mesures provisionnelles : Dans certaines cours ou tribunaux, il est possible d'appliquer des mesures provisionnelles, aussi appelées mesures provisoires, injonctions provisoires et injonctions préliminaires. Les mesures provisionnelles sont conçues pour éviter plus de tort aux parties pendant que l'affaire est en suspens de façon à ce que la cour ou le tribunal puisse ordonner aux prévenus d'arrêter certaines actions au début de l'affaire ou pour éviter qu'une loi ou une politique potentiellement dangereuse entre en vigueur. Une fois le verdict prononcé, les mesures provisionnelles peuvent devenir permanentes, être modifiées ou levées entièrement.

Les enfant et la durée de l'engagement : Si vous travaillez avec les jeunes clients, il est particulièrement important d'être clair sur le temps que cela peut prendre avant d'obtenir une réponse définitive de la cour et l'imprévisibilité des choses en cours de route. En outre garder à l'esprit que les enfants ont souvent des obligations et des horaires différents qui changent d'année en année, de sorte qu'il peut être difficile pour eux de faire le genre d'engagement à long terme que le litige stratégique exige. Pour cette raison, toutefois, les tribunaux dans certains pays sont en mesure d'accélérer certains types de litiges impliquant des enfants, en particulier ceux qui portent sur des questions familiale ou des allégations d'abus et de négligence. Si vous êtes préoccupé par la durée d'une affaire à laquelle vous espérez faire participer les enfants, il peut être intéressant de vérifier si il ya des règles ou des pratiques dans la juridiction dans laquelle vous espérez intenter l'affaire qui permettrait d'atteindre une résolution plus rapide.