Intenter un procès peut s’avérer plus difficile que de simplement se rendre tribunal local. En ce qui concerne un litige stratégique, le choix du tribunal a un énorme impact sur les chances de réussite et sur les résultats pouvant être obtenus. Au moment de votre recherche, vous serez surpris par le nombre d'options possibles. Ce chapitre vous donnera des conseils quant au lieu où déposer une plainte et selon les options disponibles, où il est plus approprié de déposer sa plainte.
1. Où peut-on engager des poursuites?
Examiner les lois juridictionnelles. La première étape implique de déterminer où déposer son affaire. Il faut repérer et examiner les lois, règles et pratiques locales, régionales, nationales et internationales pertinentes qui établissent qui peut engager des poursuites, quand les commencer et ce que cela implique.
Vous devrez trouver où votre plainte peut rencontrer les critères minimaux pour intenter un procès; soyez créatif et sensé quand vous commencez votre recherche et vous serez surpris de toutes les options se présentant à vous.
La juridiction
Si vous intenter votre procès dans un tribunal local, régional ou national, cet endroit s’appelle la juridiction. Les différentes juridictions ont des règles différentes, notamment par rapport à qui peut déposer une plainte, et à quel moment. Il peut y avoir des conditions de résidence, de nationalité etc. Les lois et règles qui gouvernent votre juridiction s’avéreront particulièrement importantes pour le résultat de votre affaire. Parfois, une juridiction peut consulter ou appliquer les lois d’une autre juridiction quand cela lui est demandé, mais peut également le faire de sa propre initiative et selon son propre point de vue.
Les mécanismes internationaux
Si vous déposez votre affaire dans un organisme international, ils peuvent appliquer les règles et les lois d’une juridiction particulière. Mais pour déterminer si vous avez le droit d’engager des poursuites, vous trouverez certainement votre réponse dans les règles de la cour ou du tribunal. Si vous choisissez de soumettre votre affaire à un organisme international, soyez sûrs de penser à comment l’affaire peut interagir avec les autres efforts locaux, régionaux, nationaux et internationaux.
Plus d’informations sur les mécanismes internationaux des droits de l’homme.
Voir aussi : Comment soumettre une plainte auprès des Nations Unies ?
2. Où devriez-vous soumettre son affaire?
Options générales
Au moment de déposer votre affaire, il ne suffit pas de penser à l’endroit où la déposer. Les premières juridictions à considérer sont celles où les requérants habitent, où les accusés habitent et où les faits ou violations se sont déroulées. Cependant, ce ne sont pas là vos uniques possibilités – il y a à la fois des tribunaux internationaux et des cours nationales dans d’autres juridictions qui voudront peut-être entendre l’affaire. Après avoir rassemblé toutes ses options, il peut s’avérer utile de rechercher les juridictions, cours, tribunaux et autres organismes judiciaires avant de faire votre choix. Voici une liste générale des endroits à prendre en considération pour le dépôt d’une affaire :
- Cours et tribunaux municipaux, locaux ou régionaux;
- Cours et tribunaux nationaux;
- Cours, tribunaux ou commissions internationales (voir notre guide sur les l’ONU et les mécanismes internationaux des droits de l’homme ; et
- Organes des Nations-Unies.
Juges et professionnels du droit
L’indépendance et l’intégrité des juges et juristes travaillant dans la juridiction sont cruciaux pour votre succès. De façon à s’assurer que votre affaire à une vraie chance, les juges, les avocats et tout le personnel judiciaire et juridique doivent disposer des moyens, des opportunités et du soutien nécessaire pour bien faire leur travail.
Juges. Comme les juges et les employés de la cour vont superviser et écrire les arrêts et décisions relatifs à l’affaire, vous avez intérêt à rechercher un système où la magistrature est compétente, bien formée, indépendante et impartiale. Etant donné la nature progressiste du litige stratégique, vous favoriserez peut-être des juges plus dynamiques.
Si les juges d’une juridiction particulière sont connus pour leur partialité ou leur caractère influençable, l’objectif de votre affaire peut ne pas être de gagner mais de mettre en évidence la corruption et d’en informer la communauté internationale.
Exemple :
- Guatemala : Affaire déposée devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme par deux ONG contre des juges qui accéléraient des procédures d’adoption en échange de pots-de-vin. Plus d’informations sur l’affaire (en espagnol).
Avocats. Les avocats sont des acteurs cruciaux pour gagner une affaire car ce sont eux qui plaident dans la salle d’audience au nom des requérants. Pour être efficaces, les avocats doivent être capables de travailler sans être menacés, intimidés, persécutés ou faire face à d’autres interférences. Ils doivent être capables de voyager librement pour rencontrer leurs clients, les experts, les consultants et toutes autres personnes impliquées dans l’affaire à la fois au niveau national et international. S’ils agissent dans le cadre des codes de conduite éthique ou professionnelle d’une juridiction ou d’un tribunal, ils doivent pouvoir compter sur ces codes et savoir qu’ils ne seront pas sanctionnés ou autrement punis pour leur comportement en relation avec l’affaire.
Systèmes juridiques
Parce qu’il existe différents systèmes juridiques, l’impact que votre affaire peut avoir sur les lois de ces juridictions varie grandement. Les trois systèmes juridiques principaux dans le monde sont le droit commun, le droit civil et le droit religieux. Il faut déterminer quel système chaque juridiction éventuelle a adopté et savoir quel impact aura ce système sur votre affaire. Vous pouvez également faire des recherches sur la manière dont les lois ou les traités internationaux interagissent avec les systèmes juridiques de la juridiction en question.
Systèmes de droit commun. Certaines juridictions, en particulier celles du Royaume-Uni et des anciennes colonies britanniques opèrent selon le système du droit commun. Dans les juridictions de droit commun, la loi est déterminée non seulement par les lois écrites mais également par les décisions de la cour. Lorsqu’un juge examine une affaire, il ou elle prendra en compte les statuts, les régulations, les conseils, les codes et autres lois écrites que vous lui soumettez, mais également toutes les décisions passées pouvant se rapporter à votre affaire. Dans les systèmes de droit commun, le précédent – l’ensemble de toutes les décisions passées, la jurisprudence – joue un rôle plus grand que dans les autres systèmes juridiques.
Systèmes de droit civil. Le droit civil est le système juridique le plus répandu et est en vigueur dans la plupart des pays d’Europe continentale et dans les anciennes colonies européennes. Le droit civil s’appuie beaucoup plus sur des codes écrits que le droit commun. Par conséquent, la jurisprudence joue un rôle réduit et les juges vont généralement donner moins d’importance aux décisions passées dans les juridictions de droit civil. Ainsi, même si votre affaire peut avoir un impact important sur la vie des requérants, cela ne va pas nécessairement changer beaucoup la façon dont les tribunaux regardent la loi en général ou lors d’affaires similaires dans le futur.
Systèmes de droit religieux. Dans les systèmes juridiques religieux, les doctrines ou textes religieux ont un rôle primordial dans la manière de façonner, interpréter et appliquer les lois de la juridiction. L’importance des décisions de la cour et de la jurisprudence variera en fonction de la religion dominante et du système juridique précis en vigueur, mais les juges dans beaucoup de juridictions donnent au moins un certain poids à la fois aux décisions précédentes et aux opinions de juristes religieux respectés.
Droit international - systèmes monistes et dualistes
En général, les juridictions voient les traités et accords internationaux de deux manières. Dans ce qu’on appelle les systèmes monistes, les lois et accords internationaux peuvent être mis en application directement par les autorités nationales et dans les tribunaux nationaux une fois que le traité ou l’accord a été ratifié et est entré en vigueur. Dans les systèmes dualistes, cependant, les traités ou accords ne peuvent être mis en application par les autorités ou dans les tribunaux que lorsqu’une loi nationale a été passée pour incorporer les principes contenus par ces traités ou accords. A cause de cela, si votre procès implique des questions internationales, il sera plus simple d’engager votre affaire dans un système moniste, une juridiction qui appliquera le langage clair du traité ou de la convention même.
Convention relative aux droits de l’enfant. Bien que la CDE soit en vigueur pratiquement partout dans le monde, cela recouvre des réalités différentes selon les juridictions. Dans certains pays, les enfants bénéficient de tous les droits contenus dans la Convention et peuvent être habilités à contester les violations de ces droits. Dans d’autres pays, la Convention est une simple source d’inspiration, et n’est pas directement exécutoire dans une cour de justice. Cependant, même lorsqu’elle n’est pas applicable de plein droit, la CDE peut être un outil utile pour examiner les requêtes se rapportant aux droits des enfants.
Voir comment la CDE est incorporée dans les différentes juridictions grâce à notre projet sur l’accès des enfants à la justice.
Pour des exemples de jurisprudence citant la Convention, visitez notre base de données juridiques.
Lois et jurisprudence
Différentes cours, y compris dans une même juridiction, peuvent avoir des lois, règles et procédures très différentes. Elles vont se baser sur des précédents différents en analysant vos réclamations et la loi elle-même. Dès lors, il est bon de vérifier quelles sont les vues et les prédispositions probables de chaque cour ou tribunal l’égard de votre affaire. Pour commencer, il faut regarder si la cour ou le tribunal où vous espérez déposer votre affaire a déjà traité des affaires similaires ou un litige stratégique en général. Si ce n’est pas le cas, vous devrez essayer de découvrir si les juges et les cours ont un rôle actif dans la supervision des affaires et quelles sont leurs tendances générales. Les tribunaux et juridictions plus conservatrices seront peut-être moins ouvertes aux réclamations innovatrices ou aux litiges activistes innovants.
- Si lors de votre recherche vous découvrez qu’une cour ou un tribunal est en train d’examiner une affaire sur un sujet similaire au vôtre, vous pouvez envisager de contacter les avocats travaillant sur cette affaire pour coopérer et réunir vos ressources. Vous pourrez peut-être également déposer votre propre affaire et demander à la cour ou au tribunal de considérer d’examiner les deux affaires en même temps.
Réparations et impact
En fonction de la cour où l’on dépose son affaire, les remèdes que l’on peut obtenir sont parfois également très différents. Certaines cours ne pourront ou ne voudront que donner d’argent, alors que d’autres auront plus de pouvoirs. De la même manière, l’impact de votre succès ou de votre échec sera dramatiquement plus fort ou plus faible en fonction de la cour ou du tribunal qui rend l’arrêt ou la décision.
En règle générale, plus la cour ou le tribunal est une instance haute placée, plus large et plus fort sera l’impact. Vous favoriserez peut-être la cour dont les jugements ont le plus d’influence au niveau national et international.
Appels. L’accès aux cours supérieures peut être partiellement ou entièrement réservé aux appels, c’est-à-dire aux affaires pour lesquelles un tribunal de première instance a déjà pris une décision et la partie perdante a demandé à une cour de plus haute instance de revoir cette décision. Un appel peut être capital dans un litige stratégique, à la fois pour s’assurer que votre affaire sera entendue de manière juste et pour accéder à une cour plus haute et plus éminente pour élever le profil de l’affaire et avoir un plus grand impact. Il faut s’assurer cependant de faire des recherches sur la procédure d’appel de la juridiction dans laquelle vous voulez déposer votre affaire et déterminer dans quelles cours vous pouvez faire appel d’une décision (y compris les tribunaux internationaux applicables), ainsi que la durée de la procédure à chaque étape ou niveau.
Timing. L’impact de votre affaire et l’efficacité des remèdes que la cour peut offrir dépendront également du timing. Si les torts faits à vos clients continuent, vous voudriez sans doute une résolution rapide pour assurer leur sécurité et éviter que plus de torts ne soient commis. Si au contraire les dommages ont déjà été causés, le timing est moins important, et la cour ne pourra sans doute pas offrir plus qu’une compensation financière. Cependant, une victoire rapide peut donner une impulsion et un soutien pour votre cause, et vous aider à poser les fondations pour que d’autres affaires réussissent.
Les enfants et les échéances. Lorsque vous travaillez avec des requérants mineurs, gardez à l'esprit que les enfants fonctionnent parfois avec une perception différente du temps et peuvent s'attendre à une résolution plus rapide que ce qui est possible dans le système judiciaire ou pour le type de plainte que vous soumettez. Pour cette raison, vous devez vous assurer de discuter clairement avec les enfants demandeurs du calendrier probable de la requête, et des attentes en matière d’échéances.
Civil ou criminel ?
Dans certains cas, vous aurez l’option de poursuivre des affaires criminelles et civiles en même temps. Les affaires civiles sont en général soumises par des individus ou des organisations cherchant des remèdes auprès de la cour pour faire cesser ou compenser des torts causés par les accusés. Les affaires criminelles sont en général déposées par le gouvernement ou les avocats généraux et procureurs pour punir ou autrement condamner un accusé qui a violé les lois criminelles ou les codes de conduite d’une juridiction (bien que certaines juridictions puissent permettre le dépôt d’une affaire criminelle de manière privée dans certaines circonstances).
Affaires civiles. Déposer une affaire civile vous donne généralement plus de contrôle sur les procédures étant donné que vous déposez vos réclamations directement devant la cour. Avec l’emprisonnement et autres punitions criminelles hors de l’équation, les standards de preuve peuvent être assouplis, permettant ainsi de gagner l’affaire plus facilement. Comme l’objectif d’une affaire civile est de remédier aux torts causés, elles fournissent également des opportunités non seulement de forcer les accusés à arrêter leurs actions dommageables mais aussi de chercher compensation pour les torts déjà infligés. Cependant, les affaires civiles sont généralement plus longues et plus coûteuses que les affaires criminelles. C’est d’autant plus vrai lorsque des poursuites criminelles sont engagées contre les mêmes accusés. Dans ces cas là, les magistrats ou les procureurs peuvent suspendre toutes les affaires civiles jusqu’à ce que l’affaire criminelle soit résolue.
Affaires criminelles. Les affaires criminelles peuvent avoir une plus haute portée et être plus puissantes que les affaires civiles. A cause des pénalités et des punitions que les affaires criminelles engendrent, elles peuvent aussi servir à avertir les autres personnes ou organisations impliquées dans des activités similaires de changer de comportement. Cependant, les affaires criminelles peuvent être plus dures à déposer et à gagner. Les standards de preuve peuvent être plus stricts, et les procureurs peuvent avoir moins de ressources ou être politiquement contraints. Ces facteurs valent la peine d’être pris en compte avant d’encourager le gouvernement à porter plainte, à intenter un procès criminel privé ou à accepter de participer à une affaire criminelle.
Contexte
En plus d’examiner les lois du pays, il ne faut pas oublier de penser au contexte dans lequel les poursuites sont engagées. Vous devriez réfléchir attentivement aux niveaux de corruption dans la juridiction, la position générale du gouvernement sur les droits de l’homme et les dangers physiques ou autres auxquels les personnes impliquées dans votre affaire pourraient faire face. Si vous avez de sérieuses réserves quant à la sécurité ou craignez des représailles dans une juridiction, il est peut-être mieux de déposer et de diriger l’affaire en dehors de cette juridiction.
Le contexte spécifique des enfants. Les enfants sont particulièrement vulnérables aux potentiels effets négatifs des poursuites judiciaires portées en leur nom, surtout lorsque les litiges impliquent les établissements scolaires qu'ils fréquentent, les lieux où ils habitent, ou des membres de la famille. Les enfants peuvent n'avoir ni les ressources ni la capacité de se sortir de situations dangereuses, vous devez donc être extrêmement vigilant pour qu'ils reçoivent la sécurité et le soutien dont ils ont besoin.
Considérations financières
Soumettre une affaire juridique peut s’avérer très coûteux. Il serait dès lors avisé de se renseigner sur les coûts pour déposer une affaire, les dépenses juridiques, les conditions de caution et de sécurité et autres engagements financiers induits pour chaque juridiction éventuelle. Les dépenses juridiques peuvent être outrageusement chères dans certaines juridictions. Dès lors, il est plus intéressant d’engager les procédures dans une juridiction où vos ressources vous amèneront plus loin. Vous devriez également rechercher si les dépenses juridiques sont recouvrables si vous gagnez, c’est-à-dire si les accusés devront payer vos avocats et toutes les dépenses de la cour. Certaines juridictions prévoient cet arrangement tout particulièrement pour les litiges de droits civils ou d’intérêt public général.