L'ONU et les enfants dans les conflits armés : petites intrigues politiciennes ?

Tribune de CRIN et Child Soldiers International sur le mécanisme de surveillance et de communication de l'information sur les enfants et les conflits armés. Publiée le 24 juillet sur Open Democracy.

Ce mois-ci marque une décennie depuis l’adoption unanime de la résolution 1612 du Conseil de sécurité de l'ONU qui établit un mécanisme de surveillance et de communication de l'information (MRM) afin de collecter des informations précises, actuelles et objectives sur six violations graves commises à l'encontre des enfants dans les conflits armés. Au cours de ces dernières années des signes indiquent cependant que les intérêts politiques des États puissants menacent de plus en plus l’intégrité de ce mécanisme. Les parties au conflit, qui devraient être surveillées, désignées et tenues responsables des violations flagrantes commises contre les enfants, sont épargnées.

À contrario, la vigilance sur des situations qui devraient être surveillées est levée prématurément. À un moment où un nombre croissant de conflits complexes dans le monde pose de nouveaux défis à la protection de l’enfance, ce dixième anniversaire représente une opportunité importante de revenir sur ce qui a été accompli et identifier les obstacles.

Le MRM est formellement déclenché dans une situation de conflit quand une ou plusieurs parties à ce conflit sont ajoutées à la « liste de la honte » dans les annexes du rapport annuel du Secrétaire général de l’ONU sur les enfants et les conflits armés. Dans le passé, seules les parties qui recrutaient et utilisaient les enfants étaient incluses dans les annexes. Depuis 2009, d’autres violations graves peuvent « déclencher » le fait d’être ajouté à cette liste : les meurtres et les mutilations, les violences sexuelles, les attaques dirigées contre des écoles ou des hôpitaux, et les enlèvements d’enfants.

Une fois établi, le MRM a pour mandat de surveiller et communiquer l'information sur l’ensemble des six violations graves et sur toutes les parties au conflit. Les membres de l’équipe spéciale de pays chargée de la surveillance et de la communication de l’information des Nations Unies et leurs groupes de travail technique coordonnent également les réponses en matière d’actions de plaidoyer et de programmes face aux violations qu’elles documentent. C’est souvent fait via la signature d’un plan d’action conjoint entre l’ONU et la partie ajoutée sur la liste. Ces plans d’actions sont délimités dans le temps et engagent une partie « listée » à adopter un ensemble de mesures juridiques, politiques et pratiques.

Le mécanisme se termine après que les violations aient pris fin et que le plan d’action (s’il y en a un) ait été pleinement mis en œuvre. Mais la surveillance est censée continuer pendant au moins une année après que toutes les parties aient été retirées de la liste pour s’assurer que de nouvelles violations n’aient pas été commises. 

Sans aucun doute, le MRM s’est avéré être bien plus qu’un outil pour « désigner et blâmer » les parties qui violent les droits des enfants. Il joue un rôle important pour inciter les parties à un conflit à rendre des comptes et garantir qu’elles soient en conformité avec le droit international et avec les normes protégeant les enfants. Jusqu’à présent, les 20 plans d’action signés avec les parties dans 13 pays et situations différentes ont résulté en la libération de milliers d’enfants de groupes armés.

Parce que les pays affectés par les conflits armés font face à de sérieux défis en terme de droit et de justice, les plans d’actions ont également déclenché des réformes institutionnelles à plus long terme dans certains contextes. Ces changements les plus significatifs ont porté sur le fait de garantir que les lois pénalisant les violations contre les enfants, y compris concernant le recrutement d’enfants et l’emploi d’enfants, soient appliquées. Dans certains cas, des barrières pratiques ont été créées, comme les groupes de la protection de l'enfance dans l’ouest de l’Afghanistan qui ont rejeté l’enrôlement de 418 demandeurs mineurs par la police nationale afghane et la police locale afghane depuis 2014.

Le Secrétaire général de l’ONU prend la décision d’ajouter ou de supprimer une partie au conflit de la liste sur la base des recommandations de son représentant spécial pour les enfants et les conflits armés (SRSG), dont le bureau coordonne toutes les informations communiquées dans le cadre du MRM. Le fait d’être ajouté sur la liste place le pays sous la surveillance du Conseil de sécurité de l’ONU et ouvre la possibilité à des mesures punitives.

Sans surprise, les gouvernements craignent tout particulièrement de figurer sur la liste dans les annexes, ou même d’être mentionnés dans la partie principale du rapport annuel du Secrétaire général. Un petit (mais qui se fait entendre) groupe d’États s’oppose invariablement à la liste, questionnant les conclusions de l’ONU, affirmant qu’une situation donnée ne concerne pas les conflits armés, ou qu’elle ne figure pas formellement sur l’agenda du Conseil de sécurité de l’ONU.

Non seulement ces pressions exercées par les États pour influencer le champ d’action du MRM font que certaines situations sont ignorées, mais elles politisent également le mécanisme.

Ce problème a été récemment illustré par la décision du Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, de ne pas inclure les forces de défense israéliennes (IDF) et les groupes armés palestiniens sur cette liste après qu’Israël et ses alliés aient exercé des pressions politiques sur son bureau. La décision aurait été prise contre la recommandation du SRSG et en dépit de preuves documentées par l’ONU d’attaques sur des écoles et des hôpitaux, tuant et mutilant les enfants, ainsi que de l’utilisation d’un enfant comme bouclier humain par les IDF au cours de l’opération « Bordure protectrice » à Gaza au cours de l’été 2014. Les rapports de l’ONU et d’ONG affirmant que les groupes armés palestiniens avaient recruté, utilisé, tué et mutilé des enfants et utilisé les écoles à des fins militaires ont également été ignorés. Les critères pour déterminer quelles parties sont recommandées et incluses dans la « liste de la honte » ne sont indiscutablement pas systématiquement appliqués.

Dans d’autres cas, les gouvernements ont constamment bloqué l’accès de l’ONU à leur pays, ou à certaines parties de leur pays, pour vérifier les allégations de violations des droits de l’enfant. Le gouvernement de Thaïlande, par exemple, a été critiqué par le Secrétaire général de l’ONU pour ne pas avoir permis le libre accès aux agences de l’ONU souhaitant vérifier les allégations de violations graves des droits de l’enfant dans les provinces du sud. Cependant, en dépit de ce manque de coopération persistant, l’ONU n’a pas fait grand-chose pour exercer des pressions sur le gouvernement thaïlandais afin qu’il se mette en conformité.

Le cas du Tchad soulève également des questions sur la transparence du processus menant à la suppression de la liste et sur les vérifications éventuelles de la mise en œuvre de tous les engagements pris dans le cadre du plan d’action signé avec l’ONU. Après avoir été supprimée de la liste en 2014, l’armée nationale tchadienne devrait avoir été surveillée pendant au moins une année supplémentaire. Pour rester en dehors de la liste, les parties doivent démontrer leur capacité continue à se conformer avec leurs engagements pris dans le cadre du plan d’action et de s’abstenir de commettre toute violation les ayant conduit à figurer sur la liste. Child Soldiers International (Enfants Soldats International) a récemment exprimé ses inquiétudes sur un certain nombre d’exemples récents de non conformité du Tchad. Cependant, dans son rapport de 2015 le Secrétaire général de l’ONU a déterminé que « la situation au Tchad sera supprimée du rapport dès 2016 » et ce sans aucune évaluation publique.

La perception de partialité peut nuire à la crédibilité du mécanisme. Le coût politique qui en résulte est potentiellement significatif, comme démontré récemment par le nombre de gouvernements critiquant le fait que les groupes armés palestiniens ainsi que les IDF, plus particulièrement, n'aient pu être ajoutés sur la liste du rapport 2015 du SGNU. Surtout, les enfants affectés par les conflits armés peuvent ainsi se retrouver privés d’interventions vitales. Cependant, le fait que certains gouvernements fassent autant peser de tout leur poids politique pour éviter d’atterrir sur la liste est une bonne indication du potentiel du système de MRM pour protéger les enfants dans les conflits armés. Mais l’ONU et d’autres acteurs doivent résister aux interférences politiques en s’assurant que les responsables de graves violations des droits de l’enfant soient mis face à leurs responsabilités. Pour son dixième anniversaire, renforcer le MRM devrait être la priorité absolue de l’ONU. La vie des enfants en dépend.

 

 

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