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Summary: Le nombre considérable de Somaliens fuyant la famine et la sécheresse en se réfugiant au Kenya voisin éclipse le fait que tout voyage commence par la rude décision de partir, dictée par des circonstances particulières et suivie de toute une série de choix triviaux, concernant quoi emporter par exemple.
[Le 24 aout 2011] - IRIN a récemment discuté des détails de leur fuite avec différentes familles qui se sont temporairement installés près de la frontière entre le Kenya et la Somalie. « Nous subissons des sécheresses depuis 2008, 2009 », a expliqué Abdullahi Ahmed, assis sous un arbre avec sa famille dans la ville kényane de Liboi, après un périple de 300 kilomètres. Ils ont marché depuis leur village aux abords de Baidoa, une ville de la région de Bay sous le contrôle de la milice Al-Shabab. M. Ahmed était producteur de cultures commerciales et élevait du bétail. Après deux années sans pluie, « j’ai décidé d’attendre une année de plus », mais en vain : fin 2010, ses animaux sont morts. « Les gens mourraient dans notre village, il n’y avait pas de nourriture. Je ne pouvais pas laisser ma famille mourir – on a dû partir ». Comme de nombreux réfugiés, il avait appris à la radio ou par d’autres voyageurs qu’il pouvait obtenir de l’aide à Dadaab, au Kenya, le plus grand complexe de camps de réfugiés au monde. Quelques organisations non gouvernementales (ONG) en Somalie fournissaient de la nourriture aux plus nécessiteux, a dit un autre réfugié, Hassan Mohammed, un pasteur qui a marché 700 kilomètres depuis sa maison située à proximité de Mogadiscio, la capitale. « Al-Shabab leur confisque la nourriture en leur disant qu’ils vont la distribuer, mais ils ne font que la mettre sous clé ». Une décision familiale À la suite du décès de 16 habitants de sa communauté, Hassan Mohammed s’est assis avec sa famille pour leur expliquer qu’un long voyage les attendait. « Nous sommes des pasteurs, alors nous parcourons de longues distances à la recherche de pâturages, mais les enfants ne viennent pas toujours. Ils ont demandé combien de temps ils allaient devoir marcher, je leur ai dit que ça allait être une longue marche, mais que nous devions trouver notre nouvelle maison ». Aden Buale, 80 ans, a craché par terre en mentionnant Al-Shabab. « Ces gens-là sont le mal incarné. On a entendu à la radio que les ONG ne pouvaient pas venir nous aider, mais que de l’aide était disponible de l’autre côté de la frontière. Plutôt que d’attendre de mourir nous nous sommes dit : “Nous devons marcher” ». Ceux dont les têtes de bétail avaient survécu les ont vendues contre de l’argent, souvent pour acheter un âne et un chariot pour le transport des personnes âgées et des enfants. Mais M. Mohammed et sa femme, Fatima, ont décidé de se relayer pour porter leurs enfants de 5 et 6 ans. Leurs cinq autres enfants, tous adolescents, pouvaient se débrouiller seuls. Quoi emporter ? Presque tous les réfugiés de Liboi portaient des sacs en plastique ou de petites valises contenant des vêtements. Certains avaient des téléphones portables enveloppés de plastique attachés à la ceinture. Des jerricans vides et des nappes en bambou constituaient le plus gros de leurs bagages. « Nous avons laissé ce que nous avions de plus précieux derrière nous, notre foyer. Le reste importe peu », a dit M. Mohammed. Jusqu’où aller ? « Dans notre village, Al-Shabab a capturé des gens qui fuyaient vers les zones sous contrôle gouvernemental et les ont battus ». Les deux premiers jours ont été les plus durs pour les enfants. « Ils pleuraient "Combien de temps va-t-on encore marcher papa, combien de temps ?" Mais le troisième jour, ils demandaient "Quand arrive-t-on à notre nouvelle maison ?" », a dit M. Mohammed. Son fils de 5 ans, Mohammed Hassan, montre du doigt des coupures sur ses pieds : « Ça fait mal ». Certains ont emporté du thé dans des jerricans et toute la nourriture qu’ils possédaient, essentiellement des biscuits, qui étaient rationnés. Les enfants avaient droit à deux biscuits par jour, les adultes à un seul. Les gens des campements qu’ils ont croisés en route les ont aidés avec l’eau qu’ils avaient. Mais ils devaient parfois chercher de la nourriture. Une nuit, alors qu’Abdullahi Ahmed et les huit membres de sa famille étaient à la recherche de nourriture, des hyènes ont bondi sur son fils de 6 ans, qui était à la traîne, et l’ont emporté. « C’est arrivé soudainement – on l’a entendu crier et il n’était plus là ». Beaucoup de réfugiés ont eu la chance de voyager pendant le ramadan, un mois saint pendant lequel la charité est à l’honneur. M. Mohammed raconte que vers la fin de leur voyage, « un conducteur a eu pitié de ma famille et nous a pris à bord pour quelques kilomètres ». Il leur a même acheté un sac de 15 kilos de riz. D’autres ont croisé des organisations musulmanes qui distribuaient des dattes. Lorsqu’ils sont arrivés à Dobley, une ville située entre la frontière kényane et somalienne près de Liboi, ils ont reçu des boîtes de biscuits de la part du PAM, qui les ont aidés à tenir pour les 20 kilomètres qui restaient jusqu’à Liboi. Depuis le début de la famine dans certaines régions de Somalie, il y a deux mois, les organisations humanitaires estiment que pas moins de 1 500 Somaliens ont afflués quotidiennement à Dadaab, soit quelque 70 000 personnes au total selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Les organisations disent que le rythme a ralenti ces deux dernières semaines et que le flux de nouveaux arrivants oscille entre 700 et 800 personnes par jour. « Nos maisons sont toujours là-bas – Nous y retournerons s’il pleut », a dit M. Mohammed. « Nous espérons juste obtenir un peu de nourriture, de l’eau, des soins et un abri d’ici là ». La possibilité d’une expulsion d’Al-Shabab est cependant envisagée avec appréhension par certains. « Non, je ne crois pas que nous puissions les chasser », a dit Buni Ali. « Tout le monde les craint ».
Dans la société somalienne, l’indépendance des individus est très valorisée. Lorsqu’une décision affectant le foyer est prise, l’opinion de chaque membre de la famille est prise en compte.
Lors d’une inspection de sécurité à Liboi, l’une des réfugiés a ouvert un petit fourre-tout, révélant un hijab, un petit morceau de tissu soyeux et des tongs en plastique. Un homme de 80 ans s’agrippait à son parapluie presque neuf.
Buni Ali Borow et sa famille, qu’IRIN a rencontrés dans la ville somalienne de Doolow après leur périple de 18 kilomètres, ont décidé de commencer leur voyage de nuit, afin que leur départ passe inaperçu.