Bulletin n° 180
Dans ce numéro
Actualités
Enfants réfugiés et migrants
Les enfants migrants et réfugiés en Europe vivent dans des « conditions effroyables », selon Tomáš Boček, le Représentant spécial du Secrétaire général du Conseil de l’Europe sur les migrations et les réfugiés. Son rapport, élaboré sur la base de visites dans des camps et centres de détention en Grèce, en Macédoine, en Turquie, en France et en Italie, liste les abus et négligences auxquels les enfants font face dans ces lieux. M. Boček rapporte en particulier des arrestations d’enfants pour mendicité, des violences policières, l’absence de services de santé et d’éducation, et une incapacité à assurer la réunification des familles. Ces deux dernières années, 30 % des demandeurs d’asile arrivés en Europe avaient moins de 18 ans, et en 2015, 96 465 enfants ont demandé l’asile en Europe. Dans un entretien accordé au journal britannique le Guardian à l’occasion de la sortie du rapport, Tomáš Boček a poursuivi sa réflexion sur les possibles effets à long terme du mauvais traitement de ces enfants, y compris le risque d’une augmentation de la « radicalisation » : « ce que vivent ces enfants définira qui ils deviendront. Et cela définira également, à certains égards, notre avenir commun ».
L’Italie a adopté une loi renforçant les garanties pour les enfants migrants non accompagnés, après trois années de débat. Le texte encadre les procédures d’évaluation de l’âge, garantit l’accès aux soins et à l’éducation et interdit de renvoyer les mineurs.
En France, l’éducatrice qui avait été mise à pied après avoir dénoncé les conditions de vie des jeunes mineurs isolés ne sera pas licenciée, l’inspection du travail ayant refusé le licenciement pour « faute grave » demandé par l’employeur. Les propos de l’éducatrice, qui dénonçait notamment l’absence de prise en charge psychologique des mineurs, faisaient suite au suicide de Denko Sissoko, un adolescent malien. Les parents de Denko Sissoko ont par ailleurs porté plainte contre X pour homicide involontaire et mise en danger de la vie d’autrui. Ailleurs en France, la situation pour les mineurs migrants ne s’améliore pas : un rapport de l’Anafé dénonce la détention et l’expulsion d’environ 5000 mineurs par an à Mayotte, tandis qu’à Paris, les autorités se montrent impuissantes à aider des enfants marocains, parfois très jeunes, qui plongent dans la toxicomanie et la violence.
Informatique et libertés
Phillip Kowalick, le président de l’Institut australien des professionnels du renseignement (Australian Institute of Professional Intelligence Officers) a appelé les écoles primaires et secondaires à utiliser un programme qui enregistre l’utilisation du clavier et les captures d’écrans sur l’équipement informatique des étudiants. D’après lui, le programme aurait aidé les autorités britanniques à prévenir des cas de violence, de harcèlement, de suicide et de radicalisation. Le programme est utilisé par des écoles privées en Australie, et est installé sur les ordinateurs ou les téléphones utilisés par les élèves. Le programme pourrait également collecter des informations d’appareils interagissant avec celui de l’élève espionné, et déclenche des alertes lorsque certains mots sont utilisés. Son essai par des écoles de Birmingham en Angleterre serait, toujours selon M. Kowalick, légal puisque les parents et les enfants avaient donné leur accord pour son installation. Toujours d’après lui : « Nous parlons d’une technologie qui aide les institutions à protéger les personnes vulnérables ». En évitant de dire qu’il s’agit surtout de surveillance massive et d’une atteinte choquante à la vie privée.
En France, le ministère de la Famille envisage des mesures pour empêcher l’accès des mineurs à la pornographie en ligne, mesures qualifiées de délirantes par NextImpact, un site d’information dédié aux technologies. À l’étude : contrôle d’accès par carte bleue, contrôle par scan de carte d’identité, voire blocage total pour les sites basés à l’étranger. Toutes ces méthodes posent de sérieuses questions en matière de protection des données et de la vie privée. Rappelons que les filtres et logiciels de contrôle parental ne sont pas non plus infaillibles, et sont souvent à l’origine de blocage d’informations importantes pour les enfants.
Au Cameroun, les régions anglophones subissent un blocage d’internet qui dure depuis le 17 janvier dernier. Le gouvernement de Yaoundé a ordonné aux fournisseurs d’accès, dont Orange Cameroun, de suspendre le service dans deux régions, pour « préserver la sécurité nationale ». Depuis 2015, plusieurs pays africains ont eu recours à des coupures d’internet ou des blocages de réseaux sociaux pour ces motifs. Dans une lettre ouverte demandant aux candidats à l’élection présidentielle française de prendre position, un collectif rappelle la résolution adoptée par le Conseil des droits de l’homme le 1er juillet 2016 : celle-ci condamne les perturbations volontaires du réseau Internet, en ce qu’elles violent les droits humains. En plus de l’atteinte évidente à la liberté d’expression et au droit à l’information, la situation a des conséquences économiques lourdes pour les régions concernées. Par ailleurs, les enseignants anglophones sont en grève. Ils accusent le gouvernement de les marginaliser, et d’empêcher les enfants d’accéder à une éducation dans leur langue maternelle. Dans d’autres endroits, ce sont les élèves qui boycottent les cours pour protester contre ces différentes formes d’oppression.
Voir la campagne de CRIN sur la l’accès des enfants à l’information.
Justice
La Cour suprême des États-Unis a rendu à l’unanimité une décision affirmant l’obligation pour les écoles de fournir une éducation individualisée pour les enfants handicapés. La décision exige des écoles de considérer les points forts et les points faibles de chaque enfant, plutôt que de se borner à une approche uniforme pour tous les enfants. Les défenseurs des droits de l’homme et les parents ont salué une décision qui aidera des millions d’élèves en étendant le droit à une éducation spécialisée. La Cour a déclaré que « chaque enfant devrait avoir l’opportunité d’atteindre des objectifs ambitieux », même si l’enfant n’est pas intégré pleinement dans une classe.
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Conflits armés
Focus sur le Yémen
Après deux ans de conflit, on estime à 17 millions le nombre de personnes qui font face à des pénuries alimentaires, plongeant le pays dans l’« une des crises alimentaires les plus graves du monde » d’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. 2,2 millions d’enfants souffrent de malnutrition, dont 460 000 sont sévèrement malnutris.
Le conflit actuel a débuté à la fin de 2014 lorsque des rebelles Houthi ont pris la capitale Sana’a, et s’est intensifié avec l’offensive menée par l’Arabie saoudite contre les forces Houthi et les forces loyales à l’ancien président Ali Abdullah Saleh. Le conflit a tué 4 667 et blessé 8180 civils entre mars 2015 et février 2017. Des douzaines de frappes aériennes de la coalition ont tué et blessé des milliers de civils sans distinction, ou de manière disproportionnée.
Parmi les violations des parties aux conflits à l’encontre des enfants, Human Rights Watch a documenté 58 attaques aériennes apparemment illégales ayant tué au moins 192 enfants, et de multiples attaques ont frappé des écoles.
Le bureau des droits de l’homme de l’ONU a pu vérifier 1 476 cas de recrutement d’enfants entre le 26 mars 2015 et le 31 janvier 2017, la plupart par les Comités populaires, affiliés aux Houthis. Mais d’après Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU, « les chiffres sont probablement bien plus élevés, la plupart des familles ne souhaitant pas parler du recrutement de leurs enfants, par peur de représailles ». Des entretiens menés par Amnesty International ont également révélé que beaucoup de familles craignent des représailles contre leurs enfants recrutés par les Houthis, ou contre d’autres enfants ou membres de la famille, s’ils osent en parler. Les personnes interrogées décrivent comment les représentants des Houthis gèrent des centres locaux qui organisent prières et sermons dans lesquels les jeunes garçons sont encouragés à rejoindre le front pour défendre le Yémen contre l’Arabie saoudite.
La coalition menée par l’Arabie saoudite aurait utilisé des armes à sous-munitions interdites par le droit international. D’après Human Rights Watch, en février dernier, la coalition a frappé une ferme du nord du pays avec une roquette à sous-munitions, blessant deux garçons âgés de 10 et 12 ans. Les armes à sous-munitions sont interdites par un traité de 2008 ratifié par 100 pays, mais ni le Yémen, ni l’Arabie saoudite, ni ses alliés (Bahreïn, l’Égypte, la Jordanie, le Koweït, le Maroc, le Qatar, le Soudan et les Émirats arabes unis) ne l’ont ratifié.
Attaques contre les écoles
Lors de la dernière session du Conseil des droits de l’homme (voir bulletin n°179), la Représentante spéciale pour les enfants et les conflits armés Leila Zerrougui a présenté son rapport, faisant état du niveau de cruauté « inimaginable » atteint par les conflits actuels. Plusieurs États ont saisi l’opportunité de cette présentation pour assurer leur soutien à la Déclaration sur la sécurité dans les écoles, relevant que la protection du secteur éducatif aide à préserver les enfants des conséquences des conflits armés. Cette déclaration date de mai 2015, lorsqu’un groupe de pays s’est engagé à protéger les étudiants, enseignants et les lieux d’éducation pendant les conflits. La déclaration contient un certain nombre de mesures concrètes qui peuvent être prises pour protéger l’éducation en temps de conflit. Cela inclut notamment : aider les écoles à rester ouvertes et opérationnelles, prendre des engagements pour enquêter sur et poursuivre les crimes de guerre liés aux écoles, et soutenir les efforts de l’ONU pour protéger les enfants. Les États qui appuient la déclaration s’engagent également à diminuer leur utilisation militaire des écoles, qui fait des écoles des cibles d’attaque. Depuis 2009, au moins 31 pays dans le monde ont subi des attaques contre des écoles, des enseignants ou des élèves.
Sur ce même sujet, Human Rights Watch publie ce mois-ci un rapport sur la situation en République centrafricaine, où des groupes armés, et parfois même des militaires de la mission de maintien de la paix des Nations unies, ont utilisé des bâtiments scolaires comme bases ou ont stationné leurs forces à proximité. « Des enfants ont perdu des années de scolarité dans de nombreuses régions de la République centrafricaine, parce que des groupes armés n'ont pas traité les écoles comme des lieux de partage du savoir et des sanctuaires réservés aux enfants », a déclaré Lewis Mudge, co-auteur du rapport. L’utilisation des écoles détériore l'infrastructure scolaire déjà insuffisante en République centrafricaine. Le matériel scolaire est dégradé ou détruit, les élèves effrayés d’aller à l’école et les parents de les y envoyer. La République centrafricaine a pourtant signé la Déclaration sur la sécurité dans les écoles en juin 2015, ce qui a amené la MINUSCA à commencer à faire évacuer des écoles qui étaient occupées par des milices. Des progrès ont été fait en ce sens en 2016, mais des forces de maintien de la paix ont elles-mêmes utilisé des écoles comme bases.
Au Nigéria, Boko Haram aurait enlevé des centaines d’écoliers en novembre 2014 à Damasak. Des chefs traditionnels ont rapporté à Human Rights Watch qu’ils avaient transmis aux autorités les noms de 501 enfants disparus, sans obtenir de réponse. Contrairement à l’enlèvement des écolières de Chibok en avril 2014, le gouvernement nigérian n’a jamais publiquement confirmé l’enlèvement de masse de Damasak, qui pourrait être le plus important jamais commis par Boko Haram. Lire l’article. Les attaques de Boko Haram contre les écoles sont fréquentes et le conflit a obligé plus d’un million d’enfants nigérians à quitter l’école.
Violences
Depuis la répression du mouvement Kamuina Nsapu dans les provinces des Kasaïs en République Démocratique du Congo, les allégations de violations massives font surface. Entre janvier et février, au moins 18 enfants auraient été tués pour leur appartenance présumée au groupe rebelle, qui serait composé à plus de 50% de mineurs. Dix fosses communes ont été découvertes, et l’ONU soupçonne l’existence de sept autres. Par ailleurs, des experts de l’ONU ont été tués dans la même province. Alors que la Procureure de la Cour pénale internationale s’est inquiétée vendredi dernier de ces violences, le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé le même jour de réduire les effectifs de sa mission dans le pays, tout en exigeant que tous les groupes armés « mettent immédiatement fin à toutes les formes de violence, y compris aux violations et sévices commis sur des enfants et aux autres activités déstabilisatrices, à l'exploitation et au trafic illégal des ressources naturelles ».
Des journalistes suédois ont découvert que certains des jeunes qui avaient rapporté des abus sexuels par des soldats en République Centrafricaine sont sans domicile, déscolarisés, et gagnent leur vie dans la rue, malgré les promesses de l’ONU de les prendre en charge. L’Unicef, qui devait assurer le suivi du soutien apporté à ces victimes présumées, a déclaré ne pas avoir connaissance de jeunes qui n’auraient pas reçu d’aide, et relevé que 200 enfants étaient inscrits dans leur programme d’assistance.
En Syrie, les violences contre les enfants se sont encore aggravées, selon l’Unicef, qui rapporte qu'en 2016, « les cas vérifiés de meurtres, de mutilations et de recrutements d'enfants ont augmenté significativement ». Des centaines de milliers d’enfants vivent dans des zones assiégées, coupées de toute aide humanitaire.
Mardi 4 avril, la défense civile syrienne a rapporté qu'une attaque chimique au gaz avait été perpétrée dans une ville du nord-ouest du pays. Une cinquantaine de personnes auraient été tuées, dont des enfants. L'hôpital où étaient soignées les nombreux blessés a lui aussi été la cible d'un bombardement quelques heures plus tard. Les auteurs du raid ne sont pas encore identifiés, même si l'opposition accuse le régime.
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Accès des enfants à la justice
Maurice
Chaque mois, nous vous présentons un rapport sur l’accès des enfants à la justice dans un pays du monde. Le projet vise à établir le statut de la Convention relative aux droits de l'enfant (CDE) dans les législations nationales, le statut des enfants impliqués dans des procédures judiciaires, les moyens juridiques qui permettent de contester des violations des droits de l'enfant et les considérations pratiques à prendre en compte en utilisant ces moyens.
Bien que Maurice ait ratifié la CDE, son statut dans la législation nationale reste faible. Elle n’a pas été incorporée dans le droit interne, ne prévaut pas sur les lois en contradiction avec elle, et n’est pas directement applicable devant les tribunaux. Cependant, les enfants, aidés de leurs représentants, ont plusieurs façon de contester les violations de leurs droits : s’adresser à la Cour suprême pour réparation de violations ou demander un contrôle judiciaire des décisions administratives ; soumettre une plainte à l’Ombudsman pour enfants ou à la Commission Nationale des Droits de l’Homme ; ou intenter une poursuite privée. Quelque soit la procédure, un enfant « capable de discernement » peut demander à être entendu par le juge, seul, avec un avocat ou une personne de son choix. De plus, Maurice a signé, mais pas ratifié, le Protocole facultatif sur une procédure de présentation de communication, qui pourra, lorsqu'il sera ratifié, permettre aux enfants de déposer à l’ONU des plaintes portant sur des violations de la CDE.
Télécharger le rapport complet en français et en anglais.
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Formation
15 juin 2017 (ressortissants UE) - date limite de candidature pour le Master of Laws in Advanced Studies in International Children’s Rights Dates : septembre 2017- été 2018 Lieu : Leiden, Pays-Bas. Plus d’informations.
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Le mot de la fin
« Pleinement conscients du drame humain qui se jouait, nous avons décidé d’unir nos expertises et nos missions communes de services publics européens à vocation mondiale afin d’offrir aux populations migrantes une information fiable reposant sur la crédibilité de nos médias. »
Trois grands médias européens lancent ainsi un site, infomigrants.net, et des comptes Twitter en anglais, français et arabe.
Le but est de « fournir une information fiable et vérifiée sur leurs pays d’origine, sur les routes qu’ils empruntent ou encore sur les pays d’accueil, alors qu’aujourd’hui les études montrent que la majorité des personnes qui ont fui leur pays n’accèdent à ces informations que par le biais de passeurs douteux ».
Le site « n’a vocation ni à les inciter ni à les décourager », il « contribuera peut-être à éviter la multiplication des drames qui se jouent à nos portes et sur nos propres territoires »
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