Les droits de l'enfant et les substances toxiques

« Ça n’a aucun sens : pourquoi les adultes nous parlent-ils de l’importance de l’environnement, mais continuent à ne pas le protéger ? Ils se soucient d'autres choses comme l’argent et ce qu'ils possèdent, mais détruire la nature en revanche, ça ne semble pas les déranger. »

Des enfants s'adressant au Comité des droits de l’enfant, 2016.

 

Introduction

En vertu de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE), les enfants ont le droit de vivre, apprendre et grandir au sein d’un environnement physique qui respecte la santé, le divertissement et l’éducation, et qui n’expose à aucun risque indu. Ces droits sont quotidiennement violés par les substances toxiques, en particulier celles contenues dans l’air, l’eau, le sol et les biens de consommation, qui nuisent à la santé de millions d’enfants à travers le monde.

Cette note présente les causes et l’étendue du problème, et propose une approche qui vise à assurer des réparations et une prévention efficaces.

Susceptibilité

Tous les êtres humains sont vulnérables aux conséquences de l’exposition à des substances toxiques. Cependant, les enfants, en raison de leur plus petit corps et de leurs habitudes comportementales particulières, sont les plus enclins à subir ces conséquences. Les enfants consomment plus de nourriture et d’eau par rapport à leur poids, absorbent les substances toxiques plus rapidement et ont plus de difficultés à les éliminer par la suite. Par exemple, les jeunes enfants absorbent quatre à cinq fois plus de plomb que les adultes. Le contact avec des substances toxiques affecte également leur développement, en particulier celui des poumons, du cerveau, du système immunitaire et de la fécondité, qui sont particulièrement vulnérables aux influences environnementales durant l’enfance.

Ces risques touchent tous les enfants, y compris dans les pays économiquement développés. Cependant, le problème est amplifié par des facteurs associés à la pauvreté et à d’autres formes de marginalisation. Une moins bonne santé associée au dénuement économique diminue la résistance des enfants aux effets des substances toxiques, en particulier lorsque ceux-ci souffrent de malnutrition, alors qu’en parallèle une réglementation plus faible de l’industrie et de l’agriculture dans les pays les plus pauvres permet aux conditions de haute toxicité de persister dans des endroits où des enfants vivent, apprennent et jouent.

Les enfants y sont plus sensibles et leurs niveaux d’exposition sont plus élevés. Ils sont donc plus vulnérables que les adultes. Ces effets peuvent être irréversibles, voire même être transmis de génération en génération.

Exposition

À l’échelle internationale, l’air pollué est le vecteur d'exposition aux substances toxiques le plus important. Cette pollution est principalement due à la combustion de combustibles fossiles pour la production d’énergie, la fabrication et le transport, à la combustion de combustibles solides par les ménages, tels que le charbon ou le bois, au tabagisme passif, et aux produits chimiques agricoles en suspension dans l’air comme les pesticides. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), dans le monde, neuf personnes sur dix respirent de l’air ambiant contaminé, et quatre personnes sur dix cuisinent à foyer ouvert, ce qui engendre d'importantes concentrations de polluants. C’est pourquoi, selon l’OMS, la pollution de l’air est la cause de 5 % des décès chaque année. Dans les pays riches, la qualité de l’air se dégrade, mais les populations des pays plus pauvres continuent de souffrir de conditions bien plus sérieuses.

À certains endroits, l’air, l’eau et les sols sont particulièrement pollués, comme dans des zones industrielles, des zones d’agriculture industrielle et des zones de guerre laissées à l'abandon. À ces endroits, les enfants risquent une exposition continue à des concentrations dangereuses de contaminants. À titre d’exemple, dans le monde entier, 60 % des enfants travailleurs sont employés dans l’agriculture, là où les pesticides sont réputés nuire à la santé de millions d’agriculteurs chaque année. Les enfants qui travaillent dans les plantations de tabac aux États-Unis souffrent des symptômes d’une exposition aux pesticides et d’empoisonnement à la nicotine. De la même façon, les enfants des rues qui récupèrent des déchets électroniques dans les décharges inhalent un mélange de substances toxiques au moment de brûler les déchets plastiques et de récolter des pièces de métaux pouvant être revendues. Alors que les foyers aux revenus moyens et élevés ont tendance à s’éloigner des endroits très pollués, les familles plus pauvres n’en ont pas la possibilité, et les enfants deviennent victimes de cette exposition.

Les habitudes comportementales des enfants, associées à leur susceptibilité accrue aux substances toxiques augmentent l’impact de l’exposition. Contrairement aux adultes, les enfants jouent sur le sol et souvent dans des cours d’eau, explorant le monde qui les entoure grâce au toucher et au goût. À cause de leur âge, les enfants sont aussi moins aptes à apprécier et évaluer les risques, ou à lire et faire attention aux mises en garde écrites. Pour toutes ces raisons, les jeunes enfants sont particulièrement vulnérables. L’exposition débute même avant que l’enfant ne vienne au monde : une étude a retrouvé environ 200 substances dangereuses dans le sang des cordons ombilicaux d’un groupe de nouveau-nés aux États-Unis, résultant de l’exposition des mères à des environnements pollués. Cet exemple témoigne bien d’un des défis posés par les substances toxiques : à l’exception des cas d'expositions aiguës à des doses importantes, l’exposition nocive n’est pas immédiatement visible. En réalité, les pédiatres parlent de « pandémie silencieuse » lorsqu'ils mentionnent l’état actuel des impacts de la pollution et de la contamination sur la santé des enfants.

À Londres, au Royaume-Uni, une étude a révélé que des dizaines de milliers d’enfants dans plus de 800 écoles, crèches et lycées étaient exposés à des niveaux illégaux d'émissions de pollution de l’air, entraînant le risque de provoquer des problèmes de santé tout au long de la vie des enfants.

L'impact des substances toxiques sur la santé provoque des effets secondaires qui portent atteinte à d’autres droits fondamentaux de l’enfant. La maladie peut empêcher les enfants de se rendre à l’école et plus tard de travailler, par exemple, alors que l’exposition à certaines substances comme le plomb peut affecter le développement du cerveau de manière irréversible et par conséquent, retarder leur apprentissage. Ils peuvent également être empêchés de jouer à l’extérieur, notamment lorsque la pollution de l'air atteint des niveaux dangereux.

Substances toxiques connues et leurs effets

Les effets toxiques avérés et potentiels des composés synthétiques et des éléments chimiques émis artificiellement par des procédés industriels ne sont toujours que partiellement connus. Des centaines de substances communes sont désormais réputées être biologiquement ou écologiquement toxiques, alors que la plupart étaient autrefois considérées comme saines. Trois substances désormais omniprésentes s’avèrent particulièrement nocives pour l’homme, et surtout pour les enfants en raison de leur susceptibilité accrue.

Amiante : l’amiante a été considérablement utilisé dans le monde entier, en particulier comme matériau de construction. Ses fibres microscopiques sont à l’origine de maladies respiratoires invalidantes, notamment le mésothéliome, un cancer des poumons virulent. En 2004, l’OMS estimait que 125 millions de personnes étaient exposées à des risques liés à l'amiante sur leur lieu de travail. Cette exposition a conduit à une lourde charge mondiale de morbidité et, chaque année, à 107 000 décès. L'amiante a été interdit au sein de l'Union européenne, mais ce n'est généralement pas le cas dans le reste du monde.

Pesticides : une grande majorité de la population mondiale a déjà été exposée aux pesticides, à différents degrés, principalement en inhalant des composés en suspension dans l’air, en consommant des aliments qui en contiennent et en buvant de l’eau contaminée. Un lien a été établi entre ces expositions et des maladies neurologiques, la détérioration de fonctions cognitives, des cancers, l’infertilité et, en particulier chez les enfants, des problèmes de développement du cerveau. Chaque année, les pesticides affectent la santé de plus de 41 millions de personnes et sont responsables de 200 000 décès par intoxication aiguë. Des doses même faibles peuvent être nocives, et les effets n’apparaissent généralement que quelques années plus tard.

Plomb : le plomb est un métal lourd utilisé dans le monde entier pour des utilisations industrielles variées, notamment pour les batteries, les conduits d’eau, les citernes, la peinture, le pétrole et les revêtements de câble. Il se gazéifie sous l’effet de la chaleur, s’accumule dans les organismes, peut également contaminer les sols et les eaux, et n’est pas biodégradable. Même en faible quantité, le plomb nuit au développement de l’intelligence chez l’enfant. Il est également associé à des troubles du comportement et des hémopathies. En 2009, l’OMS estime que l’exposition au plomb est responsable de 143 000 décès chaque année et est à l’origine de 0,6 % de la charge mondiale totale de morbidité.

Deux autres éléments chimiques, ​le mercure et le cadmium​, sont présents en quantités dangereuses à certains endroits, plus particulièrement à proximité de zones d’industries lourdes, notamment les mines. Le cadmium est également répandu par la fumée des cigarettes. Quant au mercure, il est relâché dans l’atmosphère durant la combustion de carburants fossiles. Comme le plomb, le mercure est dangereux même en petite quantité. Il s’accumule dans la chaîne alimentaire et perturbe le développement du cerveau chez l’enfant. Le cadmium est cancérogène et cause des dommages au foie ainsi qu’au système respiratoire.

Selon l’OMS, les cinq substances décrites ci-dessus font partie des neuf produits chimiques qui présentent les plus grands risques en matière de santé publique (outre la pollution de l'air). Les autres étant l’arsenic dissout dans l’eau potable, le benzène dans les produits pétrochimiques et le tabac, les dioxines dans la nourriture, et l’excès (ou l’insuffisance) de fluor. Ces derniers présentent des risques similaires en matière de santé, notamment vis-à-vis des enfants. Les enfants sont généralement exposés à un « cocktail » composé d’une centaine de substances dangereuses courantes, à des doses quotidiennes faibles, mais chroniques. La pollution présente dans l’air ambiant en zone urbaine est composée entre autres de plomb, cadmium, mercure, benzène, silicates cancérogènes et divers gaz toxiques qui, ensemble, multiplient les risques vis-à-vis des enfants et des enfants à naître qui sont « pré-pollués » à cause de l’exposition des femmes enceintes. Dans les secteurs industriels et agro-industriels, la présence en forte concentration de substances chimiques dangereuses multiplie considérablement les risques.

Aspect écologique

Outre leur incidence directe sur la santé des hommes, les substances toxiques empoisonnent et dégradent également l’écosystème dont dépendent les enfants et leurs familles pour manger et travailler. Les métaux lourds tels que le plomb, le cadmium et le mercure sont aisément répandus dans les cours d’eau et les sols, où ils s’accumulent dans les organismes des animaux et des plantes, et ainsi dans la chaîne alimentaire des êtres humains. À titre d’exemple, l’amoncellement du mercure dans les stocks de poissons excède le niveau de sécurité dans 66 pays et touche particulièrement les communautés basées sur le littoral qui dépendent de la pêche comme source de protéines. Sur les terres, l’utilisation répétée de pesticides peut affaiblir et empoisonner les sols et les eaux, et éradiquer des organismes indispensables à l’environnement comme les abeilles. En Chine, un cinquième des terres agricoles sont aujourd’hui contaminées par des pesticides et des métaux lourds, et 35 000 km² de terres autrefois fertiles sont maintenant inutilisables. Une telle détérioration de la faune et de la flore des terres et des eaux limite l’accès à une alimentation suffisamment saine et compromet particulièrement le développement de l’enfant, tout en générant une pression économique sur les familles dont le revenu dépend d’un écosystème viable, comme les travailleurs agricoles.

Outre les dommages sur la santé des enfants, la dégradation écologique causée par les substances toxiques remet en cause la sécurité alimentaire et l’avenir économique de milliers d’enfants dans le monde sur le long term.

Mesurer les conséquences

En 2017, l’OMS estime que 1,7 millions des décès annuels d’enfants de moins de cinq ans, un quart de la mortalité infantile mondiale, sont dus à leur environnement physique, notamment la pollution de l’air et des eaux, et au système sanitaire déficient.

Plus de 500 000 nourrissons meurent de problèmes respiratoires, principalement causés par l’air pollué, un chiffre plus élevé que le paludisme. L’OMS estime que les enfants de moins de cinq ans souffrent de maladies équivalentes à 161 millions personnes-année causées par leur environnement physique. Par ailleurs, un nombre inconnu d’enfants souffre de dégradations mineures de la santé telles qu’une intelligence diminuée due à une faible exposition au plomb, par exemple. Les enfants qui survivent à l’exposition souffrent d’un développement retardé et de maladies qui peuvent perdurer jusqu’à l’âge adulte, et ainsi mettre en péril leurs perspectives économiques pour le reste de leur vie. De toute évidence, les substances toxiques ont des conséquences considérables, graves (et selon l’OMS, qui peuvent être totalement évitées) sur les enfants, plus particulièrement dans les régions les plus pauvres.


Droits de l’enfant

L’exposition à des substances toxiques va clairement à l’encontre de nombreux droits de l’enfant définis dans la Convention internationale relatives aux droits de l’enfant (CDE) des Nations unies et d’autres traités. Du fait de la susceptibilité élevée des enfants par rapport aux adultes, la Convention impose aux États des obligations accrues afin de les protéger contre toute exposition à des substances toxiques nocives, qui sont les suivantes :

Droits relatifs à l’exposition des enfants : les premiers parmi eux sont le droit à la vie, « de jouir du meilleur état de santé possible » et de se développer « dans toute la mesure possible ». L’exposition à des substances toxiques est susceptible d’entraver nombre d’autres droits en vertu de la Convention, notamment le droit au repos et aux loisirs, à l’éducation (ou au repos en cas de maladie ou de risque de maladie dû à l’exposition à des substances toxiques), et à l’information (au sujet des substances toxiques et de leurs effets).

Baskut Tuncak, Rapporteur spécial des Nations unies sur les substances toxiques, fait également allusion au droit à l’intégrité physique et morale en expliquant qu’il englobe le droit de chaque être humain, en ce compris les enfants, à être autonome et à disposer de son propre corps. Il poursuit en expliquant qu’une intrusion physique ou mentale non consentie constitue une violation des droits de l’homme et conclut que ce droit est compromis par l’exposition aux substances toxiques, soit par intoxication aigüe soit par exposition à de faibles quantités de substances toxiques.

Selon le Rapporteur spécial, le droit d’être entendu est également inextricablement lié à la santé publique et aux menaces environnementales telles que les substances toxiques et la pollution. L’article 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant stipule que tout enfant capable de discernement dispose du droit d’être entendu et d’influencer toute prise de décision pouvant être pertinente à son égard. Le Rapporteur spécial explique que ce droit est intimement lié à question du consentement et au phénomène de l’enfant né « pré-pollué ». Il demande instamment à ce que les États préviennent l’exposition des enfants en vertu du droit des générations présentes et futures d’être entendues.

En outre, les enfants en contact avec des substances toxiques dans le cadre de leur travail sont astreints à des travaux dangereux, ce qui est illégal. Cela concerne environ 100 millions d’enfants travailleurs dans le secteur agricole au niveau mondial, dont la plupart est exposée à des pesticides, et un million d’enfants travaillant dans les mines.

Droits relatifs à l’exposition de la mère : bien que la définition de l’enfant de la CDE n’englobe pas le fœtus en développement, le traitement d’une femme enceinte et les soins apportés à son fœtus peuvent avoir des répercussions sur les droits de l’enfant une fois né. Le Comité des droits de l’enfant a clairement déclaré que : « Les soins que les femmes reçoivent avant, pendant et après leur grossesse ont des incidences profondes sur la santé et le développement de leurs enfants ». Par conséquent, il incombe aux États de prévenir l’exposition des enfants, ainsi que des femmes en âge de procréer, aux substances toxiques.

« La Convention relative aux droits de l’enfant stipule clairement que les États ont l’obligation de prévenir l’exposition des enfants, ainsi que des femmes en âge de procréer, aux substances toxiques». Dans son rapport au Conseil des droits de l’homme concernant les droits de l’enfant, le Rapporteur spécial sur les droits de l'homme et les substances toxiques des Nations unies fait une analyse complète des droits de l’enfant auxquels les substances toxiques portent atteinte, en ce compris l’intérêt supérieur de l'enfant.

Droits relatifs aux dommages écologiques : le préjudice écologique causé par les substances toxiques menace également les droits de l’enfant à une alimentation et une eau saine, à un niveau de vie suffisant (lorsque la dégradation écologique a un impact sur le revenu des personnes s’occupant des enfants) et à un logement convenable (lorsqu'on y trouve des peintures au plomb, des tuyaux en plomb, ou de l’amiante).

Vivre à l’abri de la discrimination : le droit de ne pas être victime de discrimination est compromis par les substances chimiques. Elles engendrent un préjudice disproportionné : les enfants, particulièrement ceux vivant dans la pauvreté, sont plus touchés que les adultes. S’il est possible de réduire l'exposition des enfants aux substances toxiques dans les pays riches, les enfants dans les pays pauvres doivent avoir droit à la même protection.

Le droit fondamental à un environnement sain : lesdits droits fondamentaux des enfants, que ce soit séparément ou ensemble, interdisent formellement toute exposition aux substances toxiques, en ce compris l'exposition chronique à faible dose. Lorsque les effets des substances ne sont pas suffisamment connus, il faut faire preuve d'une grande prudence avec présomption d’exposition. Conformément aux droits légaux de l'enfant, il apparaît clairement que les substances toxiques devraient être progressivement réduites et éliminées de l'environnement, plutôt que de restreindre la liberté des enfants d'évoluer dans leur environnement. Dans la mesure où cet objectif ne peut être atteint qu'en protégeant l'écologie dans son ensemble, les droits de l'enfant indiquent collectivement un droit fondamental à un environnement sain dans lequel vivre, apprendre et grandir. Tel devrait être le principe fondamental d'une approche du problème fondée sur les droits.

Responsables : en droit international, il incombe aux États de protéger les droits de l'enfant. Selon les Principes directeurs pour les entreprises et les droits de l’homme de l’ONU, les entreprises, dont les activités sont directement et indirectement responsables de la plupart des expositions aux substances toxiques durant l’enfance ont une « responsabilité correspondante » envers les enfants. Le même principe a été élaboré par le Comité des droits de l'enfant. Tant que l'impunité des entreprises et l'apathie politique perdurent, des enfants souffrent et meurent. Les États sont légalement tenus de veiller à ce que les entreprises respectent leurs obligations en matière de prévention de l'exposition aux substances toxiques. Les États sont à leur tour tenus pour responsables du respect desdites obligations.

Défis et pistes d’action

Tout comme pour de nombreux problèmes auxquels le monde est confronté, le déversement de produits toxiques dans notre environnement est d'origine économique. Pour minimiser les coûts, les entreprises profitent de la corruption et de la faible gouvernance. Dans le même temps, les communautés, en particulier celles situées dans les régions défavorisées, se voient refuser le droit d’influer sur des décisions qui les concernent. En même temps, la nécessité économique incite les familles pauvres à travailler pour les industries qui les polluent, elles et leurs enfants.

Les entreprises sont également aidées par la complicité des consommateurs, en particulier dans les pays économiquement développés. Le problème est aggravé par divers facteurs qui multiplient le risque, en ce compris l'urbanisation, la dynamique en faveur de la croissance économique et l'augmentation de la population mondiale. Dans le même temps, les enfants les plus exposés aux substances toxiques sont en grande partie invisibles, mais pourtant pas aphones, ne disposant pas de moyens efficaces de prévention et de réparation.

Des signes de progrès viennent néanmoins éclaircir ce sombre tableau. Il n’est pratiquement plus possible d’utiliser du plomb dans les produits pétrochimiques, et la Convention de Minamata promet de mettre progressivement un terme à l'utilisation industrielle du mercure, bien que ces deux éléments soient actuellement présents dans le sol et l’eau, et qu'ils le resteront probablement à jamais. Soixante-dix pour cent des constitutions nationales comprennent désormais des devoirs ou des droits environnementaux, et le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies peut maintenant reconnaître officiellement que le droit à un environnement sain fait partie des droits de l'homme. Dans les régions économiquement développées, comme l'Union européenne, le cadre législatif a été progressivement renforcé, souvent malgré la forte opposition des grandes entreprises. Étant donné que les fabricants de produits chimiques ont été tenus de tester et d'étiqueter leurs produits, des centaines de substances toxiques ont dû être retirées puisque les normes de sécurité n’étaient pas respectées. Toutes ces évolutions témoignent d'une prise de conscience croissante du lien inéluctable entre les droits de l'homme et l'écologie de notre environnement, mais les progrès sont lents. Comme le soulignait une jeune militante, Rheka Dillon-Richardson, il ne suffit pas de changer les lois : notre relation à la nature doit elle aussi changer.

Conformément aux recommandations de Baskut Tuncak, Rapporteur spécial (RS), sur les droits de l'homme et les substances toxiques, il faut privilégier une approche intégrant à la fois des mesures préventives et correctives pour qu’un changement ait lieu. Cette nouvelle approche doit:

  1. Privilégier dans un premier temps la prévention : c'est le meilleur moyen, et souvent le seul, d’assurer l'accès à un recours effectif. Comme l'indique le Rapporteur spécial dans son rapport, on ne peut remédier à la violation de l'intégrité physique d'un enfant qui a été exposé à des substances toxiques. Les États et les entreprises ont une responsabilité partagée en matière de prévention de l'exposition des enfants aux substances toxiques. Les bonnes pratiques devraient inclure des dispositions juridiques relatives à des mesures de précaution ou de prévention dans l'intérêt supérieur de l'enfant au lieu de privilégier les profits des entreprises en utilisant des substances chimiques industrielles qui n'ont pas été testées. Dans le cas où des mesures préventives n'auraient pas été prises, les États devraient être tenus pour responsables et les victimes de violations devraient avoir accès à des procédures de recours.

Les entreprises doivent également mettre l’accent sur la prévention de l’exposition aux substances chimiques. Cela nécessitera la modification, la cessation ou le transfert de certaines activités présentant des risques impossibles à gérer ou tout simplement inconnus pour les enfants. Les États devraient encourager les entreprises innovantes qui se préoccupent de la sécurité des produits de consommation destinés aux enfants.

  1. Privilégier la protection des enfants dans l’élaboration des législations et des politiques : il est du devoir des États parties à la Convention relative aux droits de l'enfant de prendre des mesures législatives et administratives pour atteindre cet objectif.

Par exemple, la protection des enfants dans les localités à haut risque ou leurs alentours, en particulier les zones industrielles et d'agriculture intensive, devrait être garantie en réformant les méthodes de production et en empêchant l’émission de substances toxiques dans l'environnement écologique et humain.

 

La priorité nationale devrait également être de maîtriser les moteurs économiques engendrant le déversement des produits toxiques, que ce soit avec ou sans l'appui des entreprises qui en tirent avantage, par le biais de mesures législatives et de mécanismes d’application et de responsabilisation efficaces.

 

  1. Renforcer le contrôle des substances hautement toxiques au niveau mondial et national : cela concerne notamment les métaux lourds, l'amiante, et l’aide apportée aux pays en voie de développement économique dans la pleine mise en œuvre de ces contrôles. Le caractère mondial du défi, en ce compris la nature transnationale des structures des entreprises et des relations commerciales, exige une solide coopération internationale.

  2. Responsabiliser les entreprises : il relève de la responsabilité des entreprises, tout comme de celle des financiers et des investisseurs, d’empêcher l’exposition des enfants aux substances toxiques. Les activités commerciales sont directement et indirectement responsables de la plupart des expositions des enfants aux substances toxiques. De nombreux secteurs d'activité sont directement ou indirectement impliqués dans la production, l'utilisation, le rejet ou l'élimination de substances dangereuses. Les entreprises doivent exercer une diligence raisonnable en matière des droits de l’enfant, comme l'exige l'Observation générale no 16 du Comité sur les droits de l'enfant. Dans le cas où il ne serait pas fait preuve d'un certain degré de diligence raisonnable en matière des droits de l’homme, les dirigeants d'entreprise peuvent faire l’objet de poursuites pénales.

  1. Permettre l’accès à la justice : l'accès aux procédures de recours et aux réparations en cas de violation des droits est crucial et doit faire partie de ce cadre.

Les pollueurs continueront d'agir en toute impunité tant qu'ils le pourront; les coûts auxquels ils s’exposent en portant atteinte aux enfants du fait de leurs activités doivent être supérieurs à leurs profits. C’est pourquoi il est primordial que les enfants et leurs défenseurs bénéficient, conformément à leurs droits légaux, de moyens efficaces et accessibles leur permettant de tenir les pollueurs pour légalement responsables. En particulier, il faut s’assurer que les enfants sont en mesure d’intenter une action en justice, que les victimes peuvent être soignées et indemnisées de manière adéquate et qu’une telle situation ne puisse pas se reproduire.

 

Les États ont le devoir de veiller à ce que les enfants aient accès à un recours effectif en cas de violation de leurs droits, en ce compris celles dues à l'exposition à des substances toxiques. Cependant, porter plainte pose de nombreux défis aux victimes de l’exposition aux substances dangereuses et aux déchets, en particulier aux enfants, en raison de leur statut spécial et dépendant. Parmi ces défis figurent notamment:

  • le manque de sensibilisation sur le fait que les maladies des victimes pourraient avoir été causées par leur exposition à des produits chimiques toxiques ou à la pollution durant leur enfance ;

  • la charge de la preuve placée sur les enfants, et notamment la nécessité d'établir un lien de causalité : cette charge incombe aux victimes afin de prouver qu'un produit chimique toxique leur a causé un préjudice. Il n’incombe pas aux entreprises, qui tirent profit de ces activités, de prouver qu'elles ne causent aucun préjudice ;

  • les renseignements fondamentaux au sujet des substances dangereuses et de leur utilisation qui n'ont pas été fournis ou qui sont confidentiels ;

  • le défi de l’identification des responsables ;

  • la faiblesse ou l'inexistence d'une législation empêchant l’exposition des enfants à la pollution et aux produits chimiques toxiques, et permettant d'accéder à un recours effectif contre l’exposition et la contamination environnementale ;

  • les frais de représentation juridique pour les codemandeurs.

 

Différents types d'actions et d’outils pratiques devraient être développés afin de permettre aux enfants victimes d'obtenir des recours, mais aussi de prévenir la récurrence des violations en veillant à ce que les lois et les politiques futures respectent leurs droits. Les outils suivants devraient se révéler particulièrement pertinents dans le contexte des dommages environnementaux :

 

Actions collectives et litiges de groupe : ils permettent à un certain nombre de requérants ou de victimes de conjointement intenter une poursuite ou de déposer une plainte. Ils représentent un moyen efficace de contester des violations généralisées ou à grande échelle telles que celles résultant de dommages environnementaux tout en réduisant la charge pesant sur chaque enfant victime. Pourtant, moins de la moitié des États du monde permettent les litiges collectifs dans certains contextes et environ 15 % seulement permettent une action collective à tous les niveaux.

 

Équité intergénérationnelle : ce concept est également essentiel pour assurer la protection des groupes vulnérables, en particulier les enfants. En substance, le principe indique qu'il devrait y avoir une justice distributive entre les générations et que les droits des différentes générations devraient être égaux au fil du temps. Ce concept a été sous-développé en droit national, mais il a joué un rôle important en ce qui concerne les litiges dans plusieurs pays, dont les Philippines, où il a été utilisé pour permettre des actions collectives aux fins d'application des bénéfices pour les futures générations. Le principe revêt une importance particulière dans le contexte des questions liées à la contamination des ressources naturelles par des substances dangereuses, afin d'atténuer les politiques à court terme qui affectent la réalisation des droits des futures générations.

 

Protection des coûts d'intérêt public : l'un des plus grands obstacles à l'accès des enfants à la justice est la charge financière. La justice peut s'avérer coûteuse, mais l'incapacité à financer un dossier ne devrait empêcher personne de demander justice pour des violations de droits subies. Étant donné que l'aide juridictionnelle est pratiquement inexistante pour les types d'affaires civiles ou administratives d'intérêt public qui sont susceptibles d'être utilisées pour déférer des affaires environnementales, d'autres mécanismes devraient être mis en place pour encourager ces actions collectives d'intérêt public.

Le principe général prévoit souvent que la partie déboutée dans un litige doit payer les frais de justice raisonnables de la partie obtenant gain de cause. Pour supprimer cette charge dans les affaires d'intérêt public, l'un des mécanismes dont disposent les tribunaux pour garantir l'accès à la justice est l'octroi d'une ordonnance relative aux frais de protection. Ce mécanisme, qui consiste à exclure ou à limiter la responsabilité des frais des plaideurs dans le domaine de l'intérêt public, est déjà accessible dans certains pays pour les affaires environnementales, notamment au Royaume-Uni. Développer cette pratique permettrait de faciliter considérablement l’accès à la justice des victimes des substances et déchets dangereux.

 

La charge de la preuve incombe généralement aux victimes, et non aux gouvernements ou aux entreprises qui utilisent, produisent ou rejettent des substances dangereuses finissant par polluer et souvent nuire aux enfants. Imposer cette charge aux victimes des effets des produits chimiques toxiques pour qu'ils prouvent la cause de leur maladie peut présenter une grave injustice. Afin de réduire la charge de la preuve qui pèse sur les victimes, le Rapporteur spécial sur les droits de l'homme et sur les substances toxiques recommande aux États d'étudier les moyens pour équilibrer au mieux le droit des victimes à la justice et au recours. Il explique qu’un cadre de réglementation efficace qui surveille l’information sur la fabrication, la vente, l’utilisation, le commerce, le rejet ou l’élimination des substances dangereuses pourrait réduire l’obstacle que constitue l’obligation de démontrer le lien de causalité. Le Rapporteur spécial souligne en outre qu'une plus grande responsabilité des entreprises - qui ont accès à l'information pertinente et ont le contrôle et le pouvoir de la produire - peut favoriser le développement et l'adoption d'alternatives plus sûres qui comportent moins de risques d’abus des droits de l'homme. Les cadres réglementaires devraient également assurer des « niveaux sécuritaires » de produits chimiques rejetés dans l'environnement ainsi que des « niveaux sécuritaires » d'exposition spécifiques pour les enfants, compte tenu de leur vulnérabilité particulière sur la base de conditions réelles, les enfants étant exposés à de multiples substances pendant les périodes sensibles de leur développement. Avec de telles réglementations en vigueur, il serait plus difficile pour les responsables d'échapper à leurs responsabilités.

 

Ressources utiles :

  • Article du CRIN sur les Lignes directrices de bonnes pratiques du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et sur les substances toxiques (mai 2017).

  • Article du CRIN sur Eau et substances toxiques pour le rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’eau potable et à l’assainissement (avril 2017).

 

Les organisations qui défendent la cause d'un avenir sans toxicité :

 

  • IPEN est un réseau mondial d'ONG d'intérêt public dans le domaine de la santé et de l'environnement pour éliminer les dangers liés aux produits chimiques toxiques dans le monde entier. L'IPEN aide à renforcer la capacité de ses organisations participantes à influencer les politiques locales, à sensibiliser le public aux substances toxiques et à aider leurs gouvernements à mettre en œuvre les politiques internationales, telles que les traités sur les produits chimiques et autres accords politiques sur la sécurité des produits chimiques.

  • Basel Action Network (BAN) est une organisation militante en faveur de l'abolition du commerce des déchets toxiques. Elle s'emploie à défendre la santé et la justice environnementales à l'échelle mondiale en mettant fin au commerce des produits toxiques, en promouvant un avenir sans produits toxiques et en faisant campagne pour le droit à un environnement sain pour tout le monde.

  • Ban Toxics est une ONG qui travaille sur les questions liées aux produits chimiques toxiques, aux déchets et à la justice environnementale, principalement aux Philippines. Elle s'emploie à promouvoir la sensibilisation aux produits chimiques nocifs et la gestion saine des produits chimiques à tous les niveaux, au moyen d'un engagement politique avec les organismes gouvernementaux et les décideurs politiques, de projets sur le terrain avec les communautés, leur principal objectif étant la gestion saine du mercure.

  • Pesticide Action Network International (PAN) est un réseau d'organisations non gouvernementales, d'institutions et de particuliers dans plus de 90 pays qui s'efforcent de remplacer l'utilisation de pesticides dangereux par des alternatives plus écologiques plus juste socialement. Elle est organisée en cinq centres régionaux indépendants qui collaborent à la mise en œuvre de ses projets et de ses campagnes dans le monde entier.

  • ClientEarth (Royaume-Uni) et « Justice and environment » est un réseau de 13 organisations à travers l'Europe travaillant sur un projet « d'accès à la justice pour une Europe plus verte », qui se concentre sur la sensibilisation aux possibilités juridiques auxquelles les citoyens et les ONG ont accès pour aider à protéger l'environnement par l'accès à la justice.

  • The Access Initiative (TAI) est un réseau d'organisations qui s'efforcent de créer un monde où tous les individus sont en mesure d'exercer de manière significative leurs droits à l'information, à la participation du public et à la justice dans les décisions touchant l'environnement.

  • Women in Europe for a common future (WECF) est un réseau international d'organisations de femmes et de la société civile qui plaident en faveur d'alternatives non chimiques dans le monde entier, sur la base de trois principes : pollueur-payeur, renversement de la charge de la preuve et principe de précaution. WECF se concentre en particulier sur l'environnement intérieur des bébés et des enfants et sur l'implication des parents, des soignants, du personnel médical et des décideurs pour sensibiliser aux menaces et créer des environnements sûrs, notamment en ce qui concerne les produits chimiques dangereux. L'un de leurs projets  Safe Toys Coalition vise à protéger la santé des enfants en luttant pour un monde sans jouets toxiques et dangereux.

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Décembre 2018

 

Version française traduite par les étudiants du Master de traduction spécialisée multilingue de l’Université Grenoble-Alpes, France (2018-2019).

 

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