Soumis par Louise le
La vague de violence qui s’est déclenchée en décembre 2012 en République centrafricaine (RCA) a ravagé le système éducatif déjà fragile du pays. Selon une évalua- tion publiée par le Cluster Éducation en avril 2015, environ 29,6 % des 335 écoles étudiées ont été attaquées et 8,4 % ont été utilisées par des groupes armés et par des forces de maintien de la paix internationales entre 2012 et avril 2015. En février 2014, 65 % des écoles étaient fermées.3 Malgré des progrès significatifs dans la réouverture des écoles pour l’année scolaire 2014-2015, des groupes armés continuent d’entraver le droit à l’éducation des enfants en pillant les écoles, en menaçant les élèves et les enseignants, en attaquant des zones sans épargner les écoles ainsi qu’en contribuant à un climat général d’insécurité. En 2014, les Organisation des Nations Unies (ONU) ont mentionné l’ex-Séléka ainsi que les groupes armés associés dans le rapport annuel du Secrétaire général sur les enfants et les conflits armés pour des attaques contre des écoles commises en RCA en 2013.4 Les groupes armés, et dans certains cas les missions de maintien de la paix internationales, ont aussi utilisés les écoles comme bases temporaires et pour d’autres fonctions logistiques et opérationnelles.
Watchlist on Children and Armed Conflict (Watchlist) a mené une mission de recherche de cinq semaines en RCA afin d’enquêter et de faire la lumière sur le nombre élevé d’attaques ainsi que l’utilisation militaire des écoles, et de formuler des recommandations pour réaliser le droit des enfants à l’éducation.
La nature des attaques contre les écoles varie selon la préfecture, selon les groupes opérant dans la région et selon le niveau de conflit actif. Bien que l’intensité de la violence et le nombre d’attaques signalées contre les écoles ont diminué par rapport au nombre d’attaques qui ont eu lieu entre la fin 2012 et 2014, certaines écoles restent encore en danger d’attaque, en particulier dans les zones de conflit actif.
Le plus souvent, les écoles sont pillées par des groupes armés. Ils ont complètement dépouillé certaines écoles, emportant des portes, des bureaux, des toits, des livres et du matériel de bureau. Ces derniers mois, des groupes armés ont pris pour cible des écoles remises en état récemment, en particulier pour s’emparer de la nourriture fournie par des programmes d’alimentation et des kits d’éducation précieux fournis par les agences humanitaires.
En outre, les groupes armés ainsi que des personnes utilisant leur statut d’association avec des groupes armés ont menacé et attaqué des élèves et des enseignants sur le chemin de l’école ou sur les lieux scolaires. Watchlist a enquêté sur des cas de menaces ciblées contre des directeurs d’école en raison de la réouverture des écoles ou pour avoir pris des mesures qui interféraient avec les activités du groupe. Parfois, des membres présumés de groupes armés, agissant à titre privé, ont menacé des enseignants qui avaient sanctionné des membres de leur famille à l’école. Dans d’autres cas, des groupes ont accusé des élèves et des enseignants, qui traversent des territoires contrôlés par différents groupes armés afin de fréquenter l’école, de fournir des informations à un groupe adverse. Dans le cas le plus grave étudié par Watchlist, un groupe armé a attaqué des troupes de maintien de la paix stationnées à proximité d’une école secondaire à Bangui où de nombreux élèves auraient été utilisés comme boucliers humains. Quatre-vingt élèves, âgés de moins de 18 ans, qui ont été impliqués dans l’attaque, auraient été emmenés dans des centres médicaux pour recevoir des soins.
Depuis le début du conflit à la fin de 2012, des groupes armés et des forces internationales ont utilisé les écoles comme bases pour leurs activités, contribuant à des dommages importants causés aux établissements scolaires, exposant les élèves ainsi que les enseignants au danger d’attaque, et limitant le droit des enfants à l’éducation. Les deux groupes armés ex-Séléka et anti-Balaka ont utilisé des établissements scolaires pour leurs activités. Parfois, leur présence dans une ville a complètement empêché les écoles d’ouvrir. En outre, si le déploiement des forces de maintien de la paix a contribué à sécuriser de nombreuses régions, ces troupes ont également uti- lisé des écoles au cours de leurs opérations, contribuant à des dommages causés aux établissements scolaires.
En octobre 2014, la Mission intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations Unies en République centrafricaine (MINUSCA) a installé des policiers dans une école à Bangui pour protéger les élèves, les ensei- gnants et la communauté environnante, suscitant des débats entre les acteurs humanitaires et les forces de maintien de la paix sur l’utilisation d’agents de police de la MINUSCA pour la protection des écoles.
Enfin, la crainte permanente d’attaques a un effet dissuasif sur le droit des enfants à l’éducation. Watchlist, par exemple, a constaté qu’à la suite de la réouverture officielle des écoles en novembre 2014, les élèves musul- mans ne se sont pas inscrits à l’école dans la même proportion qu’avant la crise. Ceci est en partie dû au fait que les quelques musulmans restants en RCA ont parfois trop peur de laisser leurs enfants sortir de leurs quar- tiers, même s’il n’y existe pas d’options de scolarisation. Pour les élèves et les enseignants qui sont en mesure de retourner à l’école, les rumeurs ou les menaces d’attaques entravent la fréquence de la participation. Plusieurs régions instables manquent d’enseignants qualifiés et les écoles en dehors de Bangui sont largement tributaires des maîtres-parents (les professeurs volontaires de la communauté).
À la lumière de ces obstacles, le gouvernement de transition de la RCA et la communauté internationale devraient prendre des mesures pour renforcer la sûreté et la sécurité de l’environnement scolaire.
Le gouvernement devrait renforcer le cadre législatif et judiciaire existant pour que les auteurs d’attaques contre des écoles soient tenus de rendre des comptes. L’absence de l’État de droit dans de nombreuses parties de la RCA a conduit à des niveaux élevés d’impunité. En juin 2015, le gouvernement de transition de la RCA a fait son premier pas important vers l’amélioration des protections pour les écoles et les universités, en signant la Déclaration sur la sécurité dans les écoles et en s’engageant à mettre en œuvre les Lignes directrices pour la protection des écoles et des universités contre l’utilisation militaire durant les conflits armés (Lignes direc- trices).5 Suite à cette approbation, le gouvernement devrait envisager d’interdire l’utilisation des écoles à des fins militaires ou, au moins, d’intégrer les Lignes directrices dans la législation et la doctrine militaire exis- tantes, ou de promulguer une nouvelle législation ou de nouvelles politiques qui mettent en œuvre les Lignes directrices. Il devrait également ratifier le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés ainsi que la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, qui toutes deux offrent diverses protections pour les enfants touchés par les conflits. Pour promouvoir la justice pour les attaques contre les écoles, le gouvernement, avec le soutien de la communauté internationale, devrait prendre des mesures pour renforcer le fonctionne- ment du système judiciaire, intégrer le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (Statut de Rome) dans son code pénal et engager des poursuites contre les individus qui enfreignent la loi devant les tribunaux nationaux et la Cour pénale spéciale (qui aura compétence pour enquêter sur les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le génocide commis sur le territoire de la RCA depuis 2003). Pour assurer une surveillance durable des attaques et de l’utilisation militaire des écoles, les agences mettant en œuvre le Mécanisme de surveillance et de communication de l’information dirigé par l’ONU (MRM) devraient formaliser un système de réception, de vérification et de réponse aux alertes d’attaques pour les acteurs de l’éducation. Le gouvernement de transition de la RCA peut également jouer un rôle accru dans la surveillance des attaques contre les écoles, les élèves et les enseignants par la reconstruction des bureaux administratifs afin que les fonctionnaires du gouvernement soient en mesure de procéder à la collecte des données, et en continuant à explorer l’utilisation d’EduTrac, un système de SMS conçu pour recevoir des données relatives à l’éducation en temps réel, afin d’obtenir des alertes précoces d’attaques ou d’usage militaire des écoles.
Dans le cadre des efforts humanitaires pour rétablir l’éducation, l’ONU et les acteurs non onusiens, notamment les bailleurs de fonds, devraient développer des activités répondant à l’insécurité qui persiste au sein et autour des écoles. Cela comprend l’amélioration de la sécurité entourant les écoles par le biais de patrouilles de main- tien de la paix actives dans les zones où des écoles ont été menacées ou attaquées, ainsi que le renforcement de la sécurité physique des locaux scolaires. Pour atténuer les dangers auxquels sont confrontés les enfants sur le trajet de l’école, les éducateurs et le personnel humanitaire devraient organiser les enfants pour qu’ils aillent à l’école en petits groupes, en portant éventuellement des sifflets pour leur protection. Plusieurs personnes interrogées ont également appelé à la nécessité de développer des plans de contingence et de protection civile avec les parents, de sorte que les parties connaissent les mesures à prendre dans le cas d’une attaque.
En outre, certaines personnes interrogées ont appelé à la nécessité pour les élèves et les enseignants, avec le soutien de réseaux de protection de l’enfance et de bénévoles, de développer des outils pour résoudre les problèmes psychologiques difficiles.
L’ONU peut appuyer ces efforts en s’assurant que les forces de maintien de la paix reçoivent une formation exhaustive pré-déploiement et sur le terrain en matière de protection et des droits des enfants, conformément au Matériel de formation spécialisée sur la protection de l’enfance du Département des opérations de maintien de la paix (DOMP), et développer des procédures opérationnelles permanentes (POP) rappelant les obligations des forces de maintien de la paix en matière de protection de l’enfance. Ils devraient également sensibiliser les groupes armés sur les attaques et l’usage militaire des écoles et chercher à obtenir des engagements de la part des groupes armés à cesser et prévenir ces violations et exactions. L’ONU devrait également remettre en état les écoles utilisées par les forces de la MINUSCA et recommander que les personnes qui effectuent des attaques persistantes contre les écoles fassent l’objet de sanctions par le biais de son régime de sanctions inscrit dans la résolution 2127.
Garantir le droit des enfants à l’éducation est une étape fondamentale dans la transition du pays vers la paix et dans la prévention de la résurgence de la violence à l’avenir.