RDC : rapport d'HRW sur la prise pour cible d'écoles

Résumé

Pour de nombreux enfants dans l'est de la République démocratique du Congo désireux d'étudier, la présence d'hommes armés dans leur école est une image bien trop familière. Tandis que le pays est aux prises avec des combats entre les divers groupes armés et les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), les violences commises par les troupes dans les écoles et alentour ont de graves conséquences pour la sécurité des étudiants, des enseignants et des administrateurs, compromettant en outre la capacité des élèves à apprendre.

Le présent rapport décrit la manière dont les écoles sont devenues la cible des attaques menées par les groupes armés engagés dans des conflits armés dans l’est de la RD Congo. Les parties belligérantes ont aussi enrôlé illégalement des enfants, y compris par la force, soit dans les écoles ou lorsqu'ils s'y rendaient, pour les utiliser soit au combat soit dans des rôles d'appui pour les combats. Ils ont enlevé d'innombrables jeunes filles à l'école pour les violer ou les réduire à l'état d'« esclaves sexuelles ». La peur de l'enlèvement et des violences sexuelles empêche beaucoup d'enfants d'aller à l'école. Les parents ne scolarisent parfois pas leurs enfants de peur que les groupes armés ne leur demandent le paiement de « taxes » officieuses imposées aux civils.

L'armée congolaise et les groupes armés non étatiques se sont également emparés des écoles à des fins militaires. Parfois, ils ne prennent que quelques classes ou la cour derécréation ; d'autres fois, les armées convertissent une école entière en base militaire, casernes, terrains d'entraînement ou dépôts d'armes et de munitions. Les troupes qui occupent les écoles exposent élèves et professeurs à des risques tels que le recrutement illégal, le travail forcé, ainsi que les violences sexuelles. L'utilisation des écoles à des fins militaires détériore, endommage et détruit les infrastructures scolaires déjà insuffisantes et de piètre qualité. Les combattants qui occupent les écoles brûlent fréquemment les murs en bois, les bureaux, les tables et les livres qu'ils utilisent comme combustible pour la cuisine et le chauffage. Les toits de tôle
et autres matériaux sont pillés et démantelés pour être vendus à des fins de gain
personnel par les soldats.

L'utilisation des écoles à des fins de déploiements militaires peut entraîner davantage de dégâts causés aux bâtiments eux-mêmes du fait qu'ils deviennent une cible légitime pour l'ennemi. Même une fois les locaux évacués, l'école peut demeurer dangereuse pour les enfants si les troupes laissent derrière elles armes et munitions non utilisées. Dans un pays déjà déficient en matière d'accès à une éducation de qualité, de tels dommages causés aux écoles en raison de leur utilisation à des fins militaires, constitue un obstacle aux perspectives d'éducation et à l'avenir des étudiants. Selon le ministère de l'Éducation congolais, la province du Nord-Kivu, dans l’est de la RD Congo, avait le plus haut pourcentage d'enfants en âge d'aller à l'école non scolarisés de toutes les provinces du pays en 2012. Les probabilités pour un enfant vivant dans la province du Nord-Kivu de ne jamais aller à l'école sont plus importantes que pour un enfant né partout ailleurs dans le pays.

Bien que la situation des enfants du Sud-Kivu soit légèrement meilleure, la peur de la criminalité et du conflit dans les deux parties de la province est une raison souvent invoquée pour expliquer le fait que les enfants abandonnent l'école ou qu'ils n'y sont jamais allés de leur vie. En période de conflit et d'insécurité, le maintien à l'accès continu à l'éducation revêt une importance cruciale pour les enfants. À condition d'être des environnements sûrs et protecteurs, les écoles procurent un sentiment de normalité qui est essentiel au développement de l'enfant et à son bien-être psychologique. Les écoles sont également source d'informations importantes sur la sécurité et d'accès à certains services. Partout auCongo, les parents montrent en permanence l'importance qu'ils accordent au fait que leurs
enfants reçoivent une éducation, rassemblant les moyens requis pour payer les frais et autres dépenses nécessaires à l'inscription de leurs enfants. Même lorsque les écoles sont endommagées ou détruites, les communautés trouvent souvent d'autres solutions par eux-mêmes, faisant l'école dans les églises ou des abris de fortune fabriqués à l'aide de bâtons et de bâches.

Du fait que de nombreuses écoles situées dans la partie est de la RD Congo sont
construites grâce aux fonds collectés auprès des membres de la communauté locale plutôt qu'avec les fonds gouvernementaux, la perte d'une infrastructure scolaire représente une perte immédiate et concrète de l'investissement communautaire, ce qui a des répercussions sur l'avenir du fait de la perte continue de l'éducation des enfants.

Le gouvernement congolais devrait mener des enquêtes impartiales et engager des
poursuites de manière appropriée à l'encontre des membres de l'armée et des
commandants des groupes armés responsables du recrutement ou de l'enlèvement d'enfants et autres violations des droits humains et du droit international humanitaire, notamment les attaques illégales visant les écoles, les élèves et les enseignants. Conformément à la résolution 2225 du Conseil de sécurité des Nations Unies, le gouvernement congolais devrait en outre prendre des mesures concrètes afin de dissuader l'utilisation des écoles à des fins militaires. Il devrait signer rapidement la « Déclaration sur la sécurité dans les écoles », déjà entérinée par 49 pays au mois d’octobre 2015 et dont l'objectif est de protéger l'éducation contre les attaques. De plus, il devrait revoir ses politiques, pratiques et formations militaires afin de garantir, à tout le moins, leur adéquation par rapport aux protections énoncées dans les « Lignes directrices pour la protection des écoles et des universités contre l'utilisation militaire durant les conflits armés » qui donnent des orientations aux parties à un conflit armé quant à la manière d'éviter d'empiéter sur la sécurité et l'éducation des élèves.

Le présent rapport se fonde sur des entretiens menés avec plus de 120 personnes,
notamment des élèves, enseignants, parents, administrateurs d'école, responsables de villages, chefs religieux, représentants du ministère de l'Éducation. Fonctionnaires del’ONU, ainsi qu’avec des membres d'organisations congolaises et internationales non gouvernementales (ONG) basées dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Les attaques visant des écoles et leur utilisation à des fins militaires par les combattants ont fortement augmenté début 2012, lorsque l'émergence d'un important nouveau groupe de rebelles, le M23, a conduit à l'intensification des opérations par l'armée congolaise, d'une part, et à l'accentuation de l'activité et des attaques contre les civils par de nombreux autres groupes armés dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, d'autre part. La rébellion d'une durée de 19 mois prit fin début novembre 2013, après que l'armée congolaise et les
forces de maintien de la paix de l'ONU, notamment une nouvelle brigade d'intervention internationale mandatée pour neutraliser les groupes armés, causèrent la défaite du M23 sur le champ de bataille.

Toutefois, la défaite militaire du M23 ne marqua pas la fin des hostilités dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, car de nombreux autres groupes armés continuent à opérer dans ces provinces.
Human Rights Watch a mis en évidence les attaques visant les écoles ou l'utilisation des écoles à des fins militaires par l'armée congolaise, le M23, divers groupes de milices hutus congolais connus sous le nom de Nyatura, les groupes Mai Mai Sheka et d'autres groupes Mai Mai, et les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda ( FDLR), un groupe armé à dominante hutu rwandaise dont certains membres ont participé au génocide du Rwanda en 1994. À travers tout la RD Congo en 2013 et 2014, les Nations Unies ont vérifié les attaques menées contre les écoles, le pillage dont elles ont fait l'objet ou l'utilisation des écoles à des fins militaires par l'Alliance des forces démocratiques (ADF), l'armée congolaise, les FDLR, la Force de résistance patriotique en Ituri (FRPI), le M23, Mai Mai LaFontaine, Mai Mai Yakutumba, les groupes Nyatura, l'Alliance du peuple pour un Congo libre et souverain (APCLS), le groupe Raia Mutomboki et l'Union des patriotes congolais
pour la paix (UPCP).

Les attaques perpétrées contre des écoles qui ne sont pas utilisées à des fins militaires, délibérées et indiscriminées, constituent des violations du droit international humanitaire et des lois de la guerre. Ceux qui commettent ou commandent de telles attaques avec une intention criminelle sont coupables de crimes de guerre.

L'utilisation des écoles à des fins militaires peut également entraîner des violations du droit international humanitaire et des droits humains. Les lois de la guerre exigent des parties à un conflit qu'elles prennent toutes les précautions nécessaires pour protéger la population civile et les objets civils tels que les écoles placés sous leur contrôle contre les effets des attaques. En outre, chacune des parties à un conflit doit éloigner des objectifs militaires, dans la mesure du possible, les civils placés sous leur autorité. Par conséquent, l'utilisation simultanée d'une école comme base militaire, caserne ou position de tir et de centre éducatif est illégale.
De plus, le droit international relatif aux droits humains applicable en temps de paix
comme en temps de guerre, garantit le droit des élèves à l'éducation. Du fait que
l'utilisation généralisée d'une école par des forces armées ou des groupes armés affecte la capacité des enfants à suivre les cours dans un environnement propice aux apprentissages, cela constitue une menace à leur droit à l'éducation tel qu'il est garanti aux termes du droit international sur les droits humains et de la constitution congolaise.

Aussi brève soit-elle, l'utilisation des écoles peut les rendre simplement inopérantes.
Davantage d'attention, tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle internationale, est portée sur les conséquences négatives de l'utilisation des écoles à des fins militaires. L'armée congolaise et le ministère de Défense ont commencé à examiner le développement de protections explicites des écoles contre l'utilisation militaire. Après l'occupation par des soldats de l'armée congolaise de dizaines d'écoles dans la zone autour de Minova à la suite de la prise de contrôle de Goma par le groupe rebelle M23 en novembre 2012, le commandant militaire du Nord-Kivu a ordonné à tous les soldats d'évacuer les écoles.

Début 2013, le ministre de la Défense congolais de l'époque, Alexandre Luba Ntambo, a publié une directive ministérielle pour l'armée congolaise énonçant que l'ensemble des personnels militaires reconnus coupables de réquisitionner les écoles à des fins militaires seraient passible de sanctions pénales et disciplinaires sévères. Pourtant, Human Rights Watch n'a pas connaissance d'une quelconque législation existante ou d'une doctrine militaire interdisant ou régulant de manière explicite la pratique de l'utilisation des écoles à des fins militaires, a fortiori d'une législation faisant de cette pratique une infraction criminelle.

Tandis que les enfants congolais luttent pour se remettre des traumatismes générés par les violences subies dans leurs villages, leurs foyers et leurs écoles, la responsabilité première du gouvernement est d'assurer aux communautés qui ont perdu leurs infrastructures scolaires en raison de leur occupation et de leur utilisation par les forces gouvernementales et les groupes armés, les ressources pour réparer et reconstruire les établissements d'enseignement. Le gouvernement devrait aussi aider à protéger les enfants contre de futures incursions dans leurs écoles en adoptant des lois ou règlements interdisant explicitement aux forces et aux groupes armés l'utilisation et l'occupation des écoles, des cours de récréation ou autres installations scolaires d'une manière qui menacerait les civils ou les objets civils ou qui enfreindrait le droit des enfants à l'éducation en vertu du droit international relatif aux droits humains. Cela s'inscrirait dans le droit fil de la résolution 2225 du Conseil de sécurité des Nations Unies adoptée en juin 2015 qui encourage tous les États à prendre des mesures concrètes pour dissuader l'utilisation des écoles à des fins militaires.

Les groupes armés non étatiques devraient également adopter et publier des politiques visant à bannir l'utilisation des écoles par leurs forces. L'accès des enfants à l'éducation est plus souvent une lutte qu'un droit dans de nombreux
territoires de la RD Congo. Ramener les élèves à l'école est essentiel à la protection des enfants et devrait être au cœur des efforts visant à construire une paix durable au Congo.

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