RAPPORT : What Lies Beneath

En tant qu'ONG, nous posons-nous assez souvent la question de savoir si ce que nous faisons est bien ce que nous devrions faire ? Notre travail est-il nécessaire, répond-t-il à un besoin ?  Nous nous sommes posé la question, et avons écrit un rapport à ce propos. 

Télécharger le rapport (en anglais)

Nous en avons traduit ci-dessous quelques extraits en français : 

Chacun de ses thèmes a fait l'objet, d'avril à juillet 2018, d'une édition spéciale du bulletin en français, dont les archives sont consultables à cette adresse.


À qui de droit

Ceci n’est pas un rapport annuel. N’attendez pas un traditionnel résumé de nos actions ni un bilan mettant en valeur notre formidable impact. Rien de tout cela n’améliorera notre monde, alors pourquoi continuer à le faire ? Ne vous méprenez pas pour autant : pas de défaitisme de notre part, mais une vision nouvelle.

Bien souvent, on dirait que les ONG, et CRIN en particulier, ne sont là que pour se lamenter sur ce qui ne va pas dans le monde, et pour nourrir le désespoir des gens sur le manque de respect pour les droits de l’enfant et le manque de considération pour leur statut de détenteurs de ces droits. Mais les comptes-rendus de malheurs conduisent à un sentiment d’impuissance, et une telle approche des droits de l’enfant fait facilement sombrer dans un désespoir confortable. Cela doit changer, sans quoi nous en viendrons à avoir du mal à justifier notre propre existence.

Pour cela, nous devons commencer par changer nous-mêmes. Tous les ans, la situation mondiale des droits de l’enfant empire. Ce constat interroge notre action et sa nécessité. C’est une question que nous nous posons à CRIN, et que nous vous invitons à vous poser également. Nous voulons poser un regard critique sur les victoires et les échecs de CRIN, mais aussi plus généralement de la communauté des défenseurs des droits de l’enfant.

Alors encore une fois : ceci n’est pas un rapport annuel. C’est une invitation. Une invitation à rejoindre notre réflexion du moment, à un examen de notre approche des droits de l’enfant. Cela nous conduira peut-être à changer ce que nous faisons, comment et avec qui nous le faisons. Et dans un monde où le pragmatisme bride les actes et où nous faisons les choses seulement parce que c’est ce qui se fait dans notre secteur, nous pensons que deux éléments clés manquent à l’appel : l’idéalisme et la pensée critique.   

Se battre pour un monde plus juste pour les enfants n’est cependant pas le domaine réservé des ONG, c’est une responsabilité collective. Et comme dans tout mouvement, le pouvoir est justement dans le collectif.

En bref, nous voulons mieux définir ce pour quoi nous nous battons, plutôt que de ressasser ce contre quoi nous nous battons.

Mettons notre désespoir de côté, pensons différemment, et demandons-nous : si nous pouvions faire un changement pour créer un monde idéal et respectueux des droits, quel serait-il ?  

Ce rapport est notre point de vue sur cette question.

L’équipe de CRIN


Un tort politique

Retrouvez aussi notre édition spéciale du bulletin en français avec un tour d'horizon de l'actualité sur les droits politiques des enfants (avril 2018).

Les enfants jouissent d’un large éventail de droits, et pourtant certains, les droits politiques, brillent par leur absence. Ces droits, dont le plus emblématique, le droit de vote, sont une caractéristique de toute démocratie. Leur principal objet est de donner une voix à tous les citoyens, y compris ceux qui pourraient autrement ne pas être entendus. Sans droit de vote, les individus ne seraient pas en mesure d’influer sur leurs représentants politiques sur les sujets qui gouvernent leur vie et leur importent, et entre autres sur leurs droits humains et ceux des autres.

Qu’en est-il des enfants ? Il s’agit d’un groupe auquel on refuse systématiquement ce droit partout dans le monde. Pourquoi ? Parce qu’apparemment tous les enfants sans exception, soit quasiment le tiers de la population mondiale, sont irrationnels, incapable et trop jeunes. Tout comme les arguments utilisés dans le passé pour refuser aux femmes le droit de vote, cette généralisation démesurée ne nécessite apparemment aucune justification.

Un rapide tour d’horizon montre qu’aucun pays au monde n’accorde le droit de participer aux élections nationales aux moins de 16 ans, et que seule une minorité l’accorde aux enfants âgés de 16 à 18 ans lors d’élections nationales ou municipales. Alors que leurs libertés d’expression et d’association et leur droit à être entendu sont consacrés par le droit international, les occasions sont pour eux rares de faire entendre leur opinion et de les faire peser dans les processus décisionnels. En pratique, les enfants n’ont pas leur mot à dire dans les décisions qui influent sur leur vie. Et pour couronner le tout, ils ne peuvent même pas contester les conditions de leur exclusion de ces processus, justement parce qu’ils n’ont pas juridiquement la capacité de le faire.

Alors comment les enfants sont-ils intégrés dans l’affirmation de leurs droits ? Leur participation est prévue sous différentes formes et à des degrés variés, certaines formes de participation étant même qualifiées de “significatives” (par opposition à des formes insignifiantes ?). Certaines sont exclusivement menées par des enfants : comités étudiants, parlements de jeunes, manifestations pacifiques, et mêmes syndicats (par exemple, ceux de Bolivie et du Pérou ont un certain écho politique). Il existe également des initiatives menées par des adultes qui reposent sur la participation des enfants, par exemple des recherches menées par consultation, ou des rapports sur des problèmes rencontrés par les enfants.

Ces formes de participation ont toutes une certaine valeur (certaines plus que d’autres), et placent les enfants dans une position d’influence (à des degrés variables). Mais sont-elles à la hauteur du droit de vote ? Combien d’entre nous accepteraient d’avoir le droit de participer par tous ces moyens, sauf par le vote ? Sans doute aucun d’entre nous, parce que nous aimons nos droits politiques et que l’idée d’en être privés est un affront à notre conscience et à nos valeurs démocratiques. Cela s’applique au vote des enfants : les autres formes de participation ne devraient pas détourner notre attention du fait que presque un tiers de la population n’a pas le droit de vote. L’ampleur de cette injustice parle pour elle-même, et c’est pourtant un problème qui est à peine évoqué par le plaidoyer dans le domaine des droits de l’enfant.

Qu’en est-il des ONG ? Comment comprennent-elles la participation et la manière de la réaliser ? Les réponses ne sont généralement pas encourageantes. Il existe bien sûr des organisations qui plaident pour un abaissement de la majorité électorale dans leur pays. Mais la plupart des organisations qui intègrent les enfants d’une manière ou d’une autre dans leur travail le font simplement pour la forme, par des mesures symboliques ou décoratives. Les premières peuvent consister par exemple en un petit discours prononcé par un enfant lors du lancement d’une campagne ou d’un rapport développés par des adultes, sans trop de considération pour les questions évoquées ou pour ce qu’elles apportent au projet. On peut croire dans ce cas qu’on a donné la parole à l’enfant, mais il n’existe en fait aucun garantie - ni même aucune indication - que cela soit plus qu’une occasion de prendre une photo. Les mesures décoratives vont plus loin dans le faux-semblant, et désignent les cas où le seul but de la participation des enfants est de déclencher une réaction émotive du public. Il s’agit par exemple des publicités télévisées qui utilisent des images d’enfants malades pour encourager les dons.

Le fait que cela soit fait avec les meilleures intentions du monde est hors de propos. Les ONG qui travaillent sur les droits de l’enfant devraient être plus critiques envers les formes de “participation” des enfants qui n’ont pas d’effets sur la réalisation de leurs droits. Après tout, c’est l’objectif final : transformer ce qui est en ce qui devrait être. En tant que défenseurs des droits de l’enfant œuvrant pour cet objectif, ne serait-il pas plus logique pour la communauté des ONG de collectivement reconnaître et défendre une forme de participation qui donnerait aux enfants un réel impact sur leur société ?

Les droits politiques sont un moyen pour les enfants d’exercer un droit tout en allant vers une amélioration de leurs autres droits. Donner aux enfants le droit de vote renforcerait leur capacité à se battre pour leurs propres droits, plutôt que de continuer à laisser cette responsabilité à des adultes, certes bien intentionnés mais éventuellement paternalistes. Le droit de vote des enfants ne mettrait pas fin aux violations de leurs droits, et ne résoudrait pas toutes les questions auxquelles ils font face. Mais il permettrait aux enfants d’utiliser leur vote pour compléter leur participation dans d’autres contextes et pour maximiser leur présence et leur influence. L’exclusion systématique des enfants de l’électorat ne fait pas que saper leurs droits et leurs engagements politiques : c’est aussi un énorme gaspillage de potentiel humain.

Pourquoi les enfants devraient avoir le droit de voter 

  • Parce que n'importe qui devrait pouvoir voter s'il est intéressé à le faire, quel que soit son âge;
  • Parce que le principe d'égalité déclare que tous les citoyens devraient avoir des droits et des chances égaux;
  • Parce que le fait de refuser le droit de vote à des groupes qui pourraient ne pas être entendus, y compris les enfants, est antidémocratique;
  • Parce que les interdictions générales de voter en fonction de l'âge constituent une discrimination fondée sur l'âge;
  • Parce que les objections contre le suffrage des enfants sont basées sur des idées préconçues, pas sur la raison ou les faits;
  • Parce que les enfants respectent la loi autant que les adultes, mais ils n'ont pas leur mot à dire dans le choix de la loi;
  • Parce que les lois affectant directement les enfants sont adoptées sans leur consultation;
  • Parce que le suffrage des enfants remettrait en question les suppositions datées et paternalistes des adultes concernant les enfants et leurs capacités;
  • Parce que le suffrage des enfants éclairerait les législateurs sur la vie, les expériences et les opinions des enfants et leur permettrait de prendre des décisions plus éclairées;
  • Parce que l'égalité politique exigerait que les politiciens prennent les enfants au sérieux et donnent à leurs opinions une considération et un respect égaux en tant que citoyens;
  • Parce que les études montrent que plus une personne est jeune au moment de voter, plus elle a de chances de voter les années suivantes, ce qui contribue à une plus grande participation civique des citoyens.

Retrouvez une carte du droit de vote des enfants dans le monde, nos manifestes et nos arguments dans le rapport What lies beneath.


Droits mutilés

Qu’est-ce que l’intégrité corporelle ? Les enfants en disposent-ils ? En quoi est-elle importante pour protéger leurs droits ?

Retrouvez aussi notre édition spéciale du bulletin en français avec un tour d'horizon de l'actualité sur l'intégrité corporelle (mai 2018).

Le principe d’intégrité corporelle recouvre le droit de chaque être humain (et donc des enfants) à l’autonomie et à l’auto-détermination par rapport à leur propre corps. En d’autres termes, seule la personne concernée a le droit de prendre des décisions concernant son propre corps, et personne d’autre. Un grand nombre de pratiques violent le droit des personnes à l’intégrité corporelle, de l’acte apparemment anodin consistant à percer les oreilles d’une petite fille aux traitements médicaux forcés. Les procédures invasives réalisées sans le consentement de la personne et sans motif médical constituent également une violation de l’intégrité corporelle. Cela inclut notamment les mutilations génitales féminines, les assignations sexuelles par la chirurgie, les stérilisations forcées ou contraintes, et la circoncision masculine systématique.
Les enfants sont affectés de manière disproportionnée par de telles violations de leur intégrité physique, ces pratiques étant généralement effectuées sur des enfants très jeunes, lorsqu’ils sont incapables de s’exprimer, de se défendre, et de donner (ou de refuser de donner) leur consentement.

De telles pratiques peuvent avoir un impact sérieux sur le plein exercice des droits de l’enfant. Elles peuvent entraîner des conséquences sur leur santé (infections, cicatrices, défigurations, amputations), voire causer leur mort, sans parler des traumatismes psychologiques. En dehors des conséquences physiques, ces pratiques violent également les droits civils, en particulier leur droit à exprimer leur opinion et à ce que celle-ci soit prise en considération, qu’il s’agisse de donner ou de refuser de donner leur consentement. Ces mutilations sont également des violations des droits civils lorsqu’elles sont pratiquées pour répondre à des attentes sociales, ou à cause de la religion, de la culture ou des traditions - celles des adultes, et non des enfants concernés.

Les pratiques qui emportent le soutien ou le silence de la majorité dans les pays où elles ont cours sont particulièrement inquiétantes. En effet, il est particulièrement difficile de les dénoncer pour ce qu’elles sont, des pratiques néfastes pour les enfants, et de les éradiquer, car cela implique de mettre en cause le statu quo. De nos jours, les violations les plus odieuses de l’intégrité corporelle, largement pratiquées et acceptées, sont celles qui concernent la partie du corps humain la plus sensible et la plus privée : l’appareil génital.

Les mutilations génitales féminines sont l’une des pratiques traditionnelles néfastes les plus reconnues et les plus contestées. Mais d’autres procédures impliquent une altération chirurgicale irréversible des organes génitaux des enfants sans raison médicale. Il s’agit des procédures d’assignation sur les enfants intersexes, des stérilisations forcées d’enfants présentant des troubles de l’apprentissage et de la pratique de la circoncision de manière routinière. Ces trois types de procédures sont légales dans la plupart des pays lorsqu’elles sont pratiquées sur des enfants. Les tests de virginité, bien que n’impliquant pas de mutilations comme les violations décrites ci-dessus, sont également une pratique invasive pratiquée sur les organes génitaux des filles sans raison médicale, et emportant le soutien de la majorité dans les pays les pratiquant. Pour répondre à ce statu quo, la section ci-dessous explique pourquoi ces quatre pratiques constituent une violation de l’intégrité corporelle des enfants.

Circoncision masculine systématique

La circoncision masculine est une procédure chirurgicale non réversible consistant à retirer le prépuce du pénis. Elle est pratiquée de manière routinière dans les communautés juives et musulmanes respectivement sur les nouveaux-nés et les adolescents; dans des communautés non religieuses de certains pays occidentaux (notamment aux États-Unis) sur les jeunes enfants en raison de conventions sociales; et dans certains groupes ethniques de certaines régions d’Afrique sur des adolescents, en tant que rite de passage. Lorsqu’elle est pratiquée pour des raisons culturelles ou religieuses, elle désigne une pratique médicalement non justifiée. La communauté médicale se prononce en fait de plus en plus contre la circoncision masculine de routine, ses fondements non thérapeutiques rendant la pratique contraire à l’éthique médicale. La pratique systématique de la circoncision masculine consiste donc à retirer du tissu sain de l’une des parties les plus sensibles du corps humain, sans raison médicale, exposant ainsi sans nécessité des enfants aux risques d’une intervention chirurgicale, et souvent à un âge où ils n’ont pas la capacité de donner ou non leur consentement. Les complications possibles incluent saignements, crises de panique, infections, cicatrices, necrose, amputation voire décès. Exposer un enfant à de tels risques sans raison thérapeutique va à l’encontre de l’éthique médicale et de la responsabilité parentale de protéger les enfants contre les préjudices et les blessures. Les activistes considèrent que la décision de circoncir ne peut être prise que par l’individu concerné lorsqu’il est en âge de donner un consentement libre et éclairé, ou de refuser de le donner.

Assignation d’un sexe aux enfants intersexes

Les personnes intersexes sont nées avec des caractères sexuels (appareil génital, chromosomes, gonades) qui ne correspondent pas entièrement à ce qui est considéré comme mâle ou femelle. Des procédures chirurgicales sont fréquemment pratiquées sur des bébés intersexes pour modifier leur appareil génital de manière à ce qu’ils correspondent plus aux catégories mâle ou femelle. Ces procédures irréversibles, pratiquées sans le consentement du patient, ne sont pas basées sur une nécessité médicale, mais sur le postulat paternaliste qu’il est mieux et plus simple pour l’enfant d’être élevé depuis la naissance soit comme un garçon soit comme une fille. Cette pratique ne prend pas en compte le fait que le sexe assigné peut ne pas correspondre à l’identité de genre de l’enfant lorsqu’il grandit. De plus, ces procédures exposent les enfants intersexes aux risques de la chirurgie et à des conséquences chroniques : cicatrices, incontinence, insensibilité, infertilité. Lorsque les testicules ou les ovaires sont retirés, l’opération équivaut à une stérilisation forcée. Des traumatismes psychologiques et des syndromes de stress post traumatiques sont également rapportés, les personnes intersexes décrivant les opérations subies comme des maltraitances et des mutilations.

Les activistes insistent sur le fait que la décision de subir ou non une procédure chirurgicale devrait reposer uniquement sur la personne intersexe, lorsqu’elle est en âge de faire un choix informé. En 2015, Malte est devenu le premier pays au monde à interdire les actes chirurgicaux visant à assigner un sexe aux enfants intersexes avant que ceux-ci soient en âge de choisir. Consulter le guide de l’OII sur les droits des personnes intersexes.

Stérilisation forcée des enfants présentant des troubles de l’apprentissage

La stérilisation est pratiquée pour rendre une personne incapable de procréer et ce, de manière irréversible. Lorsque cette procédure est réalisée sans que la personne concernée le sache, sans qu’elle ait donné son consentement éclairé, ou contre sa volonté, il s’agit alors d’une stérilisation forcée. À travers le monde, des personnes présentant des troubles de l’apprentissage (autisme, syndrome de Down) subissent des stérilisations forcées sur la recommandation de médecins et avec le consentement de leurs parents ou tuteur. Ces cas ne concernent pas uniquement des enfants, mais ceux-ci sont souvent affectés, en particulier les filles. En Colombie par exemple, au moins 502 filles et 127 garçons ayant des difficultés d’apprentissage ont été légalement stérilisés entre 2009 et 2011, d’après les chiffres du gouvernement. Les raisons données par les médecins et les parents pour justifier cette pratique ne sont pas médicalement justifiées, s’agissant plutôt d’une mesure paternaliste prise « pour leur bien ». Empêcher les règles ou les grossesses non désirées sont deux raisons communément invoquées, avec l’idée fausse que les personnes concernées ne ressentiraient pas de désir sexuel, n’auraient pas la capacité d’entretenir une relation ni d’avoir des enfants. Une autre justification est également avancée, selon laquelle la stérilisation éviterait les abus sexuels, alors qu’en réalité elle ne fait qu’empêcher une conséquence visible de ces abus, et risque au contraire de rendre des personnes vulnérables encore plus vulnérables.
Les activistes considèrent que la stérilisation forcée viole le droit des individus à faire leurs propres choix concernant leur santé sexuelle et reproductive, et que la stérilisation ne devrait être pratiquée que pour des raisons strictement médicales et avec le consentement éclairé du patient.

Tests de virginité 

Les tests de virginité consistent à vérifier physiquement que l’hymen d’une femme ou d’une fille est intact dans le but de confirmer sa virginité. Cette pratique est largement considérée comme dénuée de fondement scientifique. Elle est pratiquée dans les communautés qui font de la chasteté des femmes avant le mariage une question d’honneur, et peuvent faire partie des conditions du mariage ou de la dot. En Afrique du Sud, les test de virginité sont légaux s’ils sont pratiqués sur des enfants de plus de 16 ans ayant donné leur consentement. En Afghanistan, des tests de virginité sont régulièrement ordonnés par des procureurs lorsque des femmes et des filles sont accusées d’avoir commis des « crimes moraux ». Au Pakistan, le test des deux doigts est supposé vérifier si une victime de viol était consentante. Au Tadjikistan, des activistes dénoncent l’utilisation de tels tests sur les filles migrantes non-accompagnées détenues dans des centres de transit. Selon les circonstances, si un test de virginité révèle que l’hymen n’est pas intact, la femme ou la fille peut être ostracisée, emprisonnée, forcée à épouser la personne qui l’a violée, voire être tuée au nom de l’honneur. De plus, refuser de subir le test ou d’en partager les résultats peut être considéré par les communautés comme un aveu de culpabilité.
Les activistes considèrent que les tests de virginité sont une forme d’abus sexuel et devraient par conséquent être interdits. Il s’agit d’une pratique dégradante enracinée dans une discrimination basée sur le genre dont le but est de contrôler la sexualité des filles, violant leur droit à la dignité et à la vie privée.


Discriminations liées à l'âge

Retrouvez aussi notre édition spéciale du bulletin en français avec un tour d'horizon de l'actualité sur les discriminations liées à l'âge (juin 2018).

Lorsqu’on parle de discriminations liées à l’âge, on ne pense pas spontanément aux enfants. D’ailleurs, même la Convention relative aux droits de l’enfant ne mentionne pas l’âge parmi les motifs de discrimination. Et pourtant, ils sont bien le groupe de population le plus touché par cette forme de discrimination. Les vies des enfants dans le monde entier sont gouvernées par des règles et des lois qui ne s’appliquent qu’à eux. Nous ne parlons pas ici des lois qui visent à les protéger, mais de celles qui restreignent leurs droits uniquement en raison de leur âge. Par exemple, frapper un adulte est considéré comme une agression dans la plupart des systèmes juridiques, mais frapper un enfant au nom de la discipline est légal dans la plupart des États. L’instauration de couvre-feux saisonniers pour les jeunes, la plupart du temps pendant l’été, limitent la liberté de circulation et d’association des enfants, et il n’existe aucune mesure équivalente visant spécifiquement les adultes. Des limites d’âge sont même utilisées pour empêcher les enfants de s’engager dans des activités qui ne comportent pourtant aucun danger. C’est le cas du droit de vote, accordé dans la quasi-totalité des États à presque tous les plus de 18 ans, et refusé à presque tous les moins de 18 ans.

L’hypocrisie est flagrante si l’on imagine de telles restrictions de portée générale appliquées à un groupe ethnique, une minorité religieuse, à un genre ou aux personnes âgées : il s’ensuivrait certainement un tollé général et une avalanche de plaintes pour discrimination. Pourtant, lorsqu’elles concernent les enfants, ces dispositions n’ont au contraire presque pas besoin d’être argumentées. Cette réalité est en complète contradiction avec les droits de l’homme, puisque pour bénéficier de ses droits, un individu ne doit pas rencontrer de barrière à leur plein exercice. C’est pour les enfants une situation sans issue : il leur est impossible de grandir avant l’heure pour dépasser les limites d’âge qui leur sont imposées, et leur absence de capacité politique les empêche de les contester.

Il devrait aller de soi que lorsque seul l’âge justifie une restriction de droits (par exemple, une limite d’âge à l’exercice des droits politiques) voire une exception à une protection de droits (par exemple, la violence « éducative » contre les enfants, par opposition à la protection des enfants contre les violences), cette pratique équivaut à une discrimination liée à l’âge. Pour éclairer cette question, les principaux types de discriminations liées à l’âge rencontrées à l’heure actuelle sont détaillés dans cette section.

Des dérogations à l'illégalité de la violence

Nous sommes instinctivement conscients du fait que la violence nuit à notre bien-être et qu’une vie exempte de toute violence est déterminante pour le plein exercice des droits de l’homme. Pourtant, plus de 140 pays continuent de cautionner la violence contre les enfants au nom de la discipline, pour des actes qui constitueraient des infractions s’ils étaient perpétrés contre des adultes. Ces exceptions à l'illégalité de certaines formes de violence, conçues par des systèmes juridiques dans le monde entier, illustrent à quel point la violence contre les enfants est souvent socialement enracinée et acceptée comme la norme, contrairement à la violence contre les adultes. Pour ajouter à l’hypocrisie, l’abus de pouvoir est implicite dans les punitions physiques infligées par des adultes à des enfants, les membres les plus vulnérables de la société en raison de leur âge et de leur taille. Il manque en particulier aux plus jeunes la connaissance de leurs propres droits et la capacité de s’exprimer pour se défendre. De plus, les enfants n’ont pas leur mot à dire sur les lois et politiques qui autorisent ces violences : les châtiments corporels n’existent et ne se définissent qu’en des termes d’adultes, alors que ce sont bien les enfants qui sont les premiers concernés.

Des infractions liées au statut de la personne

Les actes visés par les infractions liées au statut de la personne ne sont punissables que lorsqu’elles sont commises par une certaine catégorie de personnes, le plus fréquemment, sur la base de leur religion, de leur sexualité ou de leur âge. Parmi elles, les incriminations qui ne s’appliquent qu’aux enfants peuvent inclure l’absentéisme scolaire, les fugues, la mendicité, l’errance, la possession d’alcool, les sextos, les violations de couvre-feux, l’appartenance à un gang et même la désobéissance. Le fait que ces activités seraient légales si elles étaient commises par des adultes montre bien que le comportement d’un « délinquant de statut » est considéré comme inacceptable non pas parce qu’il est dommageable, mais seulement en raison de l’âge du contrevenant. Ces incriminations visent hypocritement des comportements considérés par les adultes comme problématiques chez les enfants, mais acceptables dès la majorité atteinte. En somme, les infractions liées au statut sont discriminatoires parce qu’elles s’appliquent aux enfants uniquement sur la base de leur condition d’enfant, les liant injustement à des règles dont ils ne peuvent se défaire prématurément. À travers le monde, les infractions liées au statut limitent les libertés de mouvement et d’association des enfants, mais elles menacent également leur intérêt supérieur. En transformant des actes tout à fait légaux pour un adulte en comportements criminels, elles entraînent en effet les enfants vers le système judiciaire.

Liberté de religion

Les enfants peuvent-ils librement choisir leur religion, ne pas en choisir du tout, ou se convertir sans consentement parental et sans pression de la part de leur famille, de leur école ou de l’État ? En principe, la réponse est positive car le régime international des droits de l’homme affirme la liberté de religion pour chacun, ce qui inclut les enfants. En pratique cependant, cela est bien plus rare. Qu’il s’agisse d’un État qui impose une religion officielle, de parents qui transmettent leurs croyances religieuses ou d’une école qui enseigne la religion, des opinions religieuses sont imposées aux enfants à des degrés bien supérieurs et dans des contextes bien plus variés qu’au reste de la population. L’exposition à une religion a lieu la plupart du temps pendant l’enfance, car c’est à ce moment que l’on est le plus impressionnable, la moindre maturité étant associée à un manque de capacité critique. Mais le droit international des enfants est clair : le rôle et le devoir des adultes, notamment des parents, est de donner aux enfants une « orientation ». Cela signifie que les parents peuvent les introduire à leur foi, et les impliquer dans des activités religieuses, mais que les enfants doivent pouvoir avoir un contrôle de plus en plus important sur leur propre implication dans la religion de leur parent ou dans une autre religion. Sur cette base, l’endoctrinement, les conversions forcées ou toute attente quant à la religion ou le système de croyances qu’un enfant adoptera à l’âge adulte sont incompatibles avec la liberté propre à l’enfant de décider de ses croyances de façon indépendante et de choisir ou de ne pas choisir de religion.

Consentement

En tant que mineurs, les enfants n’ont généralement pas la capacité juridique de prendre leurs propres décisions, puisque l’on part du principe que leur âge les rend incapables de le faire. Les parents étant responsables de leur éducation et de leur développement, ils sont par défaut chargés de faire des choix en leur nom, tant que ces choix sont fondés sur l’intérêt supérieur de l’enfant. En matière de décisions médicales, on parle de consentement par procuration, et ce pouvoir d’agir au nom d’un enfant est autrement appelé consentement parental. Mais l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas toujours au cœur de toutes les décisions, notamment lorsque ces décisions ne remplissent aucun objectif de protection et / ou lorsqu’elles affaiblissent l’autonomie de l’enfant et d’autres de ses droits. Les exemples sont nombreux : les lois qui empêchent les enfants d’introduire eux-mêmes une action en justice et exigent un représentant légal adulte, voire dans certains cas un consentement parental explicite ; l’obligation d’avoir l’autorisation des parents pour accéder à des services de santé sexuelle et reproductive (conseils, contraception, IVG), quand bien même obtenir cette autorisation risque de les décourager de demander de l’aide ;  ou encore les parents qui décident arbitrairement si leurs enfants assisteront ou non à certains enseignements scolaires, comme par exemple l’éducation sexuelle, quand bien même les experts de santé considèrent qu’elle devrait être obligatoire. Dans ces situations où l’obligation d’accord parental risque d’aller à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant, retirer systématiquement aux enfants leur autonomie est une pratique discriminatoire qui traitent toutes les personnes en dessous d’un certain âge d’une manière différente, uniquement en raison de leur âge.


Les mots importent

Retrouvez aussi notre édition spéciale du bulletin en français avec un tour d'horizon de l'actualité sur le langage et les droits de l'enfant (juillet 2018).

Nous autres les ONG, nous produisons une grande quantité de contenu écrit (comme par exemple des rapports annuels ! ) et passons du temps à y traquer les coquilles et à en améliorer le style. Mais au-delà de cela, pensons-nous pour autant suffisamment au langage lui-même, en tant que sujet à part entière dans notre secteur d’activité ?

Par exemple, les mots sont-ils en cause lorsqu’un lecteur ne comprend pas complètement un sujet que nous avons abordé, ou, pire encore, s’il interprète mal le sens de ce que nous avons écrit ?  

Parfois, des textes utilisent de façon erronée ou modifient le sens de la terminologie consacrée. Un exemple est l’utilisation du terme « intersexualité » pour désigner les personnes intersexes : ce terme est trompeur, ne s’applique pas à ce contexte,  et dans la plupart des dictionnaires, il n’existe même pas ! On peut encore mentionner les auteurs qui ne parviennent pas à se saisir d’une question nouvelle avec exactitude et à lui rendre justice, ou qui émoussent le vocabulaire des droits de l’homme sans autre forme de procès.

Ce ne sont là que quelques problèmes terminologiques rencontrés dans notre secteur, qui ont tous un impact sur la manière dont les sociétés considèrent et traitent leurs membres, y compris les enfants. Les ONG ont donc une responsabilité : notre rôle de producteur de contenu de sensibilisation aux droits de l’homme exige de nous que nous considérions le langage non seulement comme un moyen de transmettre des informations et connaissances, mais de les transmettre avec exactitude et clarté, et sans ambiguïté.  

Quatre des affections linguistiques qui frappent le secteur des ONG et des droits de l’homme sont examinées dans notre rapport : la nécessité d’adopter un langage accessible, la vacuité de certains mots, l’importance de la lecture entre les lignes et le risque de renforcer les stéréotypes dans notre communication. Bien que ces questions ne concernent pas toujours uniquement les enfants, mais les droits de l’homme en général, elles sont toutefois pertinentes, puisque les droits de l’enfant sont bel et bien des droits de l’homme.

La suite en anglais, avec des exemples et des exercices, dans notre rapport What lies beneath.

 

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