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De nombreux mineurs, dont certains âgés de douze ans à peine, sont de nouveau recrutés comme combattants dans la province en conflit du Nord-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), a déclaré ce vendredi 31 mars 2006 Amnesty International, de retour d’une mission dans le pays. « Depuis plusieurs semaines, les forces anti-gouvernementales fidèles au général dissident Laurent Nkunda recrutent des mineurs, souvent par la force, dans les territoires de Rutshuru et de Masisi du Nord-Kivu, a déclaré Véronique Aubert, chercheuse à Amnesty International qui vient tout juste de revenir de cette région. La délégation d’Amnesty International a passé le mois de mars en RDC. « De nombreux autres adolescents craignant d’être enlevés par les hommes de Nkunda ont dû fuir de chez eux et aller chercher refuge dans les villes, a ajouté Véronique Aubert. Nombre d’entre eux avaient déjà été recrutés par des groupes armés, avaient été formellement libérés et avaient bénéficié d’un programme de réunification familiale. « Alors que nous visitions un centre d’accueil pour les jeunes libérés par les groupes armés, nous avons appris avec consternation qu’au cours de cette seule semaine de début mars, 14 des 782 adolescents retournés dans leur famille depuis juillet 2005 avaient été de nouveau recrutés par les troupes de Nkunda. D’autres centres ont indiqué que le même phénomène s’était produit chez eux dans des proportions similaires. « Ces recrutements et l’insécurité qui continue de régner dans le Nord-Kivu ont également un effet dévastateur sur les programmes mis en place par les ONG pour faciliter le retour à la vie civile et dans leur famille des adolescents recrutés par les groupes armés. Plusieurs de ces programmes ont dû être interrompus ces dernières semaines. » Cette vague d’enrôlement semble avoir pour objectif de reconstituer la force militaire de Nkunda depuis que certaines de ses unités ont accepté de participer au programme d’intégration (« brassage ») dans les forces armées régulières de la RDC. Ces intégrations ont eu un contrecoup préoccupant, à savoir que des milices maï maï opposées à Nkunda dans la province du Nord-Kivu se sont également mises à recruter des adolescents ou à refuser d’en libérer en réaction semble-t-il au mouvement de recrutement de Nkunda. De nombreuses allégations d’enrôlement et d’utilisation d’adolescents concernent la 83e brigade armée qui faisait partie auparavant du groupe politique armé Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-Goma). Composée de soldats de langue kinyarwanda, cette brigade s’oppose à l’extension du contrôle de l’État de la RDC dans le Nord-Kivu. Des éléments de cette brigade se sont ralliés à Laurent Nkunda et, en janvier 2006, ont attaqué des positions de l’armée gouvernementale dans le territoire de Rutshuru et ont violé de nombreuses femmes et jeunes filles originaires de groupes ethniques ne parlant pas le kinyarwanda. « Une fois de plus, des chefs armés enlèvent et exploitent sans merci de jeunes Congolais pour servir leurs ambitions militaires et politiques, a déclaré Véronique Aubert. Le gouvernement de la RDC et la communauté internationale doivent engager une plus grande action concertée pour déférer à la justice Laurent Nkunda et tous ceux qui sont soupçonnés de recruter des mineurs. » Amnesty International demande à Laurent Nkunda et à tous les autres chefs de groupes armés de mettre immédiatement fin à l’enrôlement et à l’utilisation d’adolescents, et de libérer tous ceux qu’ils ont déjà enrôlés. L’organisation appelle également les dirigeants politiques susceptibles de pouvoir influencer Laurent Nkunda, y compris les chefs de file du groupe politique RCD-Goma, ainsi que le gouvernement rwandais, à exhorter Laurent Nkunda à libérer ces jeunes gens. Parmi les témoignages de première main obtenus par Amnesty International lors de ses recherches récentes dans la région figure celui de Patrick (prénom modifié), âgé de seize ans, qui a passé trois ans dans un groupe armé avant d’être libéré au début de l’année 2005. En septembre 2005, il se trouvait chez lui lorsque des hommes de Nkunda sont arrivés. « Ils m’ont demandé mon "attestation de sortie" [des forces armées] et l’ont déchirée. Ils ont accusé mon père d’abriter un déserteur et l’ont fait tomber à terre. Puis ils se sont mis à me frapper. Ils m’ont attaché et m’ont conduit dans leur position armée. J’avais tellement peur que je les ai implorés et leur ai dit que j’allais travailler pour eux. » Patrick a dû servir dans la garde personnelle d’un chef fidèle à Laurent Nkunda. Il a fini par s’enfuir « après avoir vu plusieurs de [ses] compagnons mourir ». Joseph (prénom modifié), âgé lui aussi de seize ans, a été recruté de force une première fois en 2000, en même temps que d’autres enfants enlevés comme lui dans son école. Il a été libéré par la suite et a rejoint sa famille à la fin de l’année 2005. Cependant, alors qu’il se trouvait avec les siens depuis deux semaines, lui et deux autres adolescents ont été enlevés par une douzaine de soldats dissidents alors qu’ils se rendaient à pied au marché. Par la suite, il s’est enfui, mais les deux autres adolescents, y compris son cousin âgé de seize ans, sont restés au sein des forces de Nkunda. Âgé de quinze ans, Izaak (prénom modifié) était chez lui lorsque des hommes de Nkunda sont arrivés. Ils lui ont demandé son « attestation de sortie », ont déchiré le papier en lui disant qu’il ne servait « à rien », et l’ont emmené de force. Il a tenu les propos suivants aux délégués d’Amnesty International : « Jusqu’en février 2006, j’ai combattu au sein des forces de Laurent Nkunda contre les FARDC [Forces armées de la RDC] dans le Rutshuru. Au dernier combat, des armes puissantes ont été utilisées contre nous. Celui qui nous commandait a eu très peur, et comme il y a eu beaucoup de morts il a décidé de tous nous faire bénéficier du « brassage » [...] Je ne veux pas reprendre les armes. J’aimerais avoir quelques chèvres pour faire de l’élevage mais je ne peux pas rentrer chez moi : je suis sûr que des hommes armés reviendraient me prendre. » Complément d’information Un retard préoccupant a été pris dans le processus d’unification de l’armée qui, à un certain stade, était considéré comme une condition essentielle à la tenue d’élections nationales. Le processus d’unification ne sera que partiellement mené à bien au moment des élections nationales prévues pour juin ou juillet, ce qui soulève des inquiétudes en ce qui concerne les conditions de sécurité dans lesquelles se dérouleront les scrutins. Plusieurs groupes armés présents dans le Nord-Kivu et ailleurs dans le pays sont toujours récalcitrants à l’unification et sont encouragés dans leur refus par des dirigeants qui craignent de perdre le contrôle sur les groupes armés à configuration ethnique sur lequel se fonde leur pouvoir. Ces chefs ont également entretenu les tensions ethniques dans le Nord-Kivu divisé entre les communautés qui parlent ou ne parlent pas le kinyarwanda et, de plus en plus, entre les communautés hutues et tutsies dont la langue est le kinyarwanda. Le protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, auquel la RDC est partie, interdit aux groupes armés de recruter ou d’utiliser lors des hostilités des personnes âgées de moins de dix-huit ans. Enrôler des mineurs âgés de moins de quinze ans dans des forces ou des groupes armés, ou faire appel à eux pour participer activement à des hostilités, est reconnu comme un crime de guerre au terme du droit international humanitaire. De tels crimes relèvent de la Cour pénale internationale qui a récemment procédé à l’arrestation du dirigeant congolais d’un groupe armé Thomas Lubanga, soupçonné d’avoir enrôlé des adolescents âgés de moins de quinze ans et d’avoir eu recours à eux pour participer activement à des hostilités. Laurent Nkunda, ancien haut responsable de RCD-Goma, a déjà été accusé de crimes de guerre commis à Kisangani en 2002 et à Bukavu en 2004. Il fait l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par le gouvernement de la RDC en septembre 2005 mais, à ce jour, aucune opération n’a été lancée par le gouvernement de la RDC ou les Nations unies pour l’arrêter. Il continue d’agir sans être inquiété dans les territoires de Rutshuru et de Masisi.