Maroc: Le parcours d'un enfant, de la rue à la réinsertion

Quelle que soit l'époque de l'année, la place Jemaa El Fna à Marrakech est toujours un lieu privilégié pour rencontrer des touristes. Et c'est sans doute pour ça que l'on y trouve aussi, si l'on y prête attention, entre les conteurs, les promeneurs, et les faiseuses de henné, des enfants qui errent, demandant aux touristes "juste un dirham, s'il vous plaît, pour manger". La scène se produit à toute heure de la journée, et un peu partout à Marrakech.

Certains, bien que travaillant dans la rue, ont un foyer. Mais pour les enfants qui n'ont pas la chance d'avoir un toit, quand la nuit arrive, il faut faire face à une double menace: le froid et la police. Le vagabondage étant interdit, rencontrer un policier signifie un séjour spartiate au commissariat durant 3 jours, en compagnie des criminels, délinquants en tout genre, puis une détention bien plus longue en centre de sauvegarde.

Là, dans des conditions de détention pénible, les enfants attendent que la police vérifie leur absence de filiation. Car la police ne peut pas placer en structure spécialisée des enfants qui ont des parents. Mais l'enquête, faute de moyens et de personnel qualifié, n'est pas une formalité. Ainsi Naïma, après être entrée à l'âge de 8 ans, n'est ressortie qu'à l'âge de 17 ans, malgré tous les efforts de son grand-père pour la retrouver auprès des autorités.

La procédure est toutefois généralement plus courte. Les autorités finissent par placer l'enfant en orphelinat ou bien auprès d'une Association comme Al Karam. Cette Association travaille à Marrakech depuis 2004, avec pour ambition la réinsertion des enfants de la rue.

Une mission où l'ampleur de la tâche assure un rapide essor. "Depuis 2004, 536 enfants sont passés par Al Karam, qu'ils y soient encore ou qu'ils aient déjà quitté l'Association. La capacité du centre d'accueil pour garçons est de 40, car nous connaissons une rotation importante, grâce à nos activités de réinsertion", explique Karima Mkika, présidente de l'Association.

Un développement qui témoigne d'un véritable succès, puisque Karima Mkika a été récompensée pour son travail entre trois autres projets humanitaires lundi 4 décembre par le prix de l'action humanitaire du magazine français Mme Figaro. Un encouragement à poursuivre le travail auprès des enfants de la rue.

Marjolaine, stagiaire à Al Karam, avertit : "Attention, il ne faut pas confondre les enfants des rues et ceux qui vivent de la rue". Car l'amalgame est fréquent, et il irrite, à Al Karam : "Le problème principal, ce sont tous ces parents qui, faute de moyens, envoient leurs enfants mendier plutôt qu'à l'école; les enfants ont un toit pour dormir, mais doivent rapporter de l'argent pour y dormir, en faisant les faux-guides, en mendiant, ou en vendant des mouchoirs", poursuit-elle. L'occasion pour tordre le cou à une autre idée reçue, selon laquelle les enfants en question seraient issus de familles brisées par un divorce, la mère tombant ensuite dans la prostitution.

Ce cliché se vérifie bien sûr dans certains cas. "Mais on n'imagine pas le nombre de cas d'enfants dont les deux parents ont un foyer et une activité professionnelle tout ce qu'il y a de plus ordinaire, comme faire des ménages ou vendre des baghrir et des msemens", révèle Marlène, une autre stagiaire à Al Karam. Ces enfants, trouvés par la police, qui coopère de plus en plus avec l'Association, et par les éducateurs qui vont à leur rencontre dans la rue, ont des parcours divers.

Mohamed, 15 ans, n'a depuis la mort de sa mère que son père. Celui-ci habite dans une petite ville, à quelques kilomètres de Marrakech, où il vient travailler chaque jour. Trop usé par son âge, son travail, et ces transports quotidiens, il renonce à s'occuper de son fils. Lequel ne peut se tourner vers aucune de ses soeurs, dont les maris le rejettent. C'est ainsi que Mohamed a fait de la rue sa demeure, jusqu'à atterrir à Al Karam. Fouad, quant à lui, a été adopté par une famille après la mort de ses parents.

Cependant, son "frère adoptif" le poussant à dealer de la drogue, il a fugué, fuyant sa ville et sa région pour Marrakech, afin d'être sûr de ne pas être retrouvé. Chaque enfant a connu un destin particulier, mais avec la rue pour destination finale. Là, un éducateur de l'Association les a abordés. Il les a d'abord mis en confiance en discutant ou en les invitant à jouer un match de foot. Ce n'est que plus tard, quand le contact est établi, que l'éducateur dévoile son identité.

La philosophie d'Al Karam est de ne pas contraindre les enfants, mais de leur faire prendre conscience de leur intérêt à venir. L'Association propose ensuite un hébergement et tente de réinsérer l'enfant dans le cursus scolaire. Si l'enfant est resté trop longtemps dans la rue, il pourra s'orienter vers l'éducation non formelle et des formations professionnelles. Mais les efforts de l'Association visent avant tout à réinsérer l'enfant dans sa famille d'origine dans les cas où c'est toujours possible.

Le travail d'Al Karam devient alors un accompagnement financier des familles si nécessaire, et un suivi de cette réinsertion. En effet certaines d'entre elles renvoient à nouveau les enfants à la rue, pour en faire des sources de revenu supplémentaires. En matière d'enfants des rues, si la dimension économique est évidemment la plus déterminante, sensibiliser enfants et parents sur les droits des enfants est aussi un levier d'action non négligeable.

Ainsi, pour les trois années à venir, Al Karam engage un partenariat avec l'Union européenne, qui lui donnera les moyens d'engager de nombreuses actions de sensibilisation des enfants des rues, dans les foyers d'hébergement, les écoles, mais aussi sensibilisation des adultes comme les touristes, les professeurs, mais aussi et surtout les familles. Car l'exclusion est nécessairement l'affaire de tous.

pdf: http://fr.allafrica.com/stories/200612150823.htmlAssociation: Libération (Casablanca)

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