Le Népal a banni les jouets toxiques pour enfants. Prévoit-il maintenant de lever l’interdiction ?

De quelle manière les enfants sont-ils exposés aux produits chimiques toxiques ?

Les objets en plastique, poupées ou petites voitures aux couleurs vives sont des jouets très populaires auprès des enfants du monde entier. Des procédés de fabrication simples et une demande mondiale importante sont des facteurs qui ont conduit à la prolifération de jouets bon marché et potentiellement dangereux, bon nombre de pays important ces jouets en masse afin de répondre à la demande.

Au Népal, entre 2016 et 2017, les importations de jouets représentaient plus d’un milliard de roupies népalaises, l’équivalent de plus de 7,8 millions d’euros. Pour autant, malgré le nombre important de jouets importés, avant 2017, il n’existait aucune réglementation concernant les produits chimiques toxiques contenus dans les jouets pour enfants.

Les enfants sont plus vulnérables aux dangers causés par les produits chimiques toxiques, compte tenu du fait que l’exposition se produit souvent au cours de périodes sensibles de leur développement. Le plomb en est un exemple. L’Organisation mondiale de la Santé classe le plomb parmi les dix produits chimiques qui posent un problème majeur de santé publique. 34 % des pays du monde disposent désormais des contrôles obligatoires de la production, de l’importation, de la vente et de l’utilisation de peintures au plomb.

La peinture au plomb en décomposition peut former de la poussière contaminée que les enfants peuvent facilement ingérer. Le fait que cette peinture ait un goût sucré peut également encourager les enfants à mâcher ou sucer les jouets recouverts de la peinture contaminée par ce métal potentiellement nocif.

En raison de leur petite taille, le corps des enfants est également vulnérable à des plus petites doses de cette substance que celui des adultes. Il est donc essentiel de prévenir l’exposition des enfants au plomb. Pourtant, le plomb ainsi que d’autres produits chimiques toxiques tels que le brome, le cadmium et le baryum sont encore utilisés dans certains pays, notamment pour la fabrication d’objets que l’on retrouve dans les foyers, comme les jouets pour enfants.

Comment expliquer ce changement au Népal ?

Les teneurs dangereusement élevées en métaux lourds retrouvées dans les jouets pour enfants vendus au Népal ne sont pas passées inaperçues. Le Centre pour la santé publique et le développement environnemental (CEPHED), une ONG environnementale népalaise dont les recherches portent principalement sur les produits d’usage courant contenant des matériaux toxiques, a soupçonné la possibilité selon laquelle les jouets pour enfants contiendraient une teneur inacceptable de plusieurs produits chimiques nocifs.

Le CEPHED a pris connaissance d’une campagne efficace menée par l’IPEN contre la faiblesse des normes de sécurité en matière de produits chimiques. L’IPEN est une organisation qui concentre ses efforts sur l’intégration au niveau local d’une expertise internationale sur les substances toxiques. En 2013, sous la direction de Ram Charitra Sah, le directeur exécutif du CEPHED, l’organisation a planifié une analyse sur une sélection de 100 jouets importés. Le but de cette analyse était d’observer quels étaient les produits chimiques contenus dans les jouets, avant de pouvoir présenter ces résultats au gouvernement.

À l’aide d'une bourse de recherche offerte par l’Eco-Peace Leadership Center dans le cadre du Programme des Nations unies pour l’environnement, le CEPHED a acheté 100 jouets provenant de différents vendeurs et faits de différents matériaux, et a négocié l’utilisation d’un laboratoire appartenant à l’association à but non lucratif Handicraft et au Ministère de la métrologie du Népal. Pour Ram Charitra Sah, c'était la bonne approche : après tout, comment le gouvernement pourrait-il ne pas prendre de mesures en réponse aux résultats provenant de leurs propres laboratoires ?

Pour le directeur exécutif, le vrai objectif de ces analyses était de créer des données à partir d’analyses fiables réalisées en laboratoire et, à partir de ces données, de préconiser un cadre législatif.

Après environ trois mois de travail, l’équipe du CEPHED a réussi à analyser l’ensemble des jouets et à enregistrer les résultats. Le laboratoire a délivré un certificat pour chaque jouet analysé et les résultats obtenus n’annonçaient rien de bon pour les enfants népalais.

Sur un échantillon de 100 jouets, 54 contenaient des teneurs dangereuses d’au moins un produit chimique (source en anglais), alors que 27 jouets présentaient une teneur nocive en deux éléments toxiques. Au total, 28 jouets contenaient des teneurs en plomb assez élevées pour pouvoir nuire à la santé des enfants.

Après la publication du rapport par le CEPHED, l’histoire a été relayée par les médias, et est très vite devenue un sujet sensible au Népal. Le gouvernement népalais, enclin à réagir rapidement, a contacté le CEPHED et organisé une rencontre avec l’organisation, une semaine après la publication du rapport.

Plutôt que de critiquer l’inaction passée du gouvernement, Ram Charitra Sah et son équipe ont choisi de nouer le dialogue, coopérer et informer, et ont ainsi vu une série de réglementations promulguées au Parlement en peu de temps. Édictées en janvier 2017, ces réglementations permettent de mesurer la teneur totale en substances toxiques dans les jouets, et interdisent ceux qui dépassent un seuil donné (en anglais).

Avec la mise en place de celles-ci, le Népal est devenu un pionnier dans le monde et a recueilli bon nombre de louanges pour avoir promulgué des réglementations avant-gardistes et avoir donné la priorité au droit à la santé des enfants et non à ses intérêts économiques.

Malgré l’optimisme initial qu'a généré la réponse du gouvernement au sein du CEPHED, qui constatait que les jouets non conformes aux normes étaient refusés à la frontière par les inspecteurs, la situation a été de courte durée.

Une régression en matière de santé des enfants

Le gouvernement a annoncé la mise en œuvre de nouvelles directives en invoquant des erreurs de définition des valeurs et des méthodes d’analyse des substances chimiques nocives et en déclarant avoir négligé les normes de l’Organisation mondiale du commerce à l’égard de ces règlementations. Ces nouvelles directives sont encore à l'examen mais les observateurs s'attendent à ce qu'elles assouplissent la position du pays vis-à-vis de la présence de produits chimiques toxiques dans les produits des consommateurs.

Elles épargneraient complètement quatre produits toxiques et, au lieu de contrôler la concentration totale des éléments interdits dans les jouets, elles mesureraient uniquement la quantité totale d’un produit chimique donné susceptible d’être absorbée en cas d’ingestion d’une partie du jouet par l’enfant. Cette méthode est aussi appelée « l’approche des éléments migrables ».

Olga Speranskaya, co-présidente de l’organisation IPEN qui mène une campagne contre les substances toxiques, explique que cette approche n’est pas nécessairement adaptée aux besoins. Selon elle, cette méthode part du principe que l’exposition a lieu uniquement si l’enfant ingère une partie du produit. Toutefois, l’exposition des enfants à des métaux toxiques peut être causée par la poussière à la surface des produits ou par mastication ou léchage de ces derniers.

Olga Speranskaya ajoute que le processus d’analyse des éléments migrables est plus difficile pour les petites et moyennes entreprises par rapport à la mesure de la concentration totale des éléments dangereux.

Le problème potentiel est aggravé par le fait que l'industrie est consciente que les organismes de réglementation des pays en développement et en transition n'auront ni le temps ni l'argent nécessaires pour analyser les métaux toxiques migrables dans de nombreux produits en raison de la durée de cette procédure et des coûts qui y sont associés. Cela suscite des inquiétudes quant aux pays qui seraient alors exposés à la fabrication, l’utilisation et le stockage de produits pour enfants contenant des métaux toxiques.

Pourquoi le gouvernement adoucit-il ses propres normes ?

Le CRIN a rencontré le ministre de l’Environnement du Népal en vue de lui soumettre des suggestions, mais le Directeur général du Département national de l’environnement, Durga Dawadi, a répondu que le gouvernement n’était pas en capacité d’analyser la toxicité des jouets par manque de personnel dûment formé.

Durga Dawadi a affirmé qu’il n’avait pas connaissance des pressions provenant de l’extérieur du Népal, bien que le gouvernement soutenait la modification de la loi cette même semaine en pointant du doigt l’Accord sur les obstacles techniques au commerce de l’Organisation mondiale du commerce, un accord qui impose aux États de ne pas promulguer de lois qui auraient pour effet de créer inutilement des obstacles au commerce. Bien que d’autres règles interdisant l’importation de jouets aient été mises en évidence dans les procédures de l’OMC, il n’y a pas eu de plaintes enregistrées contre le Népal au moment de la publication de cet article.

Maheshwar Dhakal, co-secrétaire au Ministère des forêts et de l’environnement, a expliqué que le pays adoptait des limites définies par l’Organisation internationale de normalisation et s’appuierait sur les pays exportateurs de jouets au Népal pour produire des jouets qui ne présentent aucun risque pour les enfants.

Parmi les substances chimiques exclues de la régulation en vertu des nouvelles règles se trouvent le bisphénol A, le brome et les phtalates, toutes ces substances pouvant être nocives pour la santé des enfants.

Alors que Maheshwar Dhakal était enclin à souligner que le gouvernement du Népal se souciait de la santé des enfants, il n’a pas souhaité commenter le fait que ces nouvelles règles abaissaient le niveau de protection des enfants, et il a refusé d’expliquer ce qui a poussé le gouvernement à changer son approche.

Le CEPHED et l’IPEN prétendent que le secteur privé se cache derrière ce changement, en affirmant que cette nouvelle approche sera « fastidieuse et coûteuse, et s'appuie sur des hypothèses qui ne permettent pas de prévenir l'exposition, en particulier chez les enfants ».

Le directeur exécutif du CEPHED, Ram Charitra Sah, a résumé en déclarant que le gouvernement du Népal ne devait pas placer les intérêts industriels avant ceux des enfants et de la santé publique, et qu’un retour en arrière sur la loi autorisant les substances chimiques dangereuses dans les jouets constituerait une violation du droit fondamental des enfants à la santé, qui est garanti par la Constitution népalaise et la Convention relative aux droits de l'enfant (CDE), à laquelle le Népal est partie depuis plus de 25 ans.

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