Irak: Quand l'école n'est plus un lieu sûr

Summary: Inquiets pour leur sécurité, élèves et professeurs désertent les établissements d'Iraq. Le système éducatif tout entier est menacé.

Peter Beaumont à Bagdad:

C'est mon ami Tariq qui m'en a parlé le premier : sa nièce est furieuse parce que ses parents veulent la changer d'école pour la rapprocher de la maison. Celle où elle étudie actuellement leur semble trop éloignée en ces temps troublés où, pour les adolescentes, le risque d'enlèvement est grand. Les milices patrouillent dans les rues, imposant leur loi, et les poseurs de bombe s'attaquent même aux quartiers réputés les plus « sûrs ». Tariq ajoute, comme allant de soi, que les écoles se vident de leurs élèves et de leurs professeurs.

Notre conversation fait tache d'huile : mon traducteur rapporte une histoire similaire, puis c'est au tour d'un de mes gardes du corps. Car apparemment, l'enseignement primaire n'est pas le seul touché. D'un bout à l'autre de l'Iraq, c'est tout le système scolaire que la violence est en train de ronger. Professeurs et étudiants sont unanimes : ils ne se sentent plus en sécurité dans les universités. Menaces et assassinats se multiplient. La situation est si grave que dans les zones les plus exposées, la moitié des enseignants et étudiants ont déserté.

A mesure qu'on avance dans le trimestre, il devient évident que l'éducation iraquienne traverse une crise sans précédent.

Une situation intolérable

De Bassorah, dans le sud, à Kirkouk et Mossoul dans le nord, tout l'enseignement supérieur est infiltré. « Les milices de tous bords font la loi dans les universités », confirme un enseignant en sciences politiques de l'Université de Bagdad. « Les cours sont suspendus à cause des troubles, et les collègues plient bagages chaque fois qu'ils le peuvent ».

« La situation est devenue intolérable, poursuit-il. Beaucoup d'enseignants ont tout simplement quitté le pays, d'autres sont en congé de longue maladie. Nous avons dû faire appel aux étudiants de maîtrise et de doctorat pour assurer les cours ».

« Depuis que les enseignants dans les disciplines scientifiques se font assassiner, la plupart des profs de médecine, de biologie et de mathématiques ont fui », confie un autre enseignant en sciences politiques de Bagdad. « Ceux qui en ont les moyens expédient leurs enfants à l'étranger. Beaucoup, comme ma fille, préfèrent achever leurs études supérieures en Egypte ».

Les femmes sont aussi régulièrement prises pour cible. Il y aura bientôt deux ans, plusieurs enseignantes de l'université de Bassorah m'ont rapporté qu'elles étaient harcelées par des groupes de jeunes, alliés aux milices. Ils avaient aussi brutalisé et menacé des étudiantes non voilées, et cherché à intimider celles dont ils estimaient qu'elles n'avaient pas choisi des filières convenables. Le phénomène s'est depuis répandu dans tout le pays.

La menace est partout

Mais c'est la situation sécuritaire qui pose le plus problème ─ et pas seulement à Bagdad. A Mossoul, même son de cloche : pour les professeurs, le système sombre dans le chaos. Mohammed U., un scientifique de 60 ans, s'est confié à moi en revenant de l'enterrement d'un collègue, doyen de la faculté de droit, tué dans une explosion.

« On nage en pleine confusion. Les professeurs s'en vont. Comme les routes et les ponts sont coupés, ils ont de toutes façons beaucoup de mal à rejoindre l'université, tout comme leurs élèves, explique-t-il. Les étudiants sont mis à rude épreuve. Nous avons été obligés d'abaisser le niveau, pour les ménager. Du coup, l'ensemble du système se dégrade ».

Dans de nombreux établissements secondaires, le bilan est le même. « Dans mon quartier, l'éducation part en lambeaux », constate une enseignante d'Amariya, qui a démissionné il y a quatre mois, juste avant le meurtre de deux de ses collègues. « Certains enfants ne peuvent se rendre au collège à cause des barrages. Quant aux autres, leurs parents les ont purement et simplement retirés par crainte des enlèvements ».

« Lorsqu'ils sont tributaires de la voiture, les enfants hésitent à venir », précise-t-elle. « Quand je suis partie, les effectifs étaient déjà réduits de moitié. Nous voyons les parents lorsqu'ils viennent demander un “congé” pour leurs enfants, avant d'avouer qu'ils sont trop effrayés pour continuer de les envoyer à l'école ».

Les jeunes, les plus désireux d'étudier, payent le prix fort. Une élève du secondaire de Zafaraniya que j'ai rencontrée comptait cette année entrer à l'université. Mais il aurait fallu se rendre à Adhamiya, un quartier violent, et elle a donc demandé un sursis : « C'est trop loin et l'itinéraire n'est pas sûr. Je ne sais donc pas si je pourrai aller à l'université ou si je vais devoir rester toute l'année cloîtrée à la maison ».

pdf: http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=35513&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECT...

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