Soumis par crinadmin le
[ADDIS-ABEBA, 26 août 2008] - La crise alimentaire mondiale a contraint les familles à faire des choix douloureux. Lorsque Mulu Baboche est partie de la capitale éthiopienne pour rendre visite à son village natal frappée par la sécheresse, elle a trouvé son frère affaibli, ses animaux émaciés et ses neuf enfants agonisant de faim. Mulu a calculé qu'elle pouvait se permettre de ne prendre soin que d'un enfant en retournant à Addis-Abeba mais lequel choisir. « Ils étaient tous tellement maigres, ils étaient tous les mêmes », déclare Mulu assise dans son salon. Elle a choisi le plus jeune, pas nécessairement le plus malade, son préféré. Avec sa sécheresse et sa pénurie de denrées alimentaires faisant suite à la crise alimentaire dans le monde et laissant des millions de personnes dans la misère mourir de faim, l'Éthiopie est confrontée à un dilemme similaire. Et comme Mulu, le pays doit faire faire preuve de sa propre forme de favoritisme en fournissant des produits alimentaires bon marché pour les citadins au détriment des agriculteurs et des éleveurs de bétail qui souffrent de la sécheresse dans l'arrière pays. Les bureaux des autorités locales dans la capitale et dans d'autres villes ont commencé ce mois-ci à vendre des aliments à des prix de 40 % inférieurs aux coûts en commençant par une première expédition totalisant 150.000 tonnes de blé, soit assez de nourriture pour remplir au moins cinq navires. Transport compris, le pays a versé environ 80 millions de dollars (54 millions d'euros) pour ce grain, selon les chiffres fournis par Gebere Egziabher, un des administrateurs de l'Ethiopian Grain Trading Entreprise. La démarche avait été annoncée au début du mois par le Premier ministre Meles Zenawi comme une contre-mesure face au doublement des prix de produits alimentaires. Déficit grave Mais en attendant, le pays a moins de la moitié de ce dont il a besoin pour le ravitaillement d'urgence dans les campagnes et il critique donateurs pour ce manquement. Selon certaines estimations, plus de 13 millions d'Éthiopiens auraient besoin d'une aide urgente cette année pour faire face à la sécheresse et à la hausse des prix de produits alimentaires. L'Éthiopie a demandé en juin aux donateurs un supplément de 300 millions de dollars (203 millions d'euros) en secours d'urgence et elle pense encore augmenter son appel aux dons dans le courant de cette semaine. « La communauté humanitaire est dans l'obligation de constater que les besoins humanitaires sont remplies », rappelle Simon Mechale, qui dirige dans le pays l'agence de secours en cas de catastrophe. « Cette communauté humanitaire n'a pas été en mesure de soutenir pleinement ce qui a pourtant été établi de commun accord ». Au cours des 18 derniers mois, le gouvernement éthiopien a emprunté 260.000 tonnes de grain de la réserve du grain, une banque alimentaire établie pour contrecarrer les périodes difficiles, en vue de soutenir la distribution de vivres dans les zones urbaines. Mais comme le gouvernement n'a jusqu'à présent rien remboursé, la réserve est maintenant vide. « C'était une stratégie à très courte vue parce qu'ils n'ont pas les réserves pour y répondre », a déclaré Suzanne Poland, chef de l'US AID Office pour les moyens d'existence de transition. L'Éthiopie et les organisations partenaires comme le Programme alimentaire mondial ont dû donner la priorité à l'utilisation limitée de fournitures en réduisant les rations d'un tiers pour fournir et distribuer de vivres dans les zones les plus touchées du pays. Avec des millions de familles dans les campagnes ne bénéficiant d'aucune aide, leurs enfants sont rapidement tombés dans une situation de malnutrition aiguë. Les centres de nutrition thérapeutique mis en place pour aider les cas les plus désespérés débordent parfois de mères avec leurs enfants. Pourtant, l'Éthiopie devra également faire face à la menace que fait peser la crise alimentaire mondial sur sa propre stabilité politique. La hausse des prix de produits alimentaires ont déjà entraîné des protestations et des émeutes dans des pays comme le Mexique, le Cameroun et en Haïti. Ce mécontentement a parfois conduit à la démission du Premier ministre. En Éthiopie, rien de ce type a eu lieu et les politiques semblent déterminés à empêcher une telle évolution, y compris len ayant recours à la réserve stratégique de céréales. Comme les États-Unis et d'autres donateurs remboursent leurs prêts à la réserve du grain avec l'aide alimentaire directe, des sacs de blé américains étiquetés « ne pas vendre » dont l'origine est la charité du « peuple américain » sont aujourd'hui en train d'être vendus pour que le gouvernement éthiopien dépense des millions à l'importation. Lors d'une conférence de presse au début de ce mois à Addis-Abeba, le ministre éthiopien de l'Agriculture Deresa Abera, a réitéré la position du gouvernement expliquant que les citadins pauvres sont parmi les plus vulnérables. Mais défendre le programme alimentaire urbain pour ces motifs est devenu plus difficile depuis que le gouvernement a aussi augmenté le prix des grains subventionnés et a permis à quiconque d'en acheter. Auparavant, seules les familles pauvres certifiées pouvaient acheter des grains subventionnés à 90 birr (6,41 €) les 50 kilos. Maintenant, les mêmes 50 kilos coûtent 125 birr, un prix inaccessible pour des gens comme Mulu qui en dépendait autrefois. Au lieu de cela, des commerçants, des boulangers et d'autres membres de la classe moyenne font maintenant la file pour acheter le blé subventionné. Mulu pense renvoyer sa nièce à la campagne dès la semaine prochaine en raison de la hausse du prix du blé subventionné. « La vie est terrible, mais je n'ai pas le choix », déclare-t-elle. De retour d'une cérémonie religieuse marquant la fin des 15 jours de jeûne, Mulu et sa famille n'avaient toujours pas mangé. Elle était sur le point de sauvegarder le dernier morceau de pain pour plus tard dans la soirée sans savoir comment elle pourra nourrir sa famille le lendemain. « Les jours prochains s'annoncent très sombres », soupire-t-elle.