ÉTATS-UNIS : inquiétudes autour de l’adoption d’«orphelins» ougandais

[12 octobre 2015] - Quand Agatha Namusisi, 64 ans, a laissé son petit-fils de 7 ans quitter l’Ouganda pour les Etats-Unis en vue d’un traitement médical, elle ne pensait pas que plus d’un an après, il ne serait toujours pas rentré, porté disparu.

«Ils sont introuvables», se désespère la grand-mère de Mohamed Luwasi, en parlant du garçonnet et de son accompagnatrice, partis en mai 2014 aux Etats-Unis, où l’enfant devait subir une opération chirurgicale destinée à corriger une malformation handicapante de sa colonne vertébrale et financée par une association caritative chrétienne américaine, African Children Charities (ACC).

ACC, qui a payé le voyage et l’opération après avoir lu un reportage sur le cas de Mohamed, s’est arrogé la garde de l’enfant, le considérant comme orphelin sur la base de documents apparemment faux. Et envisage, selon Dickson Ogwang, de l’ambassade d’Ouganda à Washington, de le faire adopter aux Etats-Unis.

«J’ai signé des papiers sans savoir lire»

Mais outre une grand-mère, Mohamed a aussi un père, Isha Ssemata, qui veut revoir son fils. «Je ne veux pas que quelqu’un adopte mon enfant», explique ce menuisier de 29 ans.

L’affaire est un exemple parmi de nombreux autres d’adoptions internationales entachées de soupçons, en raison d’incompréhensions, de négligences ou, pire, de mobiles criminels.

Après la mort de sa femme, le père de Mohamed Luwasi, incapable de s’occuper de son fils handicapé l’a confié à sa grand-mère. Très pauvre, celle-ci a cru saisir une chance inespérée quand l’association lui a proposé de prendre à sa charge le traitement de son petit-fils.

«J’ai signé des papiers sans savoir lire, car je savais qu’ils allaient aider mon garçon à aller aux Etats-Unis pour être soigné», explique la grand-mère, qui craint désormais comme son père de ne jamais le revoir.

En Ouganda, comme dans de nombreux pays africains, le concept occidental d’adoption «plénière» - totale et définitive - est inconnu. Et il est courant de confier ses enfants à des familles aisées pouvant pourvoir à leurs besoins, les envoyer en pension ou les placer en apprentissage.

Vide juridique

En mai, le Parlement ougandais s’est insurgé contre les «circonstances douteuses» dans lesquelles des «centaines d’enfants» quittaient chaque année le pays, alors que 80% de ces soi-disant orphelins ont des proches en vie et malgré l’existence d’un programme d’adoption au niveau national.

Selon les parlementaires, le nombre d’orphelins ougandais ayant rejoint les Etats-Unis a augmenté de 400% entre 2006 et 2013. Plusieurs responsables ougandais ont estimé que le cas de Mohamed Luwasi était à la «limite du trafic» d’enfant.

Un rapport gouvernemental sur la corruption et les tromperies présumées gangrenant les adoptions internationales est attendu sous peu et les autorités ont annoncé leur intention de combler le vide juridique.

Le président d’ACC, Vikki Kattman dément tout trafic concernant Mohamed Luwasi - qu’elle appelle «Lewis» - et assure n’avoir pas l’intention de le faire adopter.

«Nous allons légalement renvoyer Lewis en Ouganda, au moment approprié», a affirmé Mme Kattman, tout en refusant de donner un calendrier, alors que l’enfant a subi avec succès l’opération prévue il y a plus d’un an.

«Mensonges»

L’association accuse l’accompagnatrice, une proche de la famille de l’enfant, d’avoir falsifié des documents pour faire croire que l’enfant était orphelin. Celle-ci affirme en retour qu’ACC a cherché à faire adopter le garçon aux Etats-Unis.

La présidente d’ACC assure aussi opérer légalement en Ouganda, ce que réfute Moses Binoga, chef de la force antitrafic du pays, affirmant que l’ONG n’y est pas enregistrée. Il renvoie aussi dos-à-dos «les mensonges» de l’accompagnatrice et l’attitude «suspecte» de l’association.

James Kabogozza, directeur adjoint de la jeunesse et de l’enfance au ministère ougandais de l’Égalité des sexes, estime que l’adoption internationale est devenue un marché, avec ses «avocats, ses orphelinats et ses agences d’adoption», tous en tirant profit. L’adoption dans le pays devrait toujours être l’option privilégiée, estime-t-il.

«Les Américains qui adoptent (des enfants) en Ouganda sont désormais complices de corruption et de pratiques immorales», accuse un membre d’une association de défense des enfants ayant souhaité garder l’anonymat. «Ils préfèrent croire aveuglément leur agence d’adoption, plutôt que d’écouter ce qu’il se passe en réalité: corruption et trafic d’enfants.»

 

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