Enfances violées en Afrique du Sud

Dans les journaux, on l'a baptisée Bébé Tshepang, espoir en zoulou. Elle avait neuf mois quand, en 2001, elle a été violée par son beau-père. Après des semaines d'hôpital, plusieurs opérations chirurgicales, Bébé Tshepang a survécu. Son affaire avait fait la "une" des médias pendant des semaines. Un quotidien avait publié une "liste de l'horreur", énumérant les agressions sexuelles sur des enfants rapportées en un mois à la police. Ebahie, l'Afrique du Sud découvrait l'ampleur du drame : une fille sur trois et un garçon sur cinq sont victimes de viols ou d'attouchements avant l'âge de 18 ans, selon les estimations de l'association Childline.

Cinq ans après l'affaire de Bébé Tshepang, la "liste de l'horreur" peut être faite et refaite chaque mois, au hasard des faits divers rapportés par la presse. 28 mars 2006 : 14 ans, violée par un ami de 20 ans ; 25 mars : 5 ans, violée par son père ; 19 mars : trois garçons 12, 13 et 14 ans, agressés sexuellement par un grand-père de 61 ans ; 28 février : 10 ans, violée par son beau-père ; 27 février : 11 ans, violée par un instituteur... La police sud-africaine reçoit chaque année environ 55 000 plaintes pour viol, dont 20 000 concernent des mineurs, soit 50 viols d'enfants par jour. Mais les associations qui luttent pour les droits des femmes estiment qu'un viol sur neuf seulement est rapporté à la police.

"Ce n'est pas un phénomène nouveau, explique Luke Lambrecht, directeur de la Teddy Bear Clinic, un service spécialisé qui travaille avec la police. Mais avant 1994 (année des premières élections libres), les tribunaux étaient trop occupés à faire appliquer les lois de l'apartheid. On n'en parlait pas, c'est tout." Pour cet homme dont la clinique effectue les examens légaux, apporte un soutien psychologique et prépare les enfants à la difficile étape du procès, "l'Afrique du Sud n'est pas un cas isolé. Il y a des viols d'enfants dans des proportions comparables dans beaucoup de pays, en particulier dans les pays en guerre. On oublie souvent que nous faisons partie des pays en développement et que nous sortons, nous aussi, d'une guerre."

Pour Aileen Langley, psychothérapeute à Childline, une ONG qui met à disposition des victimes ou des témoins une ligne de téléphone gratuite et ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, "la nouveauté est que maintenant on en parle. Et les enfants eux aussi commencent à parler. Il y a derrière nous plus de quinze ans de travail de prévention, de communication sur le sujet. Avant, parler de sexe, surtout à l'école, était totalement tabou ; ça change peu à peu". Elle voit plusieurs causes à ce drame, la première étant la pauvreté et la promiscuité dans laquelle vivent les familles. "Tout le monde, parents, enfants dorment dans une seule pièce, il n'y a aucune intimité. Les familles pauvres n'ont pas de vraie baby-sitter, les enfants sont gardés par les grands-mères ou des voisins, pas toujours très attentifs ou pas bien intentionnés."

Aileen Langley fait la distinction entre la pédophilie (clairement orientée vers les enfants) et les autres agressions, la majorité des cas, qui s'en prennent à un enfant un peu par hasard, comme "un beau-père qui se retrouve seul un soir, saoul, avec sa belle-fille de 12 ans, et a une relation sexuelle. Souvent, ces hommes ne se voient pas comme des violeurs, car il n'y a pas forcément de violence, et ils considèrent ça comme une relation comme une autre."

Plus de 90 pour cent des enfants violés connaissent leurs agresseurs, un père, un beau-père, un oncle, un voisin. Pauvreté, promiscuité, alcoolisme, mais aussi un héritage historique qui pèse encore très lourd. Sous l'apartheid, les familles étaient disloquées. Les hommes partaient travailler dans les fermes, dans les mines, à la ville. Les femmes, souvent, ne les accompagnaient pas ou alors étaient domestiques, contraintes de vivre seules dans les maid quarters, les chambres de bonne des foyers blancs. "Pendant des années, on a fait croire aux Noirs qu'ils n'étaient rien. Ces hommes-là ont perdu toute estime d'eux-mêmes", explique encore Aileen.

Face à cette déchéance, le sexe et la violence sont devenus la seule forme visible de pouvoir. [...]

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