Élection du Comité aux droits de l'enfant 2014 : Suzanne Aho Assouma (Togo)

Pourquoi souhaitez-vous être réélu au Comité des droits de l’enfant ?


C'est très simple, il s'agit d'avoir d'abord un aperçu mondial sur la situation de l'enfant et deuxièmement d'orienter les actions que je mène déjà sur le terrain depuis plusieurs années, et que ces actions puissent aussi impacter davantage la situation des enfants en général.  

Que pensez-vous pouvoir accomplir en tant que membre du Comité?

J'espère accomplir beaucoup de choses! Par exemple mettre l'accent sur les enfants en conflit avec la loi, les enfants des couples divorcés, pour éviter les tiraillements, et pouvoir aussi des réflexions sur certaines dispositions de la CDE, pour pouvoir intervenir dans certains domaines. Par exemple pour ce qui est des enfants handicapés, on en parle, mais qu'est-ce qui est fait concrètement? Que va-t-on imposer  aux Etats membres dans ce domaine? Est-ce qu'il faut exiger tout simplement par exemple des établissements de prise en charge?  Est-ce qu'il ne faudrait pas demander aux Etats des mesures d'accompagnement pour mieux prendre en charge l'enfant? En pensant à l'Afrique, lorsqu'il y a un enfant handicapé, il est entièrement à la charge de sa famille, qui est en proie à la pauvreté. Voilà un cas parmi tant d'autres. Et puis les enfants dans les conflits armés. Est-ce qu'on les prend suffisamment en charge? Qu'est-ce qu'ils deviennent? Une fille par exemple qui a été victime d'abus sexuels et qui par exemple à 9 ans 12 ans se retrouve avec une grossesse : est-ce que la prise en charge est vraiment effective? à toutes les étapes? La santé mentale de cette jeune fille et de l'enfant qui va naître?

Quelle est le problème dans le domaine des droits de l’enfant qui selon vous mériterait plus d’attention ?

Pour moi, un enfant, comme je le dis souvent, c'est comme un prisme. L'enfant bien sûr est un sujet de droit, mais, du fait de sa vulnérabilité, plusieurs domaines reflètent des problèmes. Par exemple, l'enfant qui naît sans acte de naissance. Dans le monde entier, il y a beaucoup d'enfants qui ne sont pas déclarés. Qu'est ce qu'on pourrait faire pour que tous les enfants aient automatiquement leur acte de naissance? Sur le plan mondial, on a bien lancé des campagnes de déclarations de naissance, mais est-ce qu'il y a vraiment un suivi pour voir où est-ce que l'on en est aujourd'hui? Combien d'enfants ont un acte de naissance? Je pense que cela commence par là : que l'enfant puisse avoir ses papiers, ce qui va tout déterminer dans sa vie, même après sa mort, on aura besoin de ces papiers. C'est un combat de longue haleine.

Il y a également le problème du trafic des enfants, l'exploitation sous toutes ses formes. Ca aussi c'est un gros problème et on ne peut pas dire qu'on a fini de combattre le trafic des enfants. On doit continuer, et ce problème est mondial : ça ne touche pas que l'Afrique. C'est un combat de tous les jours, quand on voit la souffrance de ces enfants qui ne peuvent même pas l'exprimer.

Les enfants sont touchés de manière disproportionnée par la pauvreté  et les coupes budgétaires décidées par les Etats suite à la crise financière. Dans ce contexte, que peut faire la communauté des défenseurs des droits de l’enfant pour protéger plus efficacement les droits de l’enfant ?

C'est vrai le constat que vous faites, pour nous c'est évident que les enfants sont victimes de cette situation d'extrême pauvreté des parents. Pour ma part je pense que le Comité devrait peser dans la balance et demander à tous les Etats membres de mettre davantage dans la cagnotte pour ce qui concerne les enfants, au niveau de leur budget. Par exemple le Ministère de l'action sociale devrait avoir assez sur le plan financier pour pouvoir travailler. Mais aussi dans les hôpitaux, les institutions, il faudrait davantage de fonds dédiés aux enfants et que les Etats membres mettent l'accent sur la situation de l'enfant. Parce que très souvent quand on parle de l'enfant, on se dit qu'on a d'autres priorités. Et on met davantage dans les armements que dans la vaccination, dans la lutte contre le Sida ou le paludisme qui tuent beaucoup d'enfants! On devrait mettre plus sur le plan technique et financier. Comme le dit souvent l'UNICEF "les enfants d'abord!" il faut que cela rentre dans nos têtes d'adulte et que les budgets contiennent une ligne budgétaire conséquente pour ce qui est du programme des enfants.

Dans notre suivi de l’actualité des droits de l’enfant, nous avons remarqué une tendance croissante à limiter l’accès des enfants à l’information. Certains pays ont des lois qui bannissent la distribution aux enfants d’information sur les orientations sexuelles « non traditionnelles » ; d’autres refusent régulièrement aux enfants l’accès à des informations sur la sexualité et d’autres problèmes de santé comme la consommation de drogues.  Ces restrictions sont souvent décrites, pour les justifier, comme des mesures de protection des enfants. Qu’en pensez-vous ? Selon vous, que peut-on faire de plus pour promouvoir l’accès des enfants à l’information ?

Dans le monde d'aujourd'hui, tout le monde a accès à l'information. Par exemple chez nous nous avons des endroits où les enfants ont accès à internet. Il y a un danger que les promoteurs de ce genre de sociétés ne fassent pas attention, ou qu'à la maison les parents ne soient pas assez proches des enfants pour voir les sites sur lesquels ils vont. On a pu voir que des enfants deviennent victimes de sites de pornographie et autres. Je dis oui à l'information des enfants mais attention au danger. De même que pour les films sur nos écrans, on ne fait pas assez attention, et les parents ne sont pas assez informés sur les signalétiques. Par exemple, on sait qu’on doit écouter l'enfant selon son âge et son degré de maturité. Il faut utiliser le vocabulaire à la portée de l'enfant pour qu'il comprenne, mais malheureusement dans la pratique, ce n'est pas assez vulgarisé. On devrait partout dans le monde être plus vigilants. Il y a trop de dérives, et cela détruit nos enfants. Le monde d'aujourd'hui est trop agressif pour nos enfants.

 En janvier 2012, le Comité  a examiné le rapport du Saint-Siège sur les droits de l’enfant, et en particulier les fréquentes affaires d’abus sexuels contre les enfants dans les institutions catholiques. Selon vous, que peut-il être fait pour protéger les enfants de la violence sexuelle dans les institutions religieuses plus généralement ?

C'est un sujet auquel personnellement je suis très sensible et que je combats tous les jours. La situation que vous décrivez est réelle, et je pense d'abord que les parents devraient être informés et rester vigilants par rapport à cela. Et que l'on donne aussi l'information à l'enfant. L'enfant devrait pouvoir s'approprier cette campagne pour mieux se défendre et se protéger. Le parent a le devoir d'accompagner l'enfant. Les parents doivent être vigilants aux traces de viols et d'abus.

En milieu religieux c'est pareil. Ce que je déplore, c'est que les abuseurs ne sont pas poursuivis. La religion a un aspect éthique et moral, on devrait les poursuivre, et ils devraient purger leurs peines, et prendre en charge les soins de l'enfant.

Je pense qu'il faut d'abord que tout le monde s'approprie cela, que l'on intervienne, que les parents en parlent, que les enfants en parlent. Il faut éduquer l'enfant à ne pas avoir honte de parler de ça, que le sexe ne soit plus un sujet tabou. Et qu'on aide les enfants victimes, car les parents peuvent le frapper, le considérer comme coupable. Un enfant comme ça va se culpabiliser toute sa vie.

On doit continuellement s'élever contre ces affaires. On doit continuer d'en parler, et frapper dur pour que cela s'arrête.

Il y a beaucoup de discussion sur les manières de s’assurer que les droits de l’enfant soient couverts par tous les organes de l’ONU. En réalité, les droits de l’enfant ne sont toujours pas couverts de manière systématique à tous les niveaux. Selon vous, que peut-il être fait pour mieux intégrer les droits de l’enfant au sein de l’ONU? Comment le Comité peut-il contribuer à cette approche d’intégration ?  

Il faut faire le plus de tapage possible! Il faut constamment en parler, partout où l'on se trouve. Par exemple, il s'est tenu ici un séminaire sur les conditions de détention des prisonniers. J'ai appelé un participant pour lui demander ce qu'il faisait des mineurs en conflit avec la loi, et de ceux qui sont en détention préventive. On sait les conditions dans lesquelles ils sont gardés, nourris, soignés, accompagnés : En est-on vraiment satisfaits à 100%? Il faut en parler! Quand on est quelque part dans une réunion, demander où sont les enfants dans tout ca? On peut demander aux enfants aussi d'être présents. Il y a des organismes qui le font. Mais la manière de les inviter ne me convient pas. C'est comme s'ils utilisaient les enfants pour leur propre publicité. C'est-à-dire qu'on a l'impression qu'on entend les adultes parler à travers le discours de l'enfant. Laissez l'enfant écrire son discours! Il faut considérer les enfants comme des partenaires. Il faut que l'enfant parle, même dans les instances de l'ONU, les instances de l'Afrique. On doit beaucoup bouger, on doit être, finalement, comme un enfant : il ne reste pas assis, figé, il bouge!

 Si vous étiez présidente du Comité, quels changements apporteriez-vous à son fonctionnement ?

Comme je viens de le dire, il faut secouer le Comité, il faut qu'il bouge. Et lorsqu'un pays membre envoie son rapport, d'abord il faudra bien le traiter, mais ne pas s'arrêter à ce qui est écrit. Chercher aussi d'autres informations, faire le déplacement, pour voir si ce que le Comité a dit a été suivi. Qu'est-ce qui est fait, qu'est-ce qu'il reste à faire ? Il faut impulser cette dynamique pour amener les Etats à respecter ce qu'ils ont signé.

Les ONG et les institutions indépendantes de défense des droits de l’homme ont bien sûr la possibilité de participer à l’examen des Etats parties par le Comité. Selon vous, de quelles manières le Comité peut-il collaborer plus efficacement avec la société civile, y compris avec les organisations nationales, dans son travail d’interprétation des droits de l’enfant dans la Convention ?

Personnellement, je pense que les ONG nationales, c'est vrai, luttent sous la banderole des droits de l'enfant, mais qu'est-ce qui est derrière ça? Est-ce qu'elles ne luttent pas contre sa propre pauvreté, pour leur propre cagnotte? Est ce que les activités conduites sont bien menées? Est-ce qu'on les fait seuls? Est-ce qu’il y a collaboration avec le gouvernement, les ministères en charge? Je pense que c'est en étant proche de la politique de l'Etat, du ministère en charge, que l'on peut changer, ensemble, les choses. Pas en restant dans son coin pour dénigrer l'Etat.

Ce qu'on a tendance à oublier, c'est que c'est l'Etat qui fait sa politique, et l'ONG accompagne. Elle peut rectifier, elle peut apporter ce qu'il manque à l'Etat. Sur le plan national, il y a certaines ONG qui ont compris et qui travaillent de concert avec les ministères. Sur le plan international, je pense qu'il n'y a rien à dire mais il faut qu'elles se fassent connaître des pays et qu'elles les accompagnent dans l'exécution de leur politique.

Concernant l'interprétation des dispositions de la Convention, par exemple au Togo, il y a des dispositions, de mon point de vue, qui sont, du fait de la traduction, difficiles à appliquer. Quand on dit par exemple que l'enfant a le droit d'association : beaucoup ne comprennent pas que c'est vrai, mais que ce droit d'association ne doit quand même pas échapper au point de vue des parents. Ici en Afrique, je pense qu'on n’est pas sur le même degré de compréhension, il faut davantage continuer à expliquer ce droit d'association. Que l'enfant aussi comprenne, que ce n'est pas parce qu'il a le droit d'association qu'il peut aller et venir. Il est encore sous l'autorité parentale. Il y a certaines dispositions qu'il faut continuer à expliquer pour avoir le même niveau de compréhension.

Le Comité des droits de l’enfant est le seul organe des traités de l’ONU qui n’a pas de procédure de suivi des recommandations. Si vous deviez développer une telle procédure, à quoi ressemblerait-elle?

Il faut peut-être formaliser un feedback écrit. Par exemple, fixer un délai pour que l'Etat partie réponde de ce qui a été fait par rapport aux questions soulevées au sein du Comité. Cela ne doit pas paraître un harcèlement, mais chaque fois, il faut demander ce qu'il en est des points négatifs relevés par le Comité. Qu'est ce qui qui a été fait? L'Etat doit pouvoir répondre avant la prochaine présentation du rapport. Et si on n'obtient pas de réponse, il faut continuer. On doit pouvoir en souplesse, continuer à rappeler à l'Etat les points soulevés, et demander s'il y a eu des avancées, des discussions, est-ce que le Comité peut faire des suggestions.

 Maintenant que le mécanisme de plaintes est entré en vigueur, de quelle manière le Comité peut-il s’assurer qu’il est accessible aux enfants ?

C'est très simple, on adresse un courrier à l'Etat, on peut s'appuyer sur les ONG, sur le mouvement des droits de l'enfant, sur tout ce qui compose la société civile, et même les confessions religieuses, on peut toujours demander ! Il  y a des mouvements, parfois des parlements des enfants. Mais d'abord, c'est à l'Etat d'être clair. On doit utiliser tous les mécanismes. Et avoir à l'esprit que l'enfant est au cœur de tout cela. J’ai comparé l'enfant à un prisme. Chaque facette est une problématique. Il faut chercher à entendre un enfant. Que dit l'enfant lui-même de sa situation? Selon son âge, son degré de compréhension, on doit pouvoir s'adresser à tout ce qui compose l'enfant, de n'importe quel côté du prisme. On doit pouvoir écouter l'enfant selon son âge, parler dans son langage. Tout enfant, on l'entend, on le regarde, on interprète. L'enfant est un sujet de droit! Pourquoi considère-t-on souvent qu'il ne sait pas et ne comprend pas?

 

Please note that these reports are hosted by CRIN as a resource for Child Rights campaigners, researchers and other interested parties. Unless otherwise stated, they are not the work of CRIN and their inclusion in our database does not necessarily signify endorsement or agreement with their content by CRIN.