Élection du comité aux droits de l'enfant 2014 : Hatem Kotrane (Tunisie)

 

Pourquoi souhaitez-vous être réélu au Comité des droits de l’enfant ?

Tout simplement parce que je me sens bien dans ce Comité et que j’y apporte une contribution et expertise juridique assez reconnues. De plus, ma contribution pourra se révéler décisive dans les activités futures du Comité, notamment depuis l’entrée en vigueur du troisième Protocole facultatif à la Convention des droits de l’enfant établissant une procédure de présentation des communications, qui donnera au Comité la compétence pour recevoir et examiner des plaintes individuelles des enfants, au titre de la violation de l'un quelconque des droits de l'enfant, ainsi que la possibilité d'organiser des visites dans les pays en cas de violations systématiques et récurrentes des droits de l'enfant. Pour moi c'est donc vraiment un nouveau défi qui me permettra d'apporter ma contribution à ce travail du Comité, tout en restant assez actif dans toutes les autres activités du Comité, essentiellement l'activité principale qui est l’examen des rapports périodiques soumis par les Etats parties au titre de la Convention et de ses deux protocoles facultatifs. Je suis, je crois, parmi les membres du Comité qui porte une vraie contribution notamment dans l'examen des rapports présentés par les Etats parties au titre du Protocole facultatif à la Convention des droits de l'enfant, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants. C'est là un protocole qui met surtout à la charge des états des obligations d'ordre juridique et ma contribution en la matière est assez généralement reconnue et appréciée.

Que pensez-vous avoir accompli  en tant que membre du Comité ?

Je crois que je suis quand même - les observateurs le diront mieux que moi - ce membre du Comité qui lit tous les rapports soumis par les Etats à examiner. Je sens que j'ai une certaine responsabilité en tant que membre ancien du Comité et je sens que mes collègues ont toujours besoin de moi pour traiter de questions juridiques qui sont assez pointues. Le Comité a encore besoin d'expertise juridique et je crois que ma modeste personne y apporte déjà une contribution. Je suis, par ailleurs et à titre d’exemple, un des spécialiste du Comité en ce qui concerne le travail des enfants et la justice juvénile.

 

Lorsque nous nous sommes entretenus avec vous en 2010, vous avez mentionné que les droits économiques et sociaux sont des questions qui mériteraient plus d’attention. Cela a-t-il changé ? Comment votre mandat au Comité a-t-il influencé votre vision du problème ?

Avant d'être membre du comité, j’étais l’expert indépendant nommé par l’ancienne Commission des droits de l'homme – aujourd’hui remplacée par le Conseil des droits de l'homme - chargé de la question d'un Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels. La question des droits économiques et sociaux est vraiment dans ma formation initiale et une de mes préoccupations majeures.

Le Comité des droits de l'enfant prête une attention particulière à ces droits économiques, sociaux et culturels et nous remarquons, par exemple, que les engagements pris par les Etats, ne serait-ce que dans les objectifs du millénaire, ont du mal à être réalisés. Le Comité a été insistant à travers l’Observation générale n° 16 (2013) sur les obligations des États concernant les incidences du secteur des entreprises sur les droits de l’enfant, à laquelle j’ai participé assez activement, surtout par rapport au secteur privé en tant que prestataire de services et les risques qu'il peut engendrer pour la jouissance des enfants des droits inscrits dans la Convention, ainsi que les responsabilités en découlant pour les Etats tenus de respecter, de protéger et de mettre en œuvre les droits des enfants.

 

Les enfants sont touchés de manière disproportionnée par la pauvreté  et les coupes budgétaires décidées par les Etats suite à la crise financière. Dans ce contexte, que peut faire la communauté des défenseurs des droits de l’enfant pour protéger plus efficacement les droits de l’enfant ? (Prompt : Quels sont les obstacles que les enfants rencontrent dans ce contexte que les adultes ne rencontrent pas nécessairement ?)

La pauvreté des enfants n'est pas seulement un problème économique et social, elle touche à tous les droits de l'enfant. Un enfant pauvre ne jouit d'aucun de ses droits. J'ai représenté le Comité dans plusieurs conférences sur l'implication de la pauvreté sur les droits de l'enfant. C'est une question cruciale qui, aujourd'hui, doit être au centre de nos débats. Il y a des inégalités et ces inégalités touchent surtout les enfants de l'Afrique subsaharienne.

Dans la Déclaration du Millénaire adoptée en septembre 2000 par l’Assemblée Générale des Nations Unies, les dirigeants politiques du monde entier avaient pourtant reconnu, en plus des responsabilités propres qu’ils doivent assumer à l’égard de leurs sociétés respectives, avoir des devoirs à l’égard de tous les citoyens du monde, en particulier les plus vulnérables, et spécialement les enfants, à qui l’avenir appartient. Ils ont également manifesté leur foi dans la capacité de l’humanité à accomplir, dans les années à venir, des progrès mesurables en vue de la création d’un partenariat mondial en faveur du développement qui permette d’atteindre les Objectifs Mondiaux pour le Développement convenus en 2015 au plus tard.

Or, nous sommes pratiquement à l’aube de l’année 2015. Les Etats ont contracté des engagements dont peu ont été tenus. Je pense que sur cette question là, tous les Etats doivent regarder de près leurs engagements et se demander s’ils les ont tenus. Je parle là des Etats développés avant les autres.

Les décisions des Etats de faire des coupes budgétaires sont des décisions lourdes de conséquences. Il s'agit ici de définir des priorités dans les politiques et les enfants doivent toujours être placés au-devant des priorités de l'Etat.

 

Dans notre suivi de l’actualité des droits de l’enfant, nous avons remarqué une tendance croissante à limiter l’accès des enfants à l’information. Certains pays ont des lois qui bannissent la distribution aux enfants d’information sur les orientations sexuelles « non traditionnelles » ; d’autres refusent régulièrement aux enfants l’accès à des informations sur la sexualité et d’autres problèmes de santé comme la consommation de drogues.  Ces restrictions sont souvent décrites, pour les justifier, comme des mesures de protection des enfants. Qu’en pensez-vous ? Selon vous, que peut-on faire de plus pour promouvoir l’accès des enfants à l’information ?

L'enfant a tout d'abord, et ça doit être constamment rappelé, le droit à la liberté d'expression et la liberté de recevoir toute forme d'information qui est utile pour son développement. Toute forme de restriction dans ce domaine est contraire à la Convention des droits de l'enfant. L'un des domaines les plus importants est celui de la santé reproductive des adolescents et des adolescentes et le Comité le rappelle souvent. C'est cela qui peut prévenir par exemple le mariage précoce.

Les enfants ont le droit d'être informés par tous les moyens et en même temps, bien entendu, les Etats ont l'obligation de protéger les enfants contre les matériaux nuisibles à leur santé, à leur moralité ou à leur développement. Dans le domaine propre de la protection de l’enfant contre l’information et la communication nuisibles, l’intérêt à diffuser des informations doit être constamment contrebalancé par les principes de protection de l’enfant contre une utilisation inappropriée de son image, contre une violation des ses droits à la vie privée, contre les dangers de la « revictimisation », et, de façon générale, contre une information manifestement contraire à l’intérêt de l’enfant. Il ne s'agit pas de faire de la censure mais juste de répondre aux devoirs de protection contre les informations nuisibles. La responsabilité en incombe aux Etats et aux instances indépendantes de régulation des médias et aux professionnels eux-mêmes tenus de mettre en place des règles déontologiques efficaces, tant il est vrai que nombre de médias se donnent parfois sans réserve dans la couverture d’évènements sensationnels relatifs à des cas de pédophilie et de viols d’enfants, ou dans la présentation d’émissions de télé réalité exposant des aspects de la vie d’enfants vivant des situations difficiles -handicaps, abandon scolaire, enfants en situations de rue, etc.-, et ce, dans des conditions très peu respectueuses de l’image de l’enfant, de sa dignité et de son droit à la confidentialité et au risque latent que les enfants victimes peuvent être amenés à vivre une seconde victimisation. Pourtant la priorité est donnée au tirage, au scoop, à l’effet-manchette, dans le non respect des dispositions légales et des règles de déontologie.

 

En janvier 2014, le Comité a examiné le rapport du Saint-Siège sur les droits de l’enfant, et en particulier les fréquentes affaires d’abus sexuels contre les enfants dans les institutions catholiques. Selon vous, que peut-il être fait pour protéger les enfants de la violence sexuelle dans les institutions religieuses plus généralement ?

Je crois que le Comité a été très clair et d'ailleurs nous avons été surpris par la réaction du Saint-Siège qui avait d'abord un peu critiqué le Comité puis a fini par prendre certaines mesures dans le sens qui a été proposé par le Comité comme la création d'une commission chargée de lutter contre les abus commis contre les mineurs dans l'église. La situation du Saint-Siège est un peu particulière puisqu'il n'a pas simplement autorité sur les prêtres au sein du territoire du Saint-Siège mais à une autorité sur tous les prêtres, qui partout dans le monde, sont en contact avec la population. Il a l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour enquêter et pour ne pas laisser dans l'impunité les infractions aux droits de l'enfant commise par les prêtres.

Le plus grand danger aujourd'hui est l'embrigadement idéologique et religieux, comme par exemple les écoles coraniques qui curieusement ont fait leur apparition en Tunisie, jusque-là généralement reconnue pour son système éducatif assez ouvert et adapté aux besoins de développement des enfants. Nous avons assisté, ici, heureusement, à une vraie mobilisation de la société civile qui a abouti à des mesures prises pour contrôler ces écoles - incluant la fermeture de quelques-unes. L'embrigadement idéologique ou religieux, quel qu'il soit, est contraire à la Convention des droits de l'enfant. Il appartient aux parents de guider l’enfant dans l'exercice des cultes religieux d'une manière qui corresponde au développement de ses capacités, sans intervention de la part de l’Etat. La convention donne d'ailleurs aux enfants le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion.

 

Il y a beaucoup de discussion sur les manières de s’assurer que les droits de l’enfant soient couverts par tous les organes de l’ONU. En réalité, les droits de l’enfant ne sont toujours pas couverts de manière systématique à tous les niveaux. Selon vous, que peut-il être fait pour mieux intégrer les droits de l’enfant au sein de l’ONU? Comment le Comité peut-il contribuer à cette approche d’intégration ?  

Je suis très attentivement les travaux de organes de l’ONU, pas seulement des organes de traités mais d'autres organes institutionnels notamment le Conseil des droits de l'homme dans son Examen périodique universel et je pense que les droits de l'enfant sont assez pris en compte. Par exemple, le Comite pour les droits économiques, sociaux et culturels réserve une grande partie de ses observations à la situation des droits de l'enfant. De même, dans la lettre du Secrétaire général sur la situation des droits de l'homme, il y a toujours une part conséquente qui traite des droits de l'enfant. Je pense donc que les droits de l'enfant sont assez présents dans les préoccupations des divers organes institutionnels ainsi que dans celles des organes de traités. Mais ce sont les engagements des Etats qui doivent être constamment rappelés et mis en œuvre plus activement par l’ONU.

 

Si vous étiez président du Comité, quels changements apporteriez-vous à son fonctionnement ?

Je pense que le premier changement nécessaire, auquel j'ai d'ailleurs déjà appelé et qui est discuté sereinement au sein du Comité, est que le Comité assure une certaine rotation géographique au niveau de sa direction. Tous les autres comités le font.

Je pense aussi que dans les prochaines années, le Comité doit quelque part renouveler ses méthodes de travail s'il veut éviter de se voir retirer une partie importante de sa substance. Il faut penser à ce qu’il pourrait faire de mieux par rapport à la procédure de soumission de rapports et peut-être créer une procédure de suivi pour avoir une méthode qui nous rend plus proche de la réalité des droits de l’enfant et des difficultés rencontrées dans les Etats.

 

D'ailleurs je voulais vous poser une question là-dessus. Le Comité des droits de l’enfant est le seul organe des traités de l’ONU qui n’a pas de procédure de suivi des recommandations. Si vous deviez développer une telle procédure, à quoi ressemblerait-elle ?

Le Comité pourrait assurer une procédure de suivi entre les périodes de soumission de rapports pour mieux accompagner les Etats dans l'accomplissement des engagements pris à l’égard des droits de l'enfant.

D'ailleurs nous étions le seul organe de traités qui organisait, de façon assez soutenue, des conférences régionales de suivi des recommandations. C'est une activité très intéressante en ce qu'elle permet en même temps de nous réunir avec les Etats d’une même région pour discuter d'observations finales et donne la chance aux organisations de la société civile de participer activement à ces conférences régionales de suivi. Mais, malheureusement, ces dernières années, le Comité n'a pas organisé de telles conférences. Il faudrait peut-être reprendre cette  activité en la développant sous forme d’un mécanisme de suivi des recommandations.

 

Les ONG et les institutions indépendantes de défense des droits de l’homme ont bien sûr la possibilité de participer à l’examen des Etats parties par le Comité. Selon vous, de quelles manières le Comité peut-il collaborer plus efficacement avec la société civile, y compris avec les organisations nationales, dans son travail d’interprétation des droits de l’enfant dans la Convention ?

Je pense que les ONG apportent une contribution très importante, notamment dans les réunions de groupes de travail des précessions. J'ai remarqué personnellement que dans beaucoup de régions, nous n'avions pas d'ONG représentées. La situation a l'air de s'être un peu améliorée ces dernières années. Mais il faudrait que la présence des ONG et des institutions nationales de défense des droits de l'homme soit plus égale surtout pour certaines régions où l’attention est plus demandée.

Les ONG doivent être plus actives pour le suivi des observations. Dans l'avenir, le travail des ONG devrait être d'accompagner les Etats pour assurer l'application concrète des observations du Comité. Ce travail pourrait être pensé dans le cadre d'une stratégie d’ensemble, à laquelle le Comité appelle souvent à la mise en place et se montre toujours prêt à soutenir les activités et les initiatives en cette direction.

Maintenant que le mécanisme de plaintes est entré en vigueur, de quelle manière le Comité peut-il s’assurer qu’il est accessible aux enfants ?

Ce mécanisme a bien sûr été fait pour les enfants mais il faut se rappeler que les enfants doivent d'abord essayer de défendre leurs droits au niveau national. De plus, le facteur temps est plus important pour les enfants. Ils ont besoin d'une réponse plus rapide à leurs problèmes. Donc, nous voulons d'abord encourager les Etats à agir rapidement sur place en mettant en place des mécanismes indépendants de plaintes, ouverts et accessibles aux enfants et à leurs parents. Mais le Protocole facultatif permet, lorsque nous voyons que les délais sont trop lents, de saisir le Comité directement. 

Nous pensons que les ONG et l'Unicef peuvent beaucoup nous aider pour amener une ratification beaucoup plus large du nouveau Protocole facultatif par les Etats et pour faire en sorte que les voix des enfants soient entendues, surtout que le Comité n'est pas présent dans les Etats.

 

Une nouvelle Constitution a été approuvée en Tunisie récemment. Pensez-vous qu’elle reconnait les enfants en tant de titulaires de droits et assure la protection de ces droits? Qu’aurait-il fallut ajouter à votre avis?

J'étais très actif personnellement là-dessus et je me suis montré très préoccupé durant les différentes étapes de formulation des projets successifs de la Constitution, notamment les articles y dédiés aux droits de l’enfant.

Les premières versions de la Constitution étaient tout à fait en décalage avec les droits de l'enfant reconnus par la Convention et par le droit actuel en Tunisie. J'avais, d'ailleurs, écrit deux articles qui sont parus dans les colonnes de la presse sur le sujet. Aucune référence n’était faite à l'enfant en tant que titulaire de droits. J'avais fait une proposition qui dit qu’il faut d'abord commencer par dire que l'enfant est un sujet de droit, préciser que les droits de l'enfant doivent être respectés et mis en œuvre sans discrimination, ajouter que, pour les décisions prises à l'égard des enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale et dire, enfin, que les enfants doivent être associés et leur avis doit être pris en compte dans les questions qui les concernent.

En gros, nous sommes finalement parvenus à une formulation en général bonne mais malheureusement insuffisante par ce que l'idée que l'enfant est un sujet de droit n'est pas clairement exprimée, ainsi que son droit à la participation aux décisions qui le concernent. Par contre le Code de protection de l'enfance, adopté depuis 1995, rappelle la plupart des principes de la Convention.

Maintenant il faut continuer à lutter pour que ces droits soient non seulement inscrits dans le texte mais aussi et surtout traduits dans la réalité quotidienne.

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