Soumis par Louise le
[Le 16 septembre 2014] -
C'est certainement une décision historique pour Avocats sans frontières. Pour la première fois cet été, une institution régionale, la cour de justice de la Cedeao (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) a reconnu la violation de la charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant, qui interdit de condamner à mort les mineurs. Le 28 mars 2006, Maimuna Abdulmumini est arrêtée. Elle n'a que 13 ans et est déjà mariée depuis cinq mois. On la soupçonne d'avoir mis le feu à la pièce où dormait son époux puis de l'avoir verrouillée, afin qu'il ne puisse en sortir. Devant la justice, elle se défend ardemment de tels actes, mais son avocat, commis d'office, ne plaidera même pas l'affaire.
Maimuna est finalement condamnée à mort par pendaison le 6 décembre 2012, soit presque six ans après les faits. Elle s'est alors remariée et vient de mettre au monde une petite fille. Alertés par des avocats nigérians, Me Jean-Sebastien Mariez et Cécile Ostier, d'Avocats sans frontières, se saisissent de l'affaire. Et aident les avocats locaux à porter le dossier devant la cour régionale. Ils affirment que le Nigeria ne peut pas condamner à mort une jeune femme mineure au moment des faits, et encore moins la laisser croupir en prison avec son bébé. La cour de justice de la Cedeao accepte de se saisir du dossier début 2014, et interdit aux autorités nigérianes et à l'État du Katsina de pendre la jeune femme tant qu'elle n'aura pas rendu sa décision. S'ensuit une longue bataille judiciaire.
Dans le couloir de la mort
"Ne serait-ce que pour obtenir les pièces de la procédure, cela a déjà été un énorme challenge", témoigne Me Mariez. Emprisonnée de longs mois avec son bébé, Maimuna l'a finalement confié à sa famille en 2013, avant de rejoindre le couloir de la mort. Une décision de la cour de justice de la Cedeao devenait urgente. Ses avocats l'affirment : Maimuna n'aurait jamais dû être détenue avec son bébé dans des prisons qui ne sont pas faites pour les enfants.
Le choix de la mère de se rendre en prison avec son enfant relevait de sa "totale discrétion", rétorquent les juristes de la République fédérale du Nigeria. Pour eux, la jeune femme aurait très bien pu laisser son enfant à son père, ce qu'elle n'a jamais accepté. Elle ne l'a amené avec elle que pour s'attirer le soutien de la communauté internationale, soutiennent-ils. Avant de balayer les arguments de la plaignante : la cellule était "neuve", "décente et hygiénique". De l'eau propre et potable était à la disposition de la jeune femme tous les jours, lâchent-ils. Avant de conclure : "Rien dans la loi nigériane n'interdit à un juge d'envoyer en prison une mère qui allaite."
Violation des principes fondamentaux
Évoquant de nombreuses violations des principes fondamentaux du droit des mineurs et du droit de la défense et arguant que la pendaison relève plus de la "torture" que de la mort en elle-même, les avocats de Maimuna ont tout fait pour avoir une décision favorable. Ce qu'ils ont obtenu, la Cedeao considérant que ses droits avaient été violés.
Nous sommes en juin 2014. Avocats sans frontières vient tout juste de recevoir la décision écrite et motivée. Vingt-cinq mille euros de dommages et intérêts ont été alloués à la jeune femme. Sauf que Maimuna Abdulmumini est toujours emprisonnée au Nigeria. Ses avocats entendent bien obtenir une annulation de la peine de mort en demandant un nouveau procès sur la base de la décision de la Cedeao. "On envisage également de faire une demande de grâce", précise Me Mariez. Le tout en espérant que les autorités locales ne fassent pas fi de la décision de la cour africaine et ne mettent pas à exécution leur sentence.
Plus d'informations
- Campagne de CRIN sur les sentences inhumaines
- L'affaire d'une adolescente meurtrière mariée de force divise le Nigeria (article de Jeune Afrique sur une affaire similaire plus récente, août 2014)