Soumis par crinadmin le
[Johannesburg, 14 juillet 2006] - Chaque jour, Helen Angwa, 13 ans, est réveillée vers cinq heures du matin, et engage sans répit, une journée de travaux ménagers qui ne s'achève généralement qu'aux alentours de minuit dans une maison de Yaoundé, la capitale camerounaise. Elle se plaint de sa situation qu'elle compare à celle d'une esclave entre les mains de sa patronne, une restauratrice, à qui elle a été "vendue", alors qu'elle avait juste neuf ans. Comme de nombreux enfants, elle a été victime de la traite des enfants qui sévit encore au Cameroun, bien qu'elle soit interdite par une loi de décembre 2005. Elle dit qu'elle ne peut pas dire à combien elle a été vendue, ce que sa patronne n'a pas voulu révéler non plus. "Elle était mineure à son arrivée, mais voyez-vous, elle est déjà une femme maintenant. Elle fait tout ce que je lui demande et ne me crée aucun problème. Est-ce qu'on peut dire qu'Angwa est fille captive?", demande la patronne du macquis. Pour autant, la loi n'autorise pas le travail des enfants âgés de moins de 18 ans. Et elle punit de 10 à 20 ans de prison et d'une amende d'environ 95 à 1.900 dollars, toute personne se livrant au trafic ou à la traite des enfants. Mais depuis la promulgation de cette loi en janvier 2006, aucune peine n'a encore été prononcée à l'encontre d'un parent, ou d'une personne coupable de traite ou d'exploitation d'enfant. "Les enfants sont victimes de l'esclavage, avec la bénédiction de leurs géniteurs qui livrent leurs progénitures aux exploitants véreux venus des grandes villes et autres aventuriers", a indiqué, dans un entretien téléphonique avec Inter Presse Service, Joseph Chongsi Ayeah, président du 'Centre for Human Rights and Peace Advocacy', une organisation non gouvernementale (ONG) basée à Bamenda. Bamenda est une région très touchée par la traite des enfants dans ce pays d'Afrique centrale. "Quatre-vingt-dix pour cent des habitants de la ville de Bamenda sont victimes ou pratiquent le trafic des enfants", affirme Chongsi dont l'ONG vient de publier, en juin, une étude sur la situation du travail et du trafic des enfants au Cameroun. Selon l'étude, la plupart des enfants sont utilisés dans des plantations de café, cacao et d'hévéa dans le sud du pays, tandis que d'autres servent comme vendeurs ambulants ou domestiques. Les filles sont toutes serveuses dans les maquis, ou comme filles de ménage, ou prostituées par leurs patronnes. Le Bureau international du travail à Yaoundé estime qu'environ 600.000 enfants étaient victimes de trafic au Cameroun en 2005. Pour Horizon jeunesse, une ONG basée dans la capitale, "le nombre d'enfants en situation de travail ou de trafic proche de l'esclavage" dans le pays est de trois millions. Le Cameroun compte près de 17 millions d'habitants, dont environ 56 pour cent a moins de 20 ans, selon des estimations officielles. Par ailleurs, une enquête conjointe de l'Institut national de la statistique et du Fonds des Nations Unies pour l'enfance, publiée en 2005, indiquait que cinq pour cent des enfants âgés de quatre à 14 ans ont effectué un travail rémunéré au Cameroun, et que 24 pour cent participent à un travail non rémunéré pour une personne autre qu'un membre de sa famille. Les enfants sont exploités sous des formes diverses au Cameroun, selon des ONG. Les fillettes sont ménagères ou serveuses dans certains restaurants qui n'ouvrent que le soir. Souvent exploitées sexuellement, elles finissent comme prostituées dans la rue ou dans un réseau de proxénètes. Les garçons travaillent dans des plantations industrielles ou sont exportés vers des pays voisins. "Jadis pays de transit des trafiquants d'enfants, le Cameroun est devenu, depuis quelques années, un pourvoyeur d'enfants esclaves et de prostituées vers les pays limitrophes", déclare à Inter Presse Service, Léon Noah Manga, président du Comité consultatif d'un projet de lutte contre la traite et l'exploitation des enfants en Afrique de l'ouest et du centre. Ce projet est basé à Yaoundé. "Environ 200 enfants d'origine camerounaise et une soixantaine d'autres d'origine béninoise et nigériane, victimes de réseaux des trafiquants et destinés à des employeurs du Gabon et de la Guinée Equatoriale, ont été récupérés aux frontières du Cameroun et remis à leurs familles", en juin, souligne Manga, indiquant que les auteurs n'avaient pas été retrouvés. Les ONG dénoncent l'ignorance et l'irresponsabilité de certains parents par rapport à l'avenir de leur progéniture, mais aussi et surtout la grande pauvreté au Cameroun. Près de 50 pour cent de la population du pays vit en dessous du seuil de pauvreté avec moins d'un dollar par jour, selon l'Indicateur humain de développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement. "En effet, la traite que subissent nos enfants aujourd'hui est une triste réalité qui a été aggravée par les effets conjugués de la crise économique, l'affaiblissement des liens familiaux et la détresse", indique à Inter Presse Service, Nicolas Mukama, président de Horizon jeunesse. Cette situation "jette les mômes en pâture chez les trafiquants sans scrupules et les 'mamas' (patronnes de maquis) chez qui ils sont exposés à de pires formes d'exploitation telles que la prostitution et le trafic de drogue". "La loi pour traquer les exploitants des enfants existe", reconnaît Ghislaine Eballe, assistant principal en service au ministère des Affaires sociales. Mais, "en l'absence de toute dénonciation, nous ne pouvons rien faire de concret dans la lutte contre l'esclavage des enfants", dit-elle à Inter Presse Service. Eballe affirme que la plupart des gens disent que chaque parent peut faire de sa progéniture ce qu'il veut. "Néanmoins, nous invitons les parents et tous ceux qui aiment les enfants - qui représentent l'avenir de ce pays - à dénoncer ces pratiques rétrogrades qui sont du reste répréhensibles".