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Summary: Les travailleurs humanitaires espèrent que les nouveaux chiffres « choquants » révélés par l’étude sur la malnutrition menée dans l’ouest du Yémen vont aider à faire valoir l’urgence de la situation humanitaire dans le pays et pousser les donateurs à agir immédiatement.
[Le 28 décembre 2011] - Aujourd’hui encore, selon les travailleurs humanitaires, certains donateurs ne sont toujours pas convaincus de l’ampleur du problème, parce qu’ils ont le sentiment de manquer de preuves. « Cela a été un vrai problème, » a dit à IRIN un travailleur humanitaire basé au Yémen. « Chaque fois que nous nous rencontrons avec les donateurs, ils nous demandent : ‘Quels sont les chiffres ? Où sont les données ?’ » Geert Cappelaere, directeur du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) au Yémen, a indiqué que les donateurs lui avaient réclamé davantage de preuves que la malnutrition était véritablement une priorité. « Ce genre de question – encore et toujours – tue quelque chose en moi. Pourquoi vouloir que des enfants meurent avant d’accorder une certaine crédibilité au désastre qui se profile ici, au Yémen ? Résultats L’étude a établi un taux de malnutrition aiguë globale (MAG) de 31,7 pour cent, ce qui signifie que près d’un tiers des enfants examinés souffraient de malnutrition aiguë modérée ou sévère ; près de 10 pour cent d’entre eux étaient des cas sévères. Ces chiffres représentent plus du double de ce qui est internationalement reconnu comme le seuil d’urgence, à savoir 15 pour cent. L’étude a également révélé que près de 60 pour cent avaient un poids insuffisant et que 54,5 pour cent présentaient un retard de croissance, c’est à-dire que leur taille était trop petite pour leur âge, un signe de malnutrition à plus long terme. Ces résultats correspondent à ceux d’études menées récemment dans d’autres régions du pays. Au sud, dans le gouvernorat d’Abyan, champ de bataille de l’incessant conflit entre les troupes gouvernementales et les militants affiliés à Al-Qaida, une enquête de l’UNICEF datant de septembre avait trouvé un taux de MAG de 18,6 pour cent, dont 3,9 pour cent de cas sévères. Dans le gouvernorat de Hajjah, au nord du pays, une étude gouvernementale de juin avait révélé un taux de MAG de 31,4 pour cent, dont 9,1 pour cent de cas sévères. Presque la moitié des enfants examinés en Hajjah avaient un poids inférieur à la moyenne et 43,6 pour cent présentaient un retard de croissance. « Quel que soit l’endroit où nous allons enquêter ou évaluer une situation, nous parvenons toujours aux mêmes conclusions, » a dit M. Cappelaere à IRIN. « Les taux de malnutrition aiguë au Yémen sont incroyablement élevés. » Selon le ministre de la Santé du Yémen, Ahmed Al-Ansi, un demi-million d’enfants souffrent de malnutrition aiguë dans le pays. Des centaines de milliers de paysans risquent de perdre leur moyen de subsistance à cause des inondations et de la sécheresse, a t-il ajouté. Selon l’organisation non gouvernementale (ONG) Oxfam, beaucoup d’enfants yéménites vivent de pain et de thé. D’après les Nations Unies, quelque sept millions de personnes (soit un tiers de la population) souffrent d’insécurité alimentaire, ce qui veut dire qu’elles vont se coucher le ventre vide ou ne savent pas d’où viendra leur prochain repas. Ce chiffre devrait augmenter de façon significative quand le Programme alimentaire mondial va réaliser une nouvelle Enquête nationale de sécurité alimentaire complète en janvier. Les travailleurs humanitaires estiment que la situation au Yémen continuera à empirer l’année prochaine. Mais au cours des dix derniers mois, durant lesquels les manifestations anti-gouvernementales ont provoqué des représailles et une crise politique violentes, il y a eu dans certaines régions jusqu’à 40 pour cent de moins d’enfants vaccinés, a indiqué M. Cappelaere de l’UNICEF. Si l’on combine les forts taux de malnutrition, la réduction du taux de vaccination et des épidémies sporadiques de maladies comme la rougeole, « le désastre n’est pas loin. » L’étude menée en Hudeidah a trouvé que trois enfants sur quatre avaient souffert de diarrhée, d’une infection respiratoire aiguë ou de fièvre durant les deux semaines précédant l’étude ; 2,5 pour cent des mères ont également fait état de symptômes de rougeole chez leurs enfants au cours des trois derniers mois. L’étude a révélé que le taux de vaccination contre la rougeole était de 74 pour cent en Hudeidah, ce qui est nettement inférieur au taux de couverture de 90 pour cent préconisé pour empêcher les épidémies. « Comment se fait-il que la communauté internationale ne commence à se mobiliser que quand elle constate le tour dramatique pris par telle ou telle situation ou crise que nous aurions pu anticiper depuis des années et des années ? » a demandé M. Cappelaere. « Il n’est pas question de blâmer ou de faire honte à qui que ce soit, mais c’est vraiment une question que nous devons nous poser, de façon collective. » Les Nations Unies ont lancé un appel pour 154 millions de dollars de programmes alimentaires et agricoles et 70 millions de programmes nutritionnels, les plus importantes demandes par secteur au sein d’un appel global pour obtenir 447 millions de dollars pour le Yémen en 2012. Capacité gouvernementale Le gouvernement, à court de liquidités, est chargé d’organiser les élections présidentielles d’ici février 2012, tout en essayant de préserver la stabilité. Les manifestants en faveur de la démocratie et une opposition armée étaient en conflit avec les forces gouvernementales de façon intermittente depuis février 2011. L’accord de paix a ramené un certain calme dans la capitale Sanaa et dans la deuxième ville du pays, Taïz, mais les rebelles, les séparatistes et les militants affiliés à Al-Qaida continuent à s’opposer au gouvernement dans plusieurs régions du pays. Majid Al Jonaid, ministre-adjoint de la Santé, a affirmé que l’une des priorités du gouvernement est de trouver des solutions aux problèmes qui affectent la vie quotidienne des Yéménites, notamment la malnutrition. Le gouvernement a l’intention d’ouvrir des cliniques et d’organiser des campagnes éducatives, dans le cadre d’une stratégie gouvernementale multisectorielle sur la malnutrition, qui avait été approuvée par le cabinet l’an dernier, avant la dernière crise. Mais « cela dépend surtout de la disponibilité des ressources et de la situation générale, » a t-il dit à IRIN. « Nous allons commencer le travail avec les maigres ressources que nous avons. » Toutefois, M. Al Jonaid a dit qu’il craignait que la malnutrition ne suscite pas l’attention qu’elle mérite, parmi toutes les priorités et les contraintes gouvernementales concurrentes. Ainsi, le ministère de la Santé est resté quasiment fermé pendant des semaines, en raison des conditions d’insécurité régnant dans le bâtiment et dans les environs. Pour M. Cappelaere, il n’est pas réaliste de s’attendre à ce que le gouvernement puisse assumer une grande part de la responsabilité du travail humanitaire de la communauté internationale dans l’année qui vient. Effets à long terme La résolution des problèmes de malnutrition est une tâche complexe, car elle est liée à la pauvreté, au manque d’éducation, aux mauvaises conditions d’assainissement et à des pratiques culturelles telles que la consommation de khat ou le refus de l’allaitement exclusif. En Hudeidah, seuls 9 pour cent des bébés de moins de six mois sont nourris uniquement au sein. Le rapport du ministère de la Santé émanant de l’étude nutritionnelle recommande d’établir des programmes thérapeutiques ambulatoires dans les centres de santé communautaires et d’envisager des « stratégies radicales » comme la distribution généralisée, plutôt que ciblée, de compléments alimentaires. Il est absolument nécessaire d’investir immédiatement dans l’aide humanitaire vitale ainsi que dans le travail de développement à long terme, a dit M. Cappelaere, afin de prévenir à la fois les taux de mortalité élevés et les effets à long terme de la malnutrition chronique, tels le retard du développement cognitif, qui affecteraient la capacité du pays à aller de l’avant. « Le Yémen entre dans une nouvelle phase de son histoire, » a déclaré Pete Manfield, responsable adjoint du Bureau pour la Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies (OCHA) au Yémen, « mais il est essentiel que les besoins humanitaires soient couverts en 2012, non seulement pour prévenir les décès, mais aussi pour garantir la stabilisation du pays. » « Ne laissons pas le Yémen devenir une autre catastrophe, » a ajouté M. Toyberg-Franzen.
Le ministère yéménite de la Santé publique et de la Population a enquêté, avec le soutien de l’UNICEF, auprès de 3 104 foyers du gouvernorat d’Hudeidah et collecté des données concernant 4 668 enfants de moins de cinq ans.
Les taux de mortalité
Si les taux de malnutrition dans certaines régions du Yémen sont comparables à celles qu’on trouve dans certaines parties de la Somalie, ils n’ont pas encore provoqué les mêmes taux de mortalité, parce que le Yémen disposait, encore récemment, d’un système de santé primaire - la vaccination entre autres - qui fonctionnait, fût-ce de façon imparfaite.
Les responsables gouvernementaux admettent qu’il sera difficile au cabinet yéménite intérimaire de faire face à ces taux de malnutrition dramatiques ; celui-ci vient juste d’être mis en place, après l’accord de paix signé fin novembre qui a sauvé in extremis le pays de la guerre civile.
Les événements de cette année ont ramené la situation économique du pays de 5 à 10 ans en arrière et le Yémen continuera à avoir des besoins humanitaires importants pendant encore 3 à 5 ans, selon le coordonnateur humanitaire des Nations Unies au Yémen, Jens Toyberg-Franzen. Pour M. Cappelaere, le pays continuera probablement à avoir, dans une certaine mesure, besoin d’assistance durant les deux ou trois décennies à venir.