Soumis par crinadmin le
Summary: La proposition de reconnaître officiellement l’usage des langues indigènes dans les écoles primaires au Timor-Leste, un pays polyglotte, a divisé les membres du gouvernement, la société civile et les éducateurs. Comment la langue peut engendrer l’harmonie – ou la discorde – au sein de cette jeune nation, c’est la question qui est ici soulevée.
[Le 28 mars 2012] - Le programme « langue maternelle » est mené par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) qui a encouragé des programmes similaires dans d’autres pays. Selon les organisateurs du programme, les enfants sont plus à même de développer leurs compétences cognitives, durant les premières années à l’école, quand l’enseignement est fait dans la langue parlée à la maison, plutôt que dans les langues officielles nationales - à savoir le tétum et le portugais dans le cas du Timor-Leste - qui sont moins couramment utilisées dans le contexte communautaire. Instruire les enfants dans leur langue familiale empêche que les enfants pauvres, qui ont tendance à avoir une moindre exposition aux langues parlées à l’extérieur, ne soient désavantagés à l’école et ne finissent par abandonner leurs études, a expliqué l’UNESCO. Au Timor-Leste, un enfant sur cinq doit redoubler sa première année d’école et la moitié des élèves qui s’inscrivent à l’école primaire ne vont pas jusqu’au bout, révèle le dernier Indice de développement humain des Nations Unies. « Pour les Timorais, le portugais a une résonance historique, sociale et culturelle unique, mais il est vrai que dans beaucoup de communautés du Timor-Leste, ni le tétum ni le portugais ne sont la première langue ; leur usage inhibe la capacité [des enfants]à acquérir de nouvelles connaissances, » a dit à IRIN Kirsty Sword-Gusmão, une activiste d’origine australienne qui est responsable du bureau de l’UNESCO dans le pays. Le manque d’éducation et les limites qu’il impose aux jeunes quand il s’agit de trouver du travail constituent des sources potentielles majeures de tensions futures, a t-elle ajouté. La violence des gangs de jeunes était jusqu’à récemment problématique dans les villes, mais elle est en voie de réduction. Barbara Thornton, spécialiste de l’éducation et consultante pour la Banque mondiale sur le projet de langue maternelle au Timor-leste, a souligné que les politiques linguistiques actuelles risquaient d’« enraciner les différences de classes. » Le Portugal a contrôlé le Timor-Leste en tant que colonie jusqu’en 1975. Moins de deux semaines après l’indépendance du Timor-Leste, l’Indonésie envahit le pays ; ce fut le début d’une occupation brutale qui a duré 24 ans. Un quart de la population de l’île a péri sous la domination indonésienne. Une bonne partie des leaders de l’indépendance timoraise ont été éduqués en portugais et ont promu cette langue comme le langage de la résistance, afin de mettre l’accent sur les différences historiques et culturelles entre leur nation en devenir et les territoires insulaires voisins contrôlés par l’Indonésie. Ils ont aussi estimé que le portugais serait une langue neutre parmi les peuples du Timor-Leste où sont parlées des dizaines de langues indigènes. Quand le Timor-Leste a obtenu son indépendance, ses responsables ont choisi le portugais et le tétum comme langues officielles du pays et ont demandé aux écoles d’enseigner dans ces deux langues. Bonafacio Barros, un lycéen de 18 ans de Dili, la capitale, a reconnu avoir tendance à « décrocher » quand ses enseignants utilisent le portugais. « Nous ne comprenons pas grand chose. » Juila Gaio, conseillère auprès du ministère de l’Education, a fait remarquer que beaucoup d’enseignants peinent à intéresser les élèves de primaire aux leçons s’ils n’utilisent pas la langue familière aux enfants. Au Timor-Leste, la plupart des gens parlent tétum une fois adultes, mais beaucoup maîtrisent très mal cette langue durant les premières années de leur scolarisation. Le programme langue maternelle devrait permettre d’enseigner aux enfants dans les langues parlées chez eux pendant les premières années d’école, avant d’introduire progressivement le tétum et le portugais. Un programme pilote est censé être mis en place dans 12 écoles primaires en avril. « Nous nous efforçons de consolider l’unité de façon à ce que chacun se pense comme Timorais oriental au lieu de penser : je suis Mambae, je suis Fataluku, etc. » José Ramos-Horta a dit à IRIN le Président José Ramos-Horta, faisant référence à deux des groupes ethniques du pays. En 2008, M. Ramon-Horta a échappé de justesse à une tentative d’assassinat, provoquée, en partie, par le factionnalisme régional. Il craint que l’extension du programme au-delà des 12 écoles [pilotes] n’entrave les efforts faits pour encourager l’apprentissage du tétum, mais les partisans du programme sont convaincus du contraire. « C’est en réalité une manière de rassembler la nation en [accordant une valeur] aux différentes langues et cultures, » a déclaré Agustinho Caet, un des responsables du ministère de l’Education. « Si nous ne le faisons pas, cela pourrait être source de conflit. Les gens diront : Vous oubliez notre langue. »
Le tétum avait à cette époque émergé comme étant un langage parlé par une majorité de Timorais, alors que le portugais n’était parlé que par une fraction de la population. Aujourd’hui, les enseignants aussi bien que les élèves ont encore beaucoup de mal à respecter cette politique.
Pour les opposants, le projet sera difficile à réaliser parce que la plupart des langues indigènes du pays ne s’écrivent pas et n’ont qu’un vocabulaire limité.
Chose plus importante, affirment-ils, l’instruction en langue maternelle pourrait mettre en péril l’unité nationale dans un pays qui n’a qu’une dizaine d’années d’indépendance derrière lui et dont l’histoire est semée de conflits sanglants provoqués par le factionnalisme régional.
« Cette politique inculquerait un sentiment de division… elle commencerait petit à petit à détruire l’identité et l’unité nationales, » peut-on lire dans une déclaration qui illustre la force de l’opposition à ce plan dans certaines parties du pays. Cette déclaration émane d’une coalition d’organisations non gouvernementales (ONG) à laquelle certaines ont ensuite retiré leur soutien.