Soumis par crinadmin le
Summary: Le gouvernement tchadien a pour la première fois reconnu, lors de la signature avec l’Unicef d’un protocole d’accord sur la protection des enfants associés aux forces et groupes armés, la présence d’enfants soldats dans les rangs de l’armée.
«Le gouvernement s’est engagé à œuvrer pour le bien-être des enfants. Dans cette logique, nous avons signé cet accord pour matérialiser notre bonne volonté et libérer ces enfants des conflits armés», explique le secrétaire d’Etat aux Relations extérieures, Moussa Djida Outman. «Il y a quelques jours, à Mongo, des actions concrètes ont été posées en démobilisant plus de 300 enfants de l’armée nationale et c’est déjà un signal fort de la matérialisation de cette bonne volonté», ajoute-t-il. Ces enfants ont été identifiés lors de la première mission conjointe de l'Unicef et du gouvernement tchadien. Ils ont recensé près de 400 enfants soldats dans le centre de formation de Mongo, au centre du pays. «Ils sont à peu près 380», explique un officier tchadien. «Beaucoup sont même partis avant le recensement. Il y en a environ une centaine parmi eux qui sont très jeunes, entre 8 et 12 ans. Ceux-là sont des ex-FUC, d’anciens rebelles», précise-t-il. «Chez nous, ce n'est pas comme chez les rebelles», explique un autre officier tchadien. «Ce sont des officiers en brousse qui ne connaissent pas les règles et acceptent dans l'armée des jeunes, souvent des neveux ou des petits cousins». «Quel âge a ce soldat ?» Le sujet a longtemps été tabou. En octobre 2006, à la une du journal privé tchadien, Notre Temps, figurait une photo d’un enfant imberbe, la Kalachnikov à la main et cette simple interrogation : «Quel âge a ce soldat?». Une première page, symbole du bras de fer entre le gouvernement tchadien et les médias privés. Le ministre de la Défense de l’époque avait démenti, lors d’une conférence de presse, toute présence d’enfants soldats et mis en garde les médias qui «salissent» l’armée sans preuve. Un journaliste qui avait passé outre en avait fait les frais en passant quatre jours en prison, avant d’être relâché. «Tous les journalistes le savaient. C’était le sujet à éviter sous peine de graves ennuis. Même les organisations internationales, comme l’Unicef, n’osaient pas dénoncer ouvertement l’existence d’enfants soldats, ils avaient peur de se faire expulser», explique un autre journaliste tchadien. «Vous ne trouvez pas cela étrange que le sujet soit mis sur le tapis juste maintenant ? Pourtant, il y a toujours eu des enfants soldats dans l’armée tchadienne», ajoute-t-il, dans un éclat de rire. Le 17 janvier 2007, le ministre tchadien des Affaires étrangères Ahmad Allami avait demandé au représentant de l'Unicef de ne pas «prolonger la propagande menée sur la question par les milieux hostiles au gouvernement tchadien». Certains militaires, interrogés sur l’âge de plusieurs soldats, trouvaient toute sorte de justification à leur petite taille. «Ce sont des nains, certains tchadiens sont vraiment petits», expliquait un responsable. «Les jeunes tchadiens sont mal nourris. Ils ont 18 ans, mais ils en paraissent 12», déclarait un autre. Parfois, des justifications allaient même jusqu’à l’absurde : «Maintenant qu’ils sont intégrés dans l’armée, ils seront bien nourris et dans quelques mois, ils auront à nouveau la taille d’enfants de 18 ans». Plus étonnant, côté occidental, quelques diplomates minimisaient le phénomène ou le justifiaient par des raisons «culturelles» ou par le rôle «social» de l’armée en Afrique. «Les officiers ont tendance à intégrer leurs neveux ou leurs petits cousins dans l’armée», expliquait, il y a encore quelques mois, un diplomate. «Mais ce ne sont pas des combattants, ils leur font nettoyer les armes, faire la cuisine ou apporter le thé. C’est formateur», ajoutait-il. Les rapports sur le sujet s’accumulaient pourtant. L’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch, avait dénoncé, dans un rapport daté de janvier 2007, le recrutement d’enfants par l’armée tchadienne, les rebelles soudanais et les milices dans l’est du pays. La pression française Depuis quelques semaines, le gouvernement tchadien a pris le dossier à bras le corps. Au sein de l’état-major et du gouvernement, de plus en plus de voix se sont élevées, notamment après l’intégration, dans l’armée, des troupes de l’ancienne rébellion du FUC. Mais ce sont notamment les pressions internationales qui ont accéléré les procédures de démobilisation. «Le gouvernement tchadien a dû changer de position, car il lui était de plus en plus difficile de nier l’évidence», explique un diplomate en poste dans la région. «Les militaires français l’avaient signalé à leur hiérarchie. Et le ministre français de la Défense, Michelle Alliot-Marie, avait fait une lettre à l’automne dernier au président Deby à ce sujet. Elle avait même menacée de retirer la base française», explique-t-il, ajoutant : «Ce sont les Français qui ont fait de fortes pressions sur Ndjamena pour leur faire accepter de travailler avec l’Unicef. Ils ne voulaient pas être blâmés un jour pour avoir fermé les yeux sur cette situation». La France dispose d’un détachement de plus d’un millier d’hommes au Tchad, qui participe à la mise en œuvre de la coopération franco-tchadienne, notamment l’aide logistique, le soutien santé et le renseignement. «Le président Deby a considéré que cela devenait un problème. Le ministre des Affaires étrangères est allé en France pour signer les engagements de Paris (sur les enfants associés aux forces et groupes armés). Ce sont les autorités tchadiennes qui ont contacté l’Unicef pour avoir leur assistance pour ces enfants de l’ex-FUC», a précisé un autre diplomate. Les Nations unies ont aussi fait pression. Les différentes agences, HCR, Unicef, transmettaient en interne des rapports. «Le Tchad a officiellement adhéré à la Cour pénale internationale il y a quelques mois. Or, le recrutement d’enfants soldats est considéré comme un crime de guerre par la CPI», explique un observateur des droits de l’homme. «Le chef de milice congolais Thomas Lubanga est même poursuivi uniquement sur la base de ce chef d’accusation. Cela peut aussi toucher la partie gouvernementale. Le Tchad était obligé de montrer de la bonne volonté sur ce dossier», ajoute-t-il.