SIERRA LEONE: Le tribunal spécial conclut, mais justice a-t-elle été faite?

[FREETOWN, 7 mai] - Le Tribunal spécial de l’ONU pour la Sierra Leone a prononcé, le 8 avril, des condamnations contre trois anciens commandants du Front uni révolutionnaire (RUF), mettant un terme aux procès des dirigeants de cette milice, jugés responsables des atrocités commises au cours de la sanglante guerre civile du pays, menée de 1991 à 2002.

Issa Sesay, le leader par intérim du RUF après la mort de son fondateur Foday Sankoh, le commandant des opérations, Morris Kallon et le chef de la sécurité, Augustine Gbao, ont été reconnus coupables de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de graves violations du droit humanitaire international. Les trois ont écopé d’une peine totale de 117 ans d’emprisonnement.

En 2008, des membres des deux autres factions impliquées dans ce conflit ont été jugés pour des inculpations similaires. Trois dirigeants du Conseil des forces armées révolutionnaires (AFRC) et deux de la Force de défense civile (CDF), progouvernementale, ont été tous reconnus coupables et condamnés à de longues peines d’emprisonnement.

Le tribunal a été installé en 2003, suite à un accord entre le gouvernement de la Sierra Leone et les Nations Unies, pour juger "ceux qui portent la plus grande responsabilité" pour des crimes horribles commis au cours du conflit. Ces crimes comprenaient le meurtre, le viol, l’esclavage sexuel, l’enrôlement des enfants dans des groupes armés, des amputations, l’incendie et le pillage.

"Les gens de la Sierra Leone peuvent maintenant évoluer dans leurs vies et mettre ce chapitre noir derrière. Ils constatent actuellement un sens de justice et ceux qui pensent qu’ils peuvent bénéficier de l’impunité doivent réfléchir deux fois", commentait Herman von Habel, le greffier du Tribunal spécial.

Le tribunal peut avoir envoyé ces criminels de guerre en prison, mais selon leurs victimes, l’agonie demeure toujours.

Fatmata Kamara a eu ses deux pieds coupés par les rebelles lorsqu’ils ont envahi Freetown, la capitale, en janvier 1999. Dix ans après cet incident affreux, elle a été en permanence condamnée à demander de l’aumône dans les rues de la ville. Elle est soutenue par ses deux enfants âgés de 16 ans et 14 ans, qui la poussent dans son fauteuil roulant. Avant son amputation, elle était une coiffeuse et avait un salon au centre-ville.

"Je me souviens toujours de ce jour fatidique lorsque les combattants du RUF ont envahi Kissy [une banlieue à l’est de la ville] et ont coupé mes deux pieds utilisant des machettes et des haches émoussées. C’était une expérience douloureuse et traumatisante. Jusqu’à présent, je continue de sentir cette douleur et cette agonie récurrentes", a-t-elle déclaré à IPS.

Elle est l’une des centaines de personnes qui ont souffert de la mutilation de certaines parties du corps. Des milliers d’autres ont perdu leurs vies et leurs biens.

À la fin de la guerre, une Commission vérité et réconciliation (TRC) a été créée pour enquêter sur les vrais faits historiques de cette guerre, pourquoi et comment elle s’est produite et comment éviter qu’elle se reproduise.

Cette commission a recommandé la réconciliation nationale et les victimes de la guerre ont été encouragées à pardonner aux auteurs.

Toutefois, même après que des sentences ont été prononcées, beaucoup de victimes sont toujours amers. Ils affirment que les ex-combattants ont été réhabilités et ont reçu une formation professionnelle et des incitations en espèces comme faisant partie du processus de réconciliation, alors qu’elles, les victimes, ont été laissées à elles-mêmes, languissant dans une pauvreté effroyable.

"Je peux pardonner, mais pas oublier. Les cicatrices sont sur tout mon corps – un bras amputé et des lacérations sur mon corps. Et lorsque je vois ceux qui m’ont fait cela circuler librement, mon cœur bat et je me sens même amer", a confié à IPS, Jabati Mambu, qui joue au football pour l’Equipe nationale des personnes amputées comme une façon de reconstruire sa vie.

Il estime que la condamnation de huit commandants de milice n’est pas suffisante pour restaurer la dignité des victimes, ou même leur donner le sentiment qu’une justice a été faite. Des milliers d’ex-combattants se promènent dans les rues, certains ayant été intégrés dans les services de sécurité nationale. Les victimes vivent comme des indigents.

Mambu déclame : "Pour moi, dépenser des millions de dollars US dans la poursuite judiciaire de huit hommes, au Tribunal spécial, n’a aucun sens, alors que nous les victimes vivons dans la misère noire. Cela est injuste".

Le succès de ce tribunal à mettre fin à l’impunité et à éviter un dérapage dans l’anarchie a été fortement contesté par des analystes dans le pays. Les conditions historiques qui ont déclenché au départ le conflit sont assez dominantes aujourd’hui : une grande pauvreté, le chômage des jeunes, le fossé régional et tribal, ainsi qu’une corruption généralisée.

Joseph Taylor, un commentateur politique, affirme que les causes fondamentales des troubles sociaux doivent être d’abord corrigées. "Je pense que les autorités doivent apporter des améliorations à la gouvernance, mettre fin à la corruption, créer des emplois à la jeunesse et fournir des services sociaux, si nous ne voulons pas être obligés d’entrer une fois encore en conflit".

Une autre question controversée a été celle de savoir où ces criminels de guerre reconnus coupables purgeront leurs peines. Les autorités sierra léonaises et leurs homologues au Tribunal spécial disent que les prisons du pays ne répondent pas aux normes internationales pour garder les détenus. Le Tribunal spécial a par conséquent conclu un accord avec le Rwanda pour qu’il prenne ces prisonniers, mais les détenus et leurs avocats soulignent que cela est inacceptable.

L’équipe de la défense des prisonniers du RUF déclare qu’elle déposera un recours à la Cour d’appel. Son argument est que cela violerait les droits de ses clients et les isolerait de leurs familles, de leurs amis et de ceux qu’ils aiment.

Les victimes veulent que ces prisonniers purgent leurs peines ici en Sierra Leone, la scène des crimes. Elles estiment que les prisonniers doivent purger leurs peines en Sierra Leone parce que les amener loin priverait les victimes de la satisfaction de voir leurs bourreaux en train d’être punis.

Avec la clôture des procès des ex-commandants de milice sierra léonaise, le Tribunal spécial a maintenant un seul grand dossier qu’il est en train de traiter, celui de l’ancien président libérien, Charles Taylor.

Taylor est confronté à 11 chefs d’accusation, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, à La Haye. Son procès a été déplacé de Sierra Leone parce qu’on craignait qu’un tel exercice plongerait davantage la région dans le chaos et la guerre.

L’ancien chef d’Etat libérien est accusé d’avoir fourni un appui militaire aux rebelles du RUF combattant en Sierra Leone, en échange des diamants. Taylor a rejeté ces accusations.

Le mandat du tribunal finit en 2010, mais, depuis, il ne fait que se plaindre de l’insuffisance de son budget pour poursuivre le procès de Taylor. Son bureau a annoncé récemment qu’il a obtenu quelque financement des pays donateurs, qui lui permettrait de fonctionner jusqu’à la fin du mois de juin, mais qu’il en faut encore plus.

Informations supplèmentaires

pdf: http://www.ipsinternational.org/fr/_note.asp?idnews=5322

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