Soumis par crinadmin le
Summary: Les guerres qui ont sévi dans la province du Sud-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), ont eu des conséquences graves sur les écoles et les économies des familles vivant dans les villages de la région.
Des écoles organisent des rentrées scolaires avec l’incertitude de terminer l’année puisque leur fonctionnement et le paiement des enseignants dépendent des cotisations des parents d’élèves, eux-mêmes très pauvres en majorité. Des écoles en paille ou en planches, sans subvention gouvernementale, où des pierres entassées servent de sièges pour les élèves dont certains s’assoient carrément sur le sol. Quant aux enseignants, certains se présentent en classe sans habits ni chaussures propres, d’autres avec des babouches. On y voit aussi des élèves adultes au niveau élémentaire à cause des années scolaires «élastiques». Ces années sont souvent interrompues avant de reprendre à zéro. «Les écoles primaires de Cirhunga, de Mana et de Kaniola, situées dans des villages à plus de 90 kilomètres de Bukavu, la principale ville de la province, sont de véritables exemples de ces difficultés et de cette incertitude qui hypothèquent en même temps l’avenir de plusieurs jeunes générations», affirme à IPS, Christophe Katembera Ntaboba, directeur de l’école de Cirhunga. Pourtant, des jeunes meurent d’envie d’aller à l’école. A 11 ans, Sifa Karhi-Kalembu, élève à l’Ecole primaire de Kaniola, n’est toujours qu’en 2ème année primaire, âge supposé pour être en 5ème année. Elle a déclaré à IPS : «Je veux continuer à étudier, je n’ai pas honte de mon âge. J’ai 11 ans et je suis seulement en deuxième primaire. J’ai un retard de trois ans alors que je n’ai jamais refait de classe. Ce retard est lié au fait que deux fois de suite au cours de deux années scolaires, des enseignants ont décidé d’arrêter de donner cours puisqu’ils n’étaient pas payés et l’école a fermé pour recommencer. La même situation s’est répétée l’année suivante». Il y a une «grande incertitude pour l’avenir des jeunes ici», souligne Katembera. «Les années scolaires commencent, mais on n’est jamais sûr qu’elles vont se terminer. Malgré leur intelligence, certains élèves sont obligés de recommencer deux à trois fois la même année scolaire à cause des interruptions des enseignements par des enseignants non ou sous-payés», dit-il à IPS. «Nous sommes situés à plusieurs kilomètres de l’administration publique et nos doléances prennent longtemps avant de parvenir à notre autorité de tutelle», explique Katembera, indiquant que «l’église catholique apporte de temps en temps de l’aide au fonctionnement de certaines écoles de nos villages». «A Cirhunga, par exemple, les prêtres diocésains nous ont récemment donné des craies et des carnets d’enregistrement des présences des élèves. L’année passée, ils ont donné 300.000 francs congolais (environ 350 dollars) pour la réfection des pupitres et pour le fonctionnement de l’école», ajoute-t-il. L’autre grave problème est la pauvreté des parents d’élèves puisque la plupart d’entre eux sont incapables de faire face aux frais de scolarité exigés par ces écoles. A 16 ans, n’ayant jamais réussi à aller au-delà de la 6ème année primaire, Dodo Mushiayuma affirme «avoir carrément arrêté d’aller à l’école pour commencer à accompagner son père au champ. Je veux étudier, mais j’ai chaque fois interrompu l’année scolaire parce que mes parents ne pouvaient pas avoir de quoi payer les frais». Charles Luhiriri, enseignant et superviseur des activités agropastorales dans ces villages pour le compte de l’ONG 'Comité Anti Bwaki' de Bukavu, a dit à IPS qu’«il y a quelques mois, les enseignants recevaient du gouvernement une prime mensuelle de 30 dollars US. On ne sait pas pourquoi le gouvernement ne la paie plus». Interrogé par IPS, Vincent Kabanga, le ministre en charge de l’Enseignement primaire, secondaire et professionnel, qui est également le porte-parole du gouvernement provincial, a déclaré : «Le gouvernement n’a jamais cessé de payer les enseignants. Ils reçoivent régulièrement leurs salaires et non la prime puisqu’ils sont des fonctionnaires de l’Etat. Les enseignants qui se plaignent de ne rien recevoir sont ceux qui ont commencé à donner des cours sans avoir été préalablement nommés par arrêté ministériel». Mais Johachin Bujiriri, enseignant à Mana, a affirmé à IPS que "Le ministre en charge de l'Enseignement primaire n'a pas dit la vérité puisque tous les enseignants recevaient, sans distinction la prime de 10 dollars, mais que depuis des mois, plus personne d'entre eux n'en reçoit plus pour des raisons qui n'ont jamais été données par qui que ce soit". Déplorant également la quasi-inexistence des syndicats dans les écoles de kabare, Bujiriri appelle "l'autorité provinciale à prendre conscience du dépérissement de l'enseignement dans la province du Sud-Kivu en général, et à Kabare en particulier". En attendant, «Les parents des élèves sont obligés de payer l’équivalent d’un 'savon nyota', soit seulement 400 francs congolais (environ 0,4 dollar) par mois au titre de leur contribution pour le fonctionnement des écoles et le paiement de la prime des enseignants», indique Luhiriri. Malgré la modicité de ces frais à payer, plusieurs parents demeurent incapables d’y faire face à cause de la grande pauvreté qui caractérise certaines familles. «Nous ne pouvons pas régulièrement avoir le 'savon nyota' à payer puisque nous devons l’acheter. Si l’école acceptait que nous payions une certaine quantité de légumes, de manioc ou de haricot, on serait capable de faire étudier tous nos enfants. Nous ne pouvons même pas vendre notre petite production agricole puisque personne n’a d’argent ici pour acheter et la ville se trouve très loin», explique Paul Cirhuza, habitant de Kaniola, père de huit enfants dont aucun ne va à l’école. Le manque d’argent pour les parents d’élèves se répercute sur les enseignants qui ne peuvent donc être payés et dont certains quittent l’enseignement à la recherche des emplois plus rassurants. Jean Nshombo, un ancien enseignant à l’Ecole primaire Mana de Kabare, affirme à IPS que «plusieurs enseignants abandonnent leur travail et se rendent des fois dans la ville de Bukavu ou ailleurs pour y chercher un emploi plus payant. Moi, j’ai préféré quitter l’enseignement puisque même la prime de 10 dollars qui nous était donnée par l’école était incertaine. Je pouvais passer deux à trois mois sans être payé». «Fort heureusement, la plupart des enseignants qui abandonnent les écoles s’adonnent à l’agriculture pour assurer leur propre sécurité alimentaire», selon Luhiriri. Son ONG a «mis en pace des modules de formation et de sensibilisation des villageois sur la nécessité de l’agriculture comme moyen efficace de lutter contre la faim et la pauvreté», ajoute-t-il.