NIGER: Les jeunes, une « bombe à retardement démographique »

[NIAMEY, 15 septembre 2008] - La population nigérienne est jeune en grande majorité, 70 pour cent de ses 13 millions d’habitants étant âgés de moins de 25 ans, selon une étude sur les enfants vulnérables au Niger publiée par les Nations Unies, le gouvernement et la Banque mondiale en 2005. Pour les experts en droits des enfants, les problèmes combinés du chômage et de la criminalité chez les jeunes pourraient se multiplier et devenir menaçants si les autorités ne réagissent pas rapidement.

Selon Jean Lieby, responsable de l’unité protection de l’enfant au Fonds des Nations Unies pour l’enfance, UNICEF, au Niger, le nombre élevé de jeunes fait de ce groupe une force potentiellement explosive. « Dans la plupart [des pays] d’Afrique de l’Ouest, les jeunes sont une bombe à retardement démographique ».

Les femmes au Niger ont plus d’enfants que la plupart des autres femmes dans le monde, environ sept par femme, soit deux fois plus que la moyenne mondiale, selon la National wildlife federation, basée aux Etats-Unis.

La moitié de ces enfants n’ont pas assez à manger et sont exposés au risque de contracter le paludisme au cours de leur croissance, et moins de 18 pour cent d’entre eux seront un jour capables de lire – selon des statistiques du gouvernement et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2006.

Et ceci, seulement si ces enfants parviennent ne serait-ce qu’à vivre : près de 30 pour cent d’entre eux meurent avant l’âge de cinq ans, selon des données de l’OMS en 2005.

Parmi les jeunes qui survivent, certains se retrouvent dans la rue.

Dénicher Mahamadou

Mahamadou Ibrahim, 16 ans, attend à l’extérieur d’un supermarché de Niamey, la capitale nigérienne, où il propose de porter les courses des clients pour un pourboire d’environ 30 centimes de dollar.

« Je peux gagner près de deux dollars par jour comme ça. Je dépense 150 francs CFA [0,34 dollar] pour un bol de riz et de haricots, et je garde le reste pour le jour suivant. Parce que je ne sais pas si je gagnerai quelque chose le lendemain ».

Aziz Edmond, un travailleur social, a rencontré Mahamadou deux ans plus tôt et l’a amené dans l’un des quelque 12 centres publics pour jeunes (connus sous l’acronyme SEJUP) répartis dans le pays, qui fournissent aux jeunes des services d’éducation, de prévention et d’assistance judiciaire depuis 2005.

Les jeunes âgés de moins de 18 ans qui ont, ou sont susceptibles d’avoir, des problèmes avec la justice peuvent suivre dans ces centres SEJUP une formation professionnelle, un apprentissage et recevoir des repas gratuits.

La création de ces centres fait partie des réformes juridiques, soutenues par l’Union européenne et l’UNICEF au Niger en 2003, qui ont modifié la manière dont la Justice traite les jeunes délinquants.

Auparavant, les mineurs étaient incarcérés et jugés avec les adultes. Les jeunes sont maintenant jugés dans l’un des 11 tribunaux pour mineurs du pays, et quatre prisons possèdent un quartier réservé aux mineurs.

Mais le but des SEJUP est de faire en sorte que les enfants ne connaissent jamais ces lieux.

« Nous travaillons avec les leaders communautaires, y compris les chefs de village et les marabouts [des leaders religieux musulmans], et nous faisons nos propres tournées nocturnes dans les rues pour identifier les enfants à haut risque, qui ont besoin d’être sortis de la rue rapidement. Les jeunes sont parfois méfiants, au départ. Mais certains acceptent de venir voir quels sont nos services », a dit M. Edmond, le travailleur social.

Depuis 2006, les travailleurs sociaux ont identifié pour les services SEJUP plus de 5 000 enfants à travers le Niger ; environ 150 d’entre eux ont terminé leur programme de formation, d’une durée de deux ans.

M. Lieby, de l’UNICEF, qui a lui-même été travailleur social pendant des décennies, a expliqué que le programme devait consacrer beaucoup de temps à chaque enfant, leur vie étant en perpétuelle évolution. « Les enfants partagent l’essentiel de leur temps entre les rues et le centre pour jeunes. Ils viennent au centre puis disparaissent, pour ensuite réapparaître ».

Bon nombre de ces jeunes ont de la famille, mais ils passent la majeure partie de leur temps dans les rues. Le jeune Mahamadou a dit qu’il n’avait pas vu sa famille depuis trois mois, et n’avait pas l’intention de rentrer. « Mon père me battait. Pourquoi j’y retournerais ? Je me sens beaucoup plus à l’aise dans les rues. Quand j’étais à la maison, je ne faisais rien. Au moins ici, je gagne de l’argent ».

M. Edmond a localisé la famille de Mahamadou dans le quartier de Talladje, près de l’aéroport de Niamey, et prévoit de jouer le rôle de médiateur dans le conflit qui oppose le père et le fils. Le père a expliqué à M. Edmond qu’il battait son fils pour lui inculquer la discipline, parce qu’il volait.

Mahamadou a affirmé à M. Edmond qu’il reviendrait au centre le jour suivant, pour suivre la formation de mécanicien auto qu’il avait abandonnée depuis plusieurs semaines.

Le jour suivant, il n’est pas venu au centre. D’autres enfants des rues ont dit à M. Edmond que Mahamadou craignait que le personnel du centre ne le force à retourner chez lui vivre avec sa famille.

« C’est le bon moment »

Ces cinq dernières années, l’UNICEF et d’autres bailleurs de fonds, y compris l’Union européenne, ont travaillé avec le gouvernement nigérien pour réviser la législation et les budgets destinés à protéger, entre autres, les enfants.

L’étude de 2005 sur les enfants vulnérables a recensé quelque 25 000 enfants qui survivaient dans les rues, en majorité seuls, plus de 4 000 d’entre eux vivant dans la rue à plein temps.

La Constitution du Niger, adoptée en 1999, mentionne les enfants, mais la plupart de ses articles sont des dispositions poussiéreuses, reliques de la période coloniale, qui offrent peu de protection aux enfants comme Mahamadou, selon M. Lieby.

« Les politiques actuelles doivent être adaptées à la réalité du Niger. La plupart [des lois] sont des photocopies des lois de [l’ancien pouvoir colonial] la France. Mais cela prend du temps. Les pays conçoivent leurs lois quand ils sont prêts. Quel est l’intérêt d’une loi moderne si le pays ne l’applique pas ? »

Pour M. Lieby, le temps est venu pour le Niger de faire plus. « La population a doublé au cours des 26 dernières années. De plus en plus de gens s’entassent dans les villes. La société civile est prête à agir. Le gouvernement est prêt [à élaborer une politique de protection]. Les gens sont prêts. C’est le bon moment ».

 

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