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Summary: « L’Orient-Le Jour » a mené l’enquête auprès de l’UPEL, seule association mandatée par l’État pour assurer la protection judiciaire de l’enfant. [Le 9 juillet 2012] - Il y a près de cinq semaines, éclatait l’affaire d’un enseignant de 23 ans accusé d’avoir commis des actes pédophiles sur onze élèves âgées entre 6 et 8 ans. Le scandale a secoué le pays et focalisé l’attention des médias pendant plusieurs jours. Au-delà de cette affaire, la question de la protection de l’enfant au Liban est remise sur le tapis. « L’Orient-Le Jour » a mené l’enquête auprès de l’UPEL, seule association mandatée par l’État pour assurer la protection judiciaire de l’enfant. - « Moi, mon papa m’aime beaucoup. Tous les soirs, il m’embrasse sur la bouche. Il me caresse partout. Il m’a dit que tous les pères qui aiment leurs filles font comme lui. Moi aussi, j’aime mon papa. » - « Mon papa m’aime aussi. Mais il ne me fait pas ça. » - « Il te ment. Ton papa ne t’aime pas. » Durant la récréation de midi, R., une petite fille de 9 ans, fait part à son amie de la relation « privilégiée » qui la lie à son père. Une relation qui durait depuis plusieurs mois et que R. a accidentellement dévoilée, lors d’une innocente conversation entre fillettes. Ce qui a permis d’ailleurs de la sauver. En effet, « jalouse » de la relation qui unit R. à son père, la copine s’en prend à son propre papa. Alerté, ce dernier informe la direction du collège, qui signale à son tour ce cas d’inceste à l’Union pour la protection de l’enfance (UPEL). R. fait partie des 16,1 % d’enfants, garçons et filles, qui sont victimes de toutes formes d’abus sexuels au Liban, allant de l’attouchement à l’acte, comme le montre une étude conduite en 2008 par le Conseil supérieur pour l’enfance et l’ONG Kafa, avec le soutien de l’ONG suédoise Save the Children, sur 1 025 enfants âgés entre 8 et 17 ans. Comme dans toutes les sociétés, les abus sexuels contre les enfants constituent un problème qui remonte à plusieurs siècles. Au Liban, c’est au cours de la dernière décennie, et plus précisément après 2005, qu’il a commencé à être dénoncé, mais d’une manière encore timide. Plusieurs facteurs sont à la base de cette amorce de transparence. « Premièrement, le tabou a été partiellement brisé », explique Roula Lebbos, directrice du bureau du Mont-Liban de l’UPEL et responsable des programmes et des projets au sein de l’association. « Deuxièmement, la loi 422 pour la protection de l’enfant, promulguée en 2002, a élargi l’éventail des interventions pour la protection judiciaire, poursuit-elle. Conformément à cette loi, un surcroît de prérogatives a ainsi été accordé aux magistrats et le secret professionnel a été levé pour permettre aux professionnels qui rencontrent un cas d’abus de le reporter. De plus, un module spécifique pour l’enseignement de cette loi a été introduit à l’institut judiciaire. En 2005 également, l’UPEL a entamé des sessions de formation auprès des gendarmes et des militaires, comme au sein des ONG et des écoles, pour sensibiliser à la loi 422 et à la nécessité de signaler un cas d’abus, ainsi qu’à la différence entre la protection sociale et la protection judiciaire. Il est utile de noter dans ce cadre que seule l’UPEL, financée par le ministère de la Justice, est mandatée par l’État pour assurer la protection judiciaire aux enfants. Les autres ONG agissent sur la prévention et la protection sociale. Enfin, on constate aujourd’hui une plus grande prise de conscience au sein des écoles et des associations de la société civile au sujet de la nécessité de signaler un cas d’abus contre les enfants. »
Victime ou en conflit avec la loi ? L’UPEL reçoit chaque année des alertes concernant en moyenne 700 cas d’abus. « Tous les dossiers ne nécessitent pas un suivi juridique, souligne Roula Lebbos. En fait, il existe quatre cas de figure. Soit nous saisissons le parquet, parce que la vie de l’enfant est en danger, soit le dossier est transféré au tribunal des mineurs, soit on assure un suivi social à l’enfant sous protection judiciaire, ou encore nous assurons une protection sociale à l’enfant en le plaçant dans l’un des centres d’internat avec lesquels nous collaborons. » Dans ce dernier cas de figure, l’UPEL fait face à plusieurs problèmes. « Chaque association a ses propres conditions et critères de choix pour accueillir les enfants, note Roula Lebbos. Certaines n’accueillent pas les enfants sans papiers, d’autres refusent ceux qui ne sont pas libanais. Certaines ONG veulent étudier le cas avant de prendre une décision, une démarche qui pourrait durer plusieurs semaines. De ce fait, lorsque nous nous retrouvons, à l’UPEL, face à un cas urgent, nous ne savons plus vers qui nous tourner. Je me rappelle du cas d’une petite fille de 13 ans qui avait fui la maison parentale et s’est retrouvée dans la rue. L’ONG qui travaillait avec la famille ne nous a pas signalé le cas. Nous en avons eu écho par pur hasard. Lorsque nous avons retrouvé la fille, quatre mois plus tard, elle dormait sous un pont. Elle se droguait et était victime d’abus sexuels répétés. Nous ignorions si elle était enceinte ou si elle avait attrapé le VIH. Le magistrat ne voulait pas l’arrêter, estimant qu’il s’agissait d’une victime. Nous avons passé toute l’après-midi et une partie de la soirée à la recherche d’une ONG ou d’un centre d’internat qui accepterait de l’accueillir et de lui assurer les soins et tests médicaux nécessaires, sous protection judiciaire. Aucune ONG ne nous a ouvert ses portes. Se trouvant à cours de solutions, et pour la protéger, le juge a décidé de l’arrêter et de la placer dans le Centre de détention et de réhabilitation des filles mineures. D’une victime d’abus, bénéficiant d’une décision judiciaire de protection, elle est devenue une mineure en conflit avec la loi, parce qu’aucune ONG ni aucun centre d’internat n’a accepté de l’accueillir ! » Ce cas n’est pas isolé. « Nous nous trouvons souvent dans l’obligation de recourir à cette alternative, faute de centres qui accueillent les enfants en urgence », déplore Roula Lebbos, qui dénonce l’absence d’un centre d’internat qui relève de l’État. « Il s’agit d’ailleurs de l’une des failles qui entravent une application entière de la loi 422 », insiste-t-elle.
Absence d’un mécanisme d’application Dix ans après sa promulgation, la loi 422 pour la protection des mineurs n’est appliquée que partiellement, « faute d’un mécanisme d’application et d’une structure claire de protection sociale ». « En effet, le Liban n’est pas doté d’une unité officielle pour les familles d’accueil qui pourraient remplacer les centres d’internat, constate Roula Lebbos. Chaque ONG travaille par tâtonnements, comme elle juge bien de le faire. Nous repérons des familles potentielles qui répondent à certains critères bien définis et nous en faisons part au juge. Par ailleurs, il n’existe pas un seul centre d’internat qui relève directement du ministère des Affaires sociales. La majorité des centres sont contractuels avec ce ministère. En fait, au Liban, il suffit d’avoir une notification du ministère de l’Intérieur pour ouvrir un centre d’internat, sans pour autant établir un contrat avec le ministère des Affaires sociales. De ce fait, aucune autorité ne supervise leur activité et leur manière de travailler. Entre 2004 et 2008, le bureau du Mont-Liban de l’UPEL a réussi à fermer trois de ces centres où les enfants étaient maltraités. Dans l’un d’eux, ils étaient même victimes d’abus sexuels de la part du directeur! » Également au nombre des raisons qui entravent une application entière de la loi 422, « l’absence d’un protocole pour signaler les cas d’abus ». Roula Lebbos fait remarquer dans ce cadre que toutes les ONG ne savent pas qu’elles doivent « notifier les cas d’abus sexuel ». « Même si elles en sont conscientes, souvent elles ne le font pas pour plusieurs raisons, principalement par “peur” de perdre la confiance de la famille, qui craint le scandale, ajoute-t-elle. Or ce n’est pas un prétexte valable, parce que dans de nombreuses situations, les enfants continuent d’être victimes d’abus sexuels, qui sont qualifiés de crime dans le code de procédure pénale. Donc, si on ne les signale pas, on est considéré comme complices. » Au niveau de l’UPEL, « c’est la question récurrente du financement » qui pose un sérieux problème. « Le budget qui nous est alloué par le ministère de la Justice n’est pas suffisant, indique Roula Lebbos. Par conséquent, nous manquons d’effectifs. C’est un grand problème, d’autant que l’UPEL a l’expertise judiciaire nécessaire pour protéger ces enfants. » Quand l’UPEL intervient-elle ? « Lorsque l’ONG qui travaille sur le cas de l’enfant atteint un stade où elle est incapable de le protéger du danger qui continue à le guetter, ou si l’enfant est victime d’inceste, répond Roula Lebbos. Dans ces deux cas de figure, l’ONG est dans l’obligation de signaler le cas à la justice. Dans le cadre de la loi 422, l’ONG ou toute partie qui signale un abus peut réclamer l’anonymat. L’UPEL, note-t-on, ne s’approprie pas le dossier. Elle coordonne avec l’ONG, après avoir assuré à l’enfant la protection judiciaire nécessaire. Je tiens également à préciser que l’enquête avec l’enfant se fait dans une salle spécialisée au Palais de justice à Beyrouth, dans un cadre amical (la salle est équipée à la manière d’une garderie), en présence d’un détective et d’un responsable de l’UPEL. La session est filmée sur un DVD qui est ajouté au dossier judiciaire, et cela pour éviter que l’enfant ne revive le trauma. »