Soumis par crinadmin le
[BAKAU, 31 octobre 2008] - Selon les experts de la protection de l’enfance, l’exploitation sexuelle des enfants par les touristes est en recrudescence en Gambie, malgré les lois nationales en vigueur contre cette pratique. « De plus en plus d’enfants travaillent dans l’industrie du sexe auprès des touristes », selon Bakary Badjie, chargé de programme à l’Alliance pour la protection de l’enfance (CPA), une coalition à but non-lucratif. « Les relations sexuelles entre les enfants et les touristes passent des hôtels au cœur même des communautés, où elles sont plus difficiles à suivre ». Bien que le dernier rapport global sur ce problème, publié par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), date de 2003, des témoignages montrent que cette pratique s’est développée depuis lors, selon M. Badjie. Une travailleuse du sexe de 23 ans, qui a requis l’anonymat, a indiqué à IRIN que bon nombre de ses collègues de l’industrie du sexe avaient moins de 18 ans, et que la plupart de ses clients étaient des hommes occidentaux, venus faire du tourisme. Les travailleuses du sexe exercent à Bakau, une banlieue de Banjul, populaire auprès des touristes. Au moins la moitié des travailleuses sexuelles gambiennes avec lesquelles l’UNICEF s’est entretenu dans le cadre de son rapport 2003 ont expliqué qu’elles s’étaient lancées dans la profession avant l’âge de 18 ans, certaines à 12 ans à peine. Les causes Un grand nombre de filles impliquées dans l’industrie sont issues de milieux socioéconomiques pauvres, ont arrêté l’école ou ont été déracinées de leurs régions rurales d’origine, perdant ainsi la protection que leur assuraient leurs proches parents, selon M. Badjie. Les filles peuvent empocher jusque 2 000 dalasis (83 dollars) par jour en vendant leurs corps, a-t-il expliqué en outre, contre le dollar par jour que la majorité des travailleurs gambiens perçoivent, selon les statistiques de la Banque mondiale. Elles peuvent également recevoir des cadeaux, tels que des montres ou des téléphones mobiles, et certaines se considèrent comme les « petites amies » des touristes réguliers, selon Ousman Kebbeh, responsable des ressources touristiques auprès de l’Autorité gambienne du tourisme (AGT). Un grand nombre de ces filles, à qui l’on propose de couvrir leurs frais scolaires ou médicaux, sont ainsi amenées « par la ruse » à se lancer dans l’industrie du sexe, a-t-il également expliqué à IRIN. « Les touristes […] profitent des filles pauvres […] ils les abordent en leur disant “je vais financer ton éducation”. Et ils ne s’arrêtent pas aux filles elles-mêmes […] ils vont même voir leurs parents ». Pour les familles de certaines filles, selon les recherches de l’UNICEF, ce travail ne relève pas de l’exploitation des enfants, et un grand nombre des filles concernées ne se considèrent plus comme telles. Nombre des touristes impliqués, européens pour la plupart, viennent en Gambie tout spécialement pour avoir des « rapports sexuels pas chers » avec des jeunes filles, et certains tour-opérateurs promeuvent même ces services auprès de leurs clients pour les attirer, a expliqué M. Badjie. Les touristes rencontrent les filles dans des clubs, sur la plage, dans la rue, par le truchement de « bumsters » (rabatteurs locaux qui jouent le rôle d’intermédiaires) et même à la sortie des écoles, selon l’organisme à but non-lucratif End Child Prostitution, Pornography and Trafficking (ECPAT). Mesures gouvernementales Min Whee Kang, représentante de l’UNICEF en Gambie, a expliqué à IRIN que le gouvernement était réticent à souligner le caractère problématique de l’exploitation sexuelle des enfants par les touristes, le pays dépendant largement des dollars de ses visiteurs. C’est particulièrement le cas à l’approche de la saison 2008-09 prochaine, a-t-elle ajouté : l’on craint en effet que la crise financière mondiale ne force de nombreux touristes à annuler leurs vacances. Avec 100 000 voyageurs par an en moyenne, selon l’AGT, le tourisme rapporte au pays environ 16 pour cent de ses revenus nationaux, et 30 pour cent de ses recettes d’exportation, selon la Banque mondiale. Dans le secteur privé gambien, le tourisme représente un emploi sur cinq, selon un rapport publié en 2008 par l’Overseas Development Institute. Pour Mme Kang comme pour d’autres experts du droit des enfants, le gouvernement a réalisé des progrès positifs. En 2005, la Gambie a notamment adopté la législation sur les enfants, qui harmonise les lois gambiennes relatives aux enfants avec la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, la Charte africaine sur les droits et le bien-être de l’enfant, ainsi que d’autres conventions internationales, selon l’UNICEF. « La loi [de 2005] est assez stricte », s’est félicité M. Badjie. Pour Mme Kang de l’UNICEF, il s’agit là d’un « bon début […] cela permet d’établir le cadre d’un environnement protecteur ». Le gouvernement a également adopté en 2003 la loi relative aux crimes du tourisme, pour réglementer le comportement des touristes et définir la réaction appropriée des hôteliers lorsque les touristes enfreignent la loi, selon Mme Kang. Le gouvernement a en outre créé une unité de sécurité touristique, dirigée par l’armée, pour protéger les touristes et les Gambiens. L’AGT s’est également dotée d’un code de conduite pour les touristes, que l’UNICEF et la CPA ont contribué à établir, et qui définit dans les grandes lignes les sanctions prévues en cas de violations des droits de l’enfant. En vertu de la loi actuelle, les touristes reconnus coupables d’avoir infligé des sévices sexuels à un enfant, même s’ils pensaient que l’enfant concerné avait plus de 18 ans, sont passibles d’une peine d’emprisonnement maximale de 14 ans. « Ces [lois] ont été très efficaces pour freiner ce phénomène », a indiqué M. Kebbeh à IRIN, évoquant le cas d’un enseignant norvégien récemment jugé devant les tribunaux de son pays pour avoir eu des rapports sexuels avec un enfant en Gambie. Une affaire de pornographie infantile impliquant des touristes est également en cours devant les tribunaux de Banjul, la capitale. L’application de la loi Mais il est difficile pour l’AGT d’assurer le respect de ces lois sur les touristes, selon la CPA, organisme de protection de l’enfance. Selon M. Kebbeh, de l’AGT, certains hôtels, tels que l’hôtel Ocean Bay de Bakau, affichent fièrement le code de conduite dans leur hall, ce qui contribue à sensibiliser la population, mais personne n’est chargé de vérifier si le personnel respecte effectivement ce code. La CPA et l’UNICEF forment à l’application du code les responsables des services d’immigration et des ministères, ainsi que le personnel des hôtels, des agents de sécurité aux réceptionnistes. « Maintenant, si nous voyons entrer une fille mineure qui n’est pas cliente de l’hôtel, les agents de sécurité l’envoient automatiquement à la réception », a indiqué Suleyman Corr, responsable de permanence à l’hôtel Ocean Bay. « Nous ne permettons pas que des adolescents soient utilisés. Et les clients doivent désormais payer un supplément pour pouvoir recevoir des visiteurs en plus dans leurs chambres ». À la question « savez-vous si des agents de sécurité acceptent des pots-de-vin pour laisser passer des filles ? », M. Corr a répondu : « Bien sûr, c’est une possibilité, mais nous n’avons pas entendu parler de cela ». D’autres hôtels sont plus stricts et interdisent à toute personne, outre le client, de passer la nuit dans les chambres, ou refusent l’entrée aux « bumsters ». « Il s’agit là de mesures basiques, mais efficaces », a déclaré à IRIN le gérant d’un hôtel. Selon Mme Kang, l’UNICEF est disposé à aider l’AGT à surveiller le tourisme sexuel, mais en fin de compte, cette tâche incombe à l’AGT. Selon elle, il incombe également aux tour-opérateurs de promouvoir un tourisme responsable. Les tour-opérateurs contactés par IRIN n’ont pas souhaité commenter la question. Quoi qu’il en soit, estime M. Corr, responsable hôtelier, la pratique ne sera pas éradiquée tant que l’AGT n’ira pas jusque dans les villages et les communautés où les touristes se rendent de plus en plus pour louer des logements ou séjourner dans des hôtels plus modestes et moins réglementés. « Nous devons commencer à lutter [contre ce phénomène] au sein même des communautés ; nous devons assurer que les familles, les enseignants et les leaders des communautés contribuent à mieux protéger les enfants, si l’on veut pouvoir réduire le taux [d’exploitation sexuelle des enfants] », a préconisé M. Badjie. Informations supplémentaires
pdf: http://www.irinnews.org/fr/ReportFrench.aspx?ReportId=81231