EUROPE DE L'EST: "Il faut agir contre les adoptions illégales"

Summary: Pour le Conseil de l’Europe, la Suissesse Ruth-Gaby Vermot a enquêté en Moldavie et en Ukraine notamment, où des enfants sont enlevés à leur mère dès la naissance. Son rapport a été adopté jeudi 24 janvier à Strasbourg.

[31 janvier 2008 ] - Les disparitions de nouveau-nés à des fins d’adoption illégale dans certains pays de l’Est inquiètent Ruth-Gaby Vermot. Elle a mené pendant plus de deux ans une enquête sur le sujet. Le rapport de la Bernoise, conseillère nationale socialiste jusqu’en octobre dernier, a été adopté jeudi par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à Strasbourg.

Vous vous êtes rendue en Ukraine et en Moldavie pour enquêter sur la disparition de nouveau-nés. Qu’est-ce qui vous a le plus marquée?

J’ai recueilli des témoignages extrêmement bouleversants et douloureux. En Ukraine, des mères m’ont assuré avoir, en 2002, mis au monde des bébés en parfaite santé qui leur ont été enlevés immédiatement après la naissance. A l’Hôpital de Kharkov, les médecins leur ont dit qu’ils étaient morts, mais aucune de ces femmes n’a pu voir le corps de leur enfant sous prétexte qu’elles seraient choquées ou qu’ils étaient déjà enterrés. A une autre femme, à Kiev, le médecin a présenté le corps sans vie d’un garçon de 6 mois, alors qu’elle venait d’accoucher d’une fille… Les parents ont porté plainte, sans résultat.

Mais comment être en mesure d’affirmer que ces bébés ont été enlevés pour être adoptés?

C’est la thèse la plus probable car il existe depuis longtemps un marché de l’adoption international. D’autres rumeurs circulent. Une ONG a laissé entendre que ces enfants avaient été utilisés dans le cadre d’un trafic d’organes, or les organes de nouveau-nés ne peuvent pas servir à des transplantations. Il a aussi été dit que les fœtus et bébés ont servi à des essais pharmaceutiques. Dans cette affaire, la seule chose avérée est la disparition de nouveau-nés vivants. Pour moi, il est primordial que les parents aient le droit de voir leur bébé, vivant ou mort, tout de suite après la naissance.

Avez-vous constaté le même phénomène en Moldavie?

La situation est différente. De fortes pressions sont exercées sur des femmes célibataires et pauvres pour qu’elles abandonnent leur enfant dans un orphelinat. Et cela vraisemblablement à des fins d’adoption, car les mères qui voulaient voir leur bébé plus tard ont appris qu’ils avaient déjà d’autres parents. J’ai aussi eu vent d’annonces dans les journaux pour inciter ces femmes à vendre leur enfant pour 3000 euros. C’est catastrophique. L’Etat devrait défendre les parents et les enfants. En 2006, 61 cas de trafic d’enfants ont été portés au pénal et l’on a dénombré cinq cas de sortie illégale du territoire.

On m’a parlé de cette pratique alors que j’enquêtais dans le pays sur 47 jeunes hommes qui ont vendu leur rein pour des transplantations illégales. Le trafic de bébés existe aussi en Bulgarie. Le cas des 22 femmes bulgares victimes d’un trafic et qui ont accouché de leur bébé en France pour qu’ils soient vendus – les intermédiaires ont empoché 5000 euros pour les filles, 6000 pour les garçons – a aussi marqué les esprits. Il a donné lieu à un procès. La Roumanie est maintenant un peu moins concernée par ces déviances : elle a imposé en 2005 un moratoire sur les adoptions internationales, en attendant de se doter de lois efficaces.

Justement : que revendiquez-vous pour éviter ces trafics?

Le droit des parents de voir tout de suite leur enfant est très important. Les bébés doivent aussi être déclarés dès la naissance, ce qui n’est très souvent pas le cas dans les pays de l’Est. Nous voulons que ces pays revoient leurs lois, qu’ils adoptent des mesures très strictes en matière d’adoption nationale et internationale. Et qu’ils ratifient la Convention sur la traite des êtres humains. Mais pour moi, de nouvelles lois ne suffisent pas : la justice doit ouvrir des enquêtes pour chaque cas dénoncé. Les victimes doivent obtenir des explications claires, savoir ce qui s’est vraiment passé.

Ces femmes sont traumatisées. Je me souviens d’une femme dont un jumeau a « mystérieusement » disparu deux jours après la naissance, soi-disant mort parce qu’il était mal formé. Son médecin traitant, échographies à l’appui, a pu prouver que les jumeaux étaient viables et en parfaite santé. Cette femme est maintenant dans un état de désespoir extrême. Elle ne cesse de chercher son second enfant, qu’elle sait vivant.

Ces pays sont-ils vraiment prêts à mettre fin à ces pratiques ?

J’ai obtenu des promesses, du ministre de la Santé et du procureur général d’Ukraine notamment. Mais jusqu’à maintenant, rien n’a vraiment été fait. Je me battrai jusqu’au bout pour ces victimes.

Un gel des adoptions dans ces pays serait-il un bon moyen pour faire pression?

Je ne pense pas. Mais les adoptions doivent être plus transparentes et contrôlées, et surtout répondre aux normes prévues par la convention qui règle les adoptions internationales. Les parents adoptifs doivent passer par des organisations fiables et se montrer très attentifs aux procédures.

Avec l’ouverture des frontières à l’Est, le phénomène des femmes venant accoucher à l’étranger pour donner leur enfant en adoption a augmenté. La Suisse doit-elle pour ces raisons craindre l’extension de la libre circulation des personnes à la Roumanie et à la Bulgarie?

Non, mais il faut être vigilant. Ces femmes vendent leurs enfants parce qu’elles sont pauvres et qu’elles ont besoin de vivre. Et en Europe, bien des parents sont d’accord de dépenser de l’argent pour satisfaire leur désir d’enfant. C’est un cercle vicieux ! La Suisse doit donc contrôler son système d’adoption internationale et tout faire pour lutter contre le trafic d’êtres humains. Elle doit être beaucoup plus active qu’aujourd’hui.

C’est-à-dire?

Elle devrait enfin ratifier la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains. Et assurer une protection à ses victimes, y compris pour les femmes qui n’osent pas porter plainte par crainte de représailles. Mais le climat actuel est plutôt à la tendance inverse : tout est fait pour que l’accès à la Suisse soit le moins attractif possible.

Owner: Valérie de GraffenriedAssociation: Le Temps

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