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Summary: Béatrice MOLLE Un bureau chargé de mener ces enquêtes pourrait être ouvert, mais le procureur estime les faits prescrits. Et rappelle que la loi sur la mémoire historique votée en 2007 ne prévoyait pas d’enquête sur les enfants volés sous le franquisme. Retour en arrière sur un travail de mémoire qui n’en est qu’à ses balbutiements : un décret datant de 1941 permettait au régime franquiste de placer les enfants sous sa garde “si leur éducation morale était en danger.” La nécessité d’enquêter sur ces vols d’enfants avait été soulignée par le juge Baltazar Garzon, lorsqu'il avait ouvert une instruction sur les dizaines de milliers de disparus de la guerre civile et du franquisme. C’est d’ailleurs pour avoir ouvert cette instruction qu’il a été suspendu de ses fonctions en mai, en attendant d’être jugé pour abus de pouvoir. “Beaucoup de ces enfants furent retirés à leur mère et jamais remis à leur famille d’origine”, avait déclaré le juge, avançant un possible “système de disparitions d’enfants de mères républicaines pratiquées entre 1937 et 1950, à des fins politiques d’épuration.” Les chiffres officiels évoquent jusqu’à 30 000 enfants qui, entre les années quarante et cinquante ont été placés de force sous la tutelle du régime franquiste. Le plus souvent dans des institutions religieuses. Des centaines de témoignages Julia Manzanal, 95 ans, garde dans une boîte une mèche des cheveux de sa fille. Sa fille que l’on déclara morte, alors qu’elle était emprisonnée à Amorebieta. Des mères sont mortes sans savoir. D’autres se sont fait faire à leurs frais des tests d’ADN, au cas où, sentant leur fin imminente, sans avoir eu la réponse à cette terrible question : “Mon enfant est-il mort ou me l’a-t-on volé ?” Aujourd’hui, les frères et sœurs prennent le relais : “Notre cas date de 1945. Ma mère Agustina qui est décédée en 2009 distribuait le lait dans une maternité de la rue de Serrano à Madrid. C’était une femme de gauche, elle accoucha dans cette clinique où on lui affirma que son enfant était mort-né, sans qu’elle ne puisse jamais le voir. Elle n’a jamais cru à cette mort, elle a entendu son fils crier. Elle est morte sans savoir”, explique sa famille. Et de poursuivre : “Souvent ces enfants étaient vendus à de riches familles, c’était un système perfectionné avec des directeurs d’hôpitaux, des médecins complices et des religieux. Tout ce système était protégé par le franquisme. Aujourd’hui nous réclamons justice.”
C’est une photo jaunie : une mère et son enfant dans les bras. Des instants qu’une loi inique sous le franquisme a rendus brefs. A quelques jours, quelques mois, cet enfant sera enlevé à tout jamais à sa mère. Une mère dont le seul tort était d’être une “rouge” sous le régime franquiste. Avant-hier, le parquet de l’Audience nationale a demandé au ministère de la Justice d’aider les enfants volés sous le franquisme en vertu d’une politique délibérée du régime à enquêter sur leur propre histoire.
Dossier repris par Garzon
Fin 2008, le juge Garzon avait dénoncé des soustractions systé-matiques présumées d’enfants de prisonnières républicaines, s’étonnant qu’un sujet aussi grave n’ait été l’objet d’aucune enquête en plus de 60 ans. Une pratique dont certains pensent que, si elle fut à visée politique dans les années quarante et cinquante pour les enfants des mères républicaines emprison-nées, elle devint plus tard, dans les années soixante, mercantile, au profit de riches familles de l’oligarchie espagnole.
Prescription
La demande du juge Garzon n’a jamais abouti, la justice espagnole estimant que par rapport à la loi sur la mémoire historique ces faits sont prescrits. Pour le juge Garzon, ces faits devraient entrer dans la catégorie de crimes contre l’humanité, donc imprescriptibles. Certains historiens expliquent que le régime franquiste organisa le vol systématique d’enfants “comme méthode de régénération de la race”, aiguillé par les théories du psychiatre et commandant Antonio Vallejo Najera qui prétendait “purifier les fils de rouges dévoyés.” Franco permit à partir de 1941, par le décret-loi évoqué en début d’article, le vol d’enfants et leurs changements de nom, rendant aléatoires, voire impossibles les recherches effectuées par leurs parents biologiques. Aujourd’hui, plus de 300 cas d’enfants disparus sont entre les mains de l’Audience nationale. C’est l’Association pour la récupération de la mémoire historique qui porte ces cas devant la justice, jugeant inacceptable le fait que l’Audience nationale refuse d’ouvrir une enquête judiciaire sur “le vol et la vente d’enfants sous le franquisme et durant la période de transition.” Car en plus des vols d’enfants de militants républicains durant les années quarante et 50, l’association rapporte des centaines de cas d’enfants volés dans des cliniques espagnoles, dont la clinique O’Donnell de Madrid, alors que leurs parents avaient été informés de leur supposé décès. Ces enfants étaient ensuite placés dans d’autres familles proches du régime, avec leur identité falsifiée, selon l’avis même du procureur. Et cela en toute impunité.