CONFLITS ARMÉS : Des soldats dans les écoles – les impacts de l’occupation militaire sur l’éducation

Partout dans le monde, les écoles sont les cibles des conflits – elles peuvent être le symbole de valeurs controversées ; la destruction d’un bien à caractère civil important pour la communauté contribue à répandre la terreur ; et une école réduite en ruines peut priver toute une génération de son droit à l’éducation. Cependant, les attaques ne sont qu’une partie du problème, car l’occupation de bâtiments éducatifs intacts par des forces armées peut provoquer des dommages significatifs.

« Les attaques perpétrées contre des bâtiments destinés à l’éducation, des élèves, des enseignants et des universitaires ont causé des centaines de morts et un nombre encore plus important encore de blessés parmi les élèves et le personnel éducatif », a dit à IRIN Zama Coursen-Neff, directrice exécutive de la Division chargée des droits des enfants à Human Rights Watch (HRW). « Des centaines de milliers de personnes ont été privées d’éducation, car des bâtiments ont été détruits, menacés ou occupés par des forces armées ».

Ainsi, selon le bureau du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) au Soudan du Sud, où des violences ont éclaté à la fin de l’année 2013, 24 écoles accueillant environ 8 000 élèves sont occupées par des forces armées depuis la fin du mois de mai. Aasmund Lok, responsable de la protection des enfants au bureau de l’UNICEF à Djouba, a dit que « La majorité des incidents recensés sont le fait de différents acteurs gouvernementaux ».

L’utilisation militaire des écoles constitue une violation de plusieurs lois internationales. Dans la Résolution 2143 adoptée le 7 mars 2014, le Conseil de sécurité des Nations Unies s’est déclaré : « Profondément préoccupé par l’utilisation par les forces armées et les groupes armés non étatiques d’écoles en violation du droit international applicable ... [et exhorte] toutes les parties à tout conflit armé à respecter le caractère civil des écoles ».

« Nous avons une stratégie bien coordonnée au niveau national et local pour plaider auprès des acteurs armés qui utilisent les écoles à des fins militaires », a dit M. Lok. « Mais nous plaidons également auprès des homologues gouvernementaux, comme les ministres de l’Education, de l’Intérieur, de la Défense, et des autorités locales ».

Les directives de l’armée du Soudan du Sud interdisent spécifiquement toute utilisation des écoles, ce qui donne au bureau de l’UNICEF au Soudan du Sud un outil important pour encourager le retrait des troupes gouvernementales des salles de classe, dans le respect des normes internationales. Protéger les écoles en interdisant leur utilisation à des fins militaires contribue à une réforme nécessaire, selon les spécialistes.

Le 14 août 2013, l’Armée de libération du peuple soudanais (SPLA) – l’armée du Soudan – a donné l’instruction suivante : « Conformément à cet ordre, les membres de la SPLA ont interdiction …d’occuper ou d’utiliser les écoles de quelque façon que ce soit ».

Dans son rapport de 2014, la Coalition mondiale pour la protection de l’éducation contre les attaques (Global Coalition to Protect Education from Attack, GCPEA), qui rassemble des organisations non gouvernementales (ONG) et des agences des Nations Unies, a dressé une liste de 24 pays où des groupes armés utilisaient des écoles.

La GCPEA, qui concentre ses efforts sur le terrain, a publié une feuille de route – les Lignes directrices de Lucens – qui souligne l’impact sur l’éducation de l’utilisation militaire des écoles et encourage les parties à tout conflit armé « à ne pas utiliser les écoles et les universités à l’appui de leur effort militaire ».

« Les Lignes directrices sont utiles et peuvent influer sur les commandants qui prennent des décisions dans les situations de combat ainsi que sur les décideurs politiques qui élaborent les lois et les font appliquer », a dit Steven Haines, professeur de droit public international à l’université britannique de Greenwich, qui a préparé les Lignes directrices en collaboration avec des gouvernements, des armées, des agences des Nations Unies et des organisations internationales.

L’arrivée des troupes

« Nous avons vu des troupes utiliser les écoles en tant que bases, casernes et terrains d’entraînement, et les salles de classe en tant que dépôts d’armes, centres de détention et lieux de torture – des faits que certains enfants ont observé ou entendu », a dit Mme Coursen-Neff, en faisant référence à des recherches menées par HRW sur l’occupation d’écoles en Somalie, au Yémen, aux Philippines, en Thaïlande, en Irak et en Inde.

Véronique Aubert, conseillère principale en matière de recherche sur les conflits, de recherche humanitaire et de politiques pour Save the Children à Londres, a noté que « En République démocratique du Congo (RDC), nous avons vu les conséquences des occupations d’écoles – les élèves courent le risque d’être tués ou blessés, d’être recrutés, de subir des violences sexuelles et certains parents sont trop effrayés pour envoyer leurs enfants à l’école lorsque les troupes se trouvent à proximité ».

Selon un rapport de 2013 de Save the Children, le groupe armé M23 a pillé ou occupé 250 écoles et les ont rendues inutilisables.

Mme. Coursen-Neff indique que la présence de forces armées dans les écoles entraîne non seulement une interruption de l’apprentissage, mais aussi expose les enfants à des comportements inappropriés, « Lorsque des forces armées s’emparent d’un bâtiment scolaire, elles en font une cible militaire légitime. Imaginez les fortifications – les guérites, les barbelés à lames, les tranchées même – tout cela peut provoquer une attaque des forces adverses ».

Elle dit aussi que « Une école ne peut pas à la fois être utilisée comme caserne et comme bâtiment d’éducation », et que « l’incapacité d’un gouvernement à assurer l’éducation des enfants parce qu’une école est utilisée par l’armée peut constituer une violation des droits de l’homme ».

Des écoles utilisées pour l’apprentissage

Quand des forces armées effectuent des manœuvres pour sécuriser un territoire, les écoles peuvent devenir un lieu intéressant de stationnement des troupes – elles ont souvent des murs solides et sont raccordées aux réseaux de plomberie et d’électricité.

Mettre fin à l’utilisation militaire des écoles peut poser d’importantes difficultés, y compris le fait d’accroître la sensibilisation aux impacts destructeurs des occupations au cas par cas et de changer de politiques.
« Lorsque nous intervenons dans les zones de conflit, il est important que nos équipes et nos partenaires locaux fassent comprendre aux groupes armés – étatiques et non étatiques – qu’ils violent le droit à l’éducation quand ils occupent les écoles », a dit Mme Aubert.

La combinaison d’un soutien juridique fort et de la flexibilité proposée par les Lignes directrices de Lucens ouvre la voie à une mise en œuvre immédiate à tous les niveaux. « Les Lignes directrices n’ont pas de portée juridique contraignante, alors cela nous permet d’instaurer un débat pratique au niveau local et au niveau programmatique avec les groupes armés. Nous pouvons expliquer les enjeux, donner des exemples et fournir une compréhension des problèmes entraînés par les occupations militaires », a-t-elle dit.

C’est ce pragmatisme, dit M. Haines de l’université de Greenwich, qui peut favoriser l’intégration des Lignes directrices de Lucens dans les politiques dans le domaine militaire à travers le monde.

« Il est important de … comprendre qu’elles ne sont pas une demande catégorique de ‘non utilisation des écoles’, mais plutôt des consignes qui, conformément au droit international, permettent de protéger les écoles pour ce qu’elles sont : des structures dédiées à l’éducation », a-t-il dit. « Nous les avons préparées pour nous adresser à un public militaire et pour qu’elles soient reprises et adoptées rapidement.

M. Haines, qui a servi dans la Marine royale britannique pendant trente ans, a partagé une expérience qu’il a vécue en Sierra Leone : « J’ai vu une brigade utiliser une école abandonnée pour accueillir et désarmer les enfants soldats. Je ne vois rien de mal à ce genre d’utilisation, d’un point de vue juridique ou moral ».

M. Haines indique cependant que les Lignes directrices contiennent des exigences strictes en matière d’utilisation des bâtiments, même abandonnés, et notamment leur utilisation uniquement pour « la durée minimale nécessaire », leur mise à disposition des autorités éducatives pour qu’ils rouvrent leurs portes aussitôt que possible et le fait qu’aucun signe de fortifications militaires ne doit être visible après le départ des troupes.

« Les Lignes directrices sont concises, claires et concrètes », a dit Mme Aubert. « Elles montrent clairement que ce ne sont pas seulement les attaques qui détruisent l’éducation, mais aussi l’utilisation militaire des écoles ». 


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