BOLIVIE : A contre-courant sur le travail des enfants

Pour quiconque vit en Bolivie, il est impossible de ne pas les voir. Ce sont eux qui cirent les chaussures pour 20 centimes d’euros la paire sur l’avenue principale de La Paz, la capitale, qui vendent bonbons et cigarettes à la sauvette, ou encore qui emballent les courses à la caisse des supermarchés en échange d’un petit pourboire. Les enfants et adolescents travailleurs font partie du paysage bolivien : ils seraient 850 000, pour une population totale d’à peine 10 millions d’habitants, d’après une estimation de l’Unicef.

Depuis jeudi, une partie d’entre eux sont sortis de l’illégalité, grâce à l’abaissement de l’âge légal pour travailler de 14 à 10 ans. Le tout nouveau Code de l’enfance et de l’adolescence promulgué par le président, Evo Morales, précise que les Boliviens de 10 à 14 ans auront le droit de travailler à leur compte, les plus de 12 ans pourront le faire pour une tierce personne. Avec deux conditions : que cette activité ne nuise pas à leur éducation et qu’elle ne soit pas dangereuse.

Une grave erreur selon Carmen Moreno, représentante de l’Organisation internationale du travail (OIT) pour les pays andins : «Cela nous inquiète, cette loi est un retour en arrière. L’OIT fixe à 14 ans l’âgeminimum pour travailler, et seulement pour des activités légères.» En Bolivie, l’un des pays les plus pauvres d’Amérique du Sud, le travail infantile est culturellement considéré comme un mal nécessaire, voire un précieux apprentissage de la vie dans les couches de population les plus défavorisées. Ainsi, Evo Morales raconte régulièrement son travail comme berger durant son enfance et estime que c’est une façon pour le mineur d’acquérir une «conscience sociale».

Briqueteries. Guido, 10 ans, est un «enfant de brique», comme on surnomme ici les gamins qui travaillent dans les briqueteries, un boulot considéré officiellement comme l’une des pires formes de travail infantile, et dont l’éradication est prioritaire, comme le travail de la mine ou la récolte de canne à sucre. Il se souvient précisément de ses débuts dans la profession : «C’était le 1er juin 2013, un samedi. Ce jour-là, mon père m’a dit : "Viens, on va charger."Les premiers jours, j’ai chargé 25, puis 50 briques. Et pour 3 000 briques chargées sur le camion, je suis payé 8 euros. J’ai des ampoules aux mains et des fois j’ai mal au dos, mais rien de plus. Avec l’argent, je m’achète des cahiers. Je me sens heureux d’aider ma famille.» Son patron, c’est Fernando, 46 ans : «A 10 ans, j’allais de briqueterie en briqueterie pour gagner quelque chose. Les enfants viennent me demander du travail. Si je leur interdis, que vont-ils faire ? Ils vont aller à l’épicerie et ils vont devoir voler. Il est préférable de les avoir ici. C’est positif qu’ils apprennent ce que ça coûte de gagner un sou. J’ai été dans leur situation, j’ai connu la faim. Alors pourquoi refuser de les orienter ?»

Pour le parti au pouvoir, le Mouvement vers le socialisme (MAS), l’urgence est de s’adapter à la cruelle situation : «Le travail infantile est une réalité dans notre pays et comme il est très difficile de lutter contre ce phénomène, nous souhaitons avant tout protéger les droits des enfants travailleurs et leur garantir la sécurité au travail», argumente le sénateur Adolfo Mendoza, qui précise que la journée de travail des mineurs est fixée à six heures et qu’ils bénéficieront du même salaire et des mêmes droits sociaux que les adultes.

Preuve de l’ancrage du phénomène dans la société bolivienne, les enfants travailleurs ont ici leur propre syndicat, l’Unatsbo, qui a justement milité pour cette mesure. Satisfait du nouveau code, Alfredo, 16 ans et membre du syndicat, explique : «Il y a beaucoup de pauvreté en Bolivie, et l’argent des parents ne suffit pas toujours, sans parler de ceux qui ne vivent pas avec leurs parents. C’est la faim qui pousse l’enfant à travailler. C’est trop facile de dire : "Interdit de travailler." Nous, les enfants travailleurs, nous existons, nous sommes dans les rues et nous avons besoin de protection.»

«Justification». Mais Rosana Vega, de l’Unicef Bolivie, craint que le nouveau code n’encourage le travail infantile : «La situation bolivienne est préoccupante. Il existe souvent un raisonnement automatique qui dit : pauvreté = justification du travail infantile. C’est loin d’être si simple. Il y a des cas où les parents justifient le travail infantile car eux ont travaillé quand ils étaient enfants. Et d’autres cas où, à l’inverse, comme eux ont travaillé, ils ne veulent pas que leurs enfants travaillent. C’est une question de connaissance, de comprendre que, au-delà de l’apport économique de l’enfant qui peut être de 3 ou 4 euros par jour, cela enlève beaucoup plus au futur de cet enfant et donc, bien sûr, au futur de sa famille.»


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Auteur: 
Reza Nourmamode

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