Bulletin n° 190
Dans ce numéro
Actualités
Plaidoyer juridique, actions en justice
La Cour constitutionnelle fédérale allemande a enjoint au législateur de réformer l’enregistrement à l’état civil des personnes intersexes. Une personne intersexe de 27 ans qui avait demandé à pouvoir modifier son état civil pour refléter son genre s’était vue refuser la possibilité d’utiliser la dénomination « inter » ou « divers ». La Cour constitutionnelle a considéré que la possibilité (ouverte depuis 2013) de ne pas mentionner le genre dans le registre de l’état civil était insuffisante, et que : « parce que leur identité intersexuelle est non équivoque et durable, [ces personnes] ont droit à une reconnaissance égale de leur genre en tant qu’expression de leur droit personnel global ». La nouvelle législation devra donc créer une troisième mention du sexe à l'état civil. La Cour juge qu’« avec cette catégorie, le législateur ne créera pas nécessairement “un troisième genre” […] mais simplement une désignation générique destinée à toutes les personnes qui ne peuvent être assignées au genre masculin ou féminin, sans pour autant souhaiter être qualifiées de “sans genre” ». Une autre solution serait de supprimer cette mention pour tous.
Le mois dernier, le Conseil de l’Europe est devenu la première assemblée internationale à adopter une résolution entièrement consacrée aux droits des personnes intersexes. Rappelant l’obligation de garantir le droit à l’intégrité physique des enfants intersexes, elle appelle les Etats membres à « interdire les actes chirurgicaux de « normalisation sexuelle » sans nécessité médicale ainsi que les stérilisations et autres traitements pratiqués sur les enfants intersexes sans leur consentement éclairé ». Elle appelle également à respecter le droit à la vie privée dans l’enregistrement des naissances, à simplifier les procédures de reconnaissance juridique du genre et « à veiller en particulier à ce que ces procédures soient rapides, transparentes et accessibles à tous sur la base du droit à l’autodétermination ». Des activistes, des organisations de personnes intersexes et des juristes, dont des membres d’OII Europe et du GISS (Groupe d’information et de soutien sur les questions sexuelles et sexuées) ont été auditionnés par l’Assemblée parlementaire, et ont pu apporter des changements qui renforcent le texte. Cela a notamment permis que la résolution demande un accès à la santé des personnes intersexes « selon une approche globale centrée sur le patient et suivant des lignes directrices élaborées ensemble par les organisations de personnes intersexes et les professionnels concernés ».
Plusieurs organisations (Mental Disability Advocacy Centre (MDAC), European Roma Rights Centre (EERC) et Forum for Human Rights) ont introduit une réclamation collective auprès du Comité européen des droits sociaux, demandant la fin des placements résidentiels d’enfants de moins de trois ans dans des établissements de soins. Cette réclamation vise la République Tchèque, l’un des derniers États européens à autoriser les placements d’enfants dans des institutions publiques, bien que ces placements aient des effets négatifs à long terme sur le développement physique et affectif des jeunes enfants. Les enfants roms et les enfants handicapés sont surreprésentés parmi les enfants placés. La réclamation est donc le fruit d’une collaboration entre une organisation de défense des droits des Roms, une organisation de défense des droits des personnes handicapées, et une organisation spécialisée dans le contentieux sur les droits de l’homme. Elle repose sur l’article 17 de la Charte sociale européenne (droit des enfants et des adolescents à une protection sociale, juridique et économique). Lire le communiqué. Plus d’information sur le Comité européen des droits sociaux.
Trois études de cas à lire sur des questions connexes :
Deux demandes en recours collectif ont été déposées au Canada contre les Témoins de Jéhovah, l’une devant la Cour supérieure de Québec, l’autre devant les tribunaux ontariens. Les requérants, victimes d’abus sexuels, accusent la Watchtower Bible and Tract society (l’organisation de l’église des Témoins de Jéhovah) d’avoir permis que des figures d’autorité de l’église commettent des abus sexuels en toute impunité. En particulier, l’une des requêtes affirme que l’organisation « a créé un environnement qui protège les agresseurs sexuels d’enfants » en « empêchant les dénonciations aux autorités ». Les tribunaux saisis doivent maintenant déterminer si les plaintes sont suffisamment étayées pour devenir des recours collectifs.
En Indonésie, une coalition de vingt ONG se prépare à contester devant la Cour suprême le Qanun Jinayat, le code pénal entré en vigueur en 2015 à Aceh, la seule province d’Indonésie qui applique la charia, la loi coranique. La requête porte, entre autres, sur un article qui soumet les enfants âgés de 12 à 17 ans, enfreignant la charia, à une peine de flagellation. Les requérants se basent notamment sur l’interdiction de la torture par les instruments internationaux des droits de l’homme dont la Convention relative aux droits de l’enfant. Le gouvernement local conteste quant à lui la compétence de la Cour suprême.
En Inde, la Cour suprême examine des requêtes contestant la décision gouvernementale de déporter des réfugiés rohingya au Myanmar. La West Bengal Commission for the Protection of Child Rights, à l’initiative de l’une des requêtes, a alerté sur la situation d’une quarantaine d’enfants réfugiés dans l’État du Bengale occidental, et argué que leur déportation serait contraire à la constitution. Le gouvernement a quant à lui expliqué que les Rohingya constituaient un « danger potentiel » pour « la sécurité intérieure » et l’harmonie du « tissu social » du pays. Il a notamment affirmé avoir reçu des informations des agences de renseignement selon lesquelles « des immigrés illégaux rohingya » auraient des liens avec des organisations terroristes du Pakistan et d’autres pays sans préciser lesquels, ni combien de Rohingya seraient concernés. La Cour suprême a reporté sa décision au 21 novembre, mais a déclaré après une audience préliminaire qu’il ne faisait pas l’ombre d’un doute que l’affaire demandait une approche humanitaire.
En République démocratique du Congo (RDC), 18 miliciens sont jugés pour les viols de 46 filles entre 2013 et 2016 à Kavumu, un village du Sud Kivu. Les suspects, dont un député provincial, sont accusés de crimes contre l’humanité, en raison du caractère systématique des viols. L’affaire est représentative des violences sexuelles généralisées et de l’impunité qui règne dans le pays. Pour TRIAL International, une ONG qui assiste les victimes de crimes internationaux et accompagne les victimes pendant ce procès aux côtés d’autres organisations, « l’importance du procès Kavumu va bien au-delà des victimes et leurs familles. Il ébranle toute l’omerta et l’inertie judiciaire qui entourent les violences sexuelles dans le Sud-Kivu. » Le rôle des ONG locales et internationales a été crucial pour que ces exactions soient considérées comme systématiques, plutôt que comme des actes isolés. Le gouvernement central s’est finalement impliqué pour obtenir la levée d'immunité du député Batumike, malgré les réticences de l'Assemblée provinciale. L’ONG Physicians for Human Rights, qui a soutenu les efforts d’enquête, espère ainsi que « cette collaboration entre les milieux médicaux et judiciaires, ainsi que les ONG internationales et nationales, engendrera un système de réponse efficace qui empêchera d’autres cas de violences sexuelles. »
Arrestations arbitraires
Au Niger, une vingtaine de personnes, dont six mineurs, ont été arrêtées lors d’une manifestation contre la loi de finances 2018 fin octobre. Amnesty International réclame la libération de trois activistes dont l’ONG estime l’arrestation arbitraire. Amnesty dénonce la dixième vague d’arrestations d'activistes depuis le début de l'année au Niger et demande aux autorités de « mettre fin aux intimidations des défenseurs des droits humains ».
Au Maroc, plusieurs enfants ont été arrêtés en marge des « manifestations de la soif », à Zabora. Huit d’entre eux sont poursuivis pour atteinte à fonctionnaires lors de l'exercice de leurs fonctions, dégradation de biens publics et participation à une manifestation non autorisée, suite à la manifestation du 8 octobre. Un mineur avait également été jugé suite à sa participation à une autre manifestation fin septembre. Ces manifestations, auxquelles prennent part de nombreuses femmes et de nombreux jeunes dénoncent le manque d’eau, disponible quelques heures par jour, mais la plupart du temps imbuvable, et dont la distribution est pourtant facturée aux habitants.
Violences policières contre les migrants et réfugiés
Selon un rapport de Human Rights Watch, des réfugiés nigérians, dont des enfants, ont subi des actes de torture, des violences et des abus sexuels aux mains de militaires dans les zones frontalières reculées du Cameroun, et ce depuis 2015. L’armée aurait depuis cette date expulsé 100 000 réfugiés et refusé à beaucoup d’entre eux l’accès à l’agence de l’ONU pour les réfugiés, dans le but de freiner l’expansion de Boko Haram dans la région. Les 61 personnes interrogées pour le rapport ont expliqué que des militaires les avaient accusées d’appartenir à Boko Haram ou d’être « des épouses de membres de Boko Haram ». Certains ont fait état de séparation d’enfants d’avec leur parents, et d’autres ont raconté que leurs enfants, affaiblis après des mois ou des années passés dans les zones frontalières sans nourriture ni soins médicaux suffisants, étaient morts pendant ou immédiatement après le renvoi forcé.
Dans l’Union Européenne, l’organisation Médecins Sans Frontières (MSF) dénonce de nouveau les violences que subissent les migrants aux mains des forces de police en Croatie, en Hongrie et en Bulgarie. Un communiqué de Stéphane Moissaing, qui dirige la mission de MSF en Serbie, déclare : « La violence contre les enfants et les jeunes qui tentent de quitter la Serbie aujourd'hui, la violence est une constante, et elle est dans la majorité des cas exercée par des polices aux frontières d’États membres de l'Union européenne ». Dans la première moitié de l’année 2017, 92% des enfants et adolescents qui se sont présentés à MSF ont évoqué des violences physiques, des humiliations ou des attaques de chiens.
Un rapport de l’ONG Refugee Rights Data Project (RRDP) dénonce des actes de violences graves par les forces de police autour de Calais, en France. Les 233 personnes interrogées (dont 94 enfants à partir de 12 ans) rapportent des violences causant des blessures sérieuses, et des cas où des policiers auraient conduit des jeunes filles seules dans des endroits isolés pour les y abandonner. Suite au rapport de Human Rights Watch(HRW) de juillet dernier sur les violences policières à l’encontre des migrants à Calais, les inspections générales de l’administration, de la police et de la gendarmerie ont publié leur propre rapport à la demande du gouvernement français. Ce rapport estime « plausibles » certains abus depuis le démantèlement de la « jungle » de Calais il y a un an, tout en insistant sur « la situation particulièrement difficile » à laquelle sont confrontées les forces de l’ordre. Les autorités reconnaissent que « plusieurs témoignages concordants et de sources diverses semblent confirmer un usage de la force disproportionné, voire injustifié, à l’encontre de migrants et de membres d’organisations humanitaires sur place », ainsi que la « destruction d’affaires appartenant aux migrants » et le non-respect du port du matricule. L’utilisation abusive de gaz lacrymogène est confirmée, en revanche, l’accusation de HRW sur l’utilisation de gaz poivre est considérée « sans fondement ». Le rapport de HRW se basait sur des entretiens avec des migrants dont 31 enfants non accompagnés, dont les témoignages sur le harcèlement quotidien concordent.
Santé
La revue médicale The Lancet a publié une étude évaluant à 9 millions le nombre de décès liés à la pollution dans le monde en 2015. Environ 92% des décès ont eu lieu dans des pays à bas et moyen revenus, avec un impact majeur dans les pays où l’industrialisation est rapide (Inde, Pakistan, Chine, Bangladesh, Madagascar et Kenya). Les enfants sont souvent parmi les personnes les plus touchées, à cause de la petite taille leur corps et de l’impact sur leur développement. Les résultats de l’étude peuvent être consultés sur cette carte interactive.
Alors que le vote sur le renouvellement de l’autorisation du glyphosate dans l’Union Européenne est toujours dans l’impasse, le scientifique et juriste Baskut Tuncak, rapporteur spécial de l’ONU sur les déchets toxiques a publié dans Le Monde et le Guardian une tribune sur les dangers de cet herbicide pour la santé des enfants.
Suite à un appel à contribution du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’environnement, CRIN vient d’envoyer des commentaires sur le projet de lignes directrices sur les droits de l’homme et l’environnement. Cette contribution est axée sur les responsabilités des États en lien avec les droits de l’enfant, car nous pensons que ces lignes directrices auraient plus de poids si elles renvoyaient directement aux instruments internationaux contraignants qui contiennent ces obligations.
Au Canada, des documents internes révèlent une grande confusion autour du principe de Jordan et de son application au sein de Santé Canada, le département gouvernemental en charge des questions de santé. Le principe, adopté par le Parlement il y a 10 ans, prévoit que lorsqu’un conflit de compétences entre les niveaux fédéral et provincial émerge au sujet de services offerts à un enfant autochtone, le département contacté en premier prend le service en charge, quitte à être remboursé plus tard par le département responsable. Il apparaît notamment que la définition même du principe n’était pas la même d’une province à l’autre, alors que le principe vise justement à s'assurer qu'il n'y ait pas de divergences dans les services gouvernementaux qui sont offerts aux enfants autochtones. En janvier 2016, le Tribunal canadien des droits de la personne avait ordonné au gouvernement fédéral, condamné pour discrimination, d’augmenter le financement attribué aux soins de santé dans les communautés autochtones. Les documents révèlent que Santé Canada a ainsi été pris au dépourvu après la décision du Tribunal.
En France, le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a constaté de nombreux manquements aux droits fondamentaux des mineurs hospitalisés en psychiatrie. Après avoir visité une trentaine d’établissements accueillant des mineurs, le CGLPL rapporte des atteintes potentiellement illégitimes à la liberté d’aller et venir, l’usage de vidéosurveillance et des atteintes à la confidentialité des échanges téléphoniques, posant « la question du respect de l’intimité et de la dignité ».
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Accès des enfants à la justice
Cameroun
Chaque mois, nous vous présentons un rapport sur l’accès des enfants à la justice dans un pays du monde. Le projet vise à établir le statut de la Convention relative aux droits de l'enfant (CDE) dans les législations nationales, le statut des enfants impliqués dans des procédures judiciaires, les moyens juridiques qui permettent de contester des violations des droits de l'enfant et les considérations pratiques à prendre en compte en utilisant ces moyens.
Le Cameroun a signé la CDE le 27 septembre 1990 et l’a ratifiée le 11 janvier 1993. De plus, le Cameroun a signé le 5 octobre 2001 deux des Protocoles facultatifs à la CDE. Il n'a cependant ratifié que le Protocole concernant l’implication des enfants dans les conflits armés, le 4 février 2013, mais n'a pas ratifié celui concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants. Par ailleurs, il n’a ni signé ni ratifié le troisième Protocole facultatif établissant une procédure de présentation de communication. Le Cameroun a une approche moniste du droit international, ce qui signifie que la CDE a été automatiquement intégrée au droit interne une fois dûment ratifiée et publiée. Selon la Constitution, la CDE a préséance sur le droit interne. Le Cameroun possède un double système juridique où le droit civil français et la common law anglaise sont applicables. Le droit coutumier est aussi utilisé dans plusieurs régions. Il y a peu de dispositions qui traitent directement des procédures pour les enfants au tribunal. Les affaires impliquant des enfants ne sont pas prioritaires, le système judiciaire est lent, et les délais avant et après le procès sont souvent longs.
Télécharger le rapport en français et en anglais.
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Annonces
Ombudsmen francophones
En Haïti, Maître Renan Hedouville, a été nommé aux fonctions de Protecteur du citoyen.
Au Burkina Faso, Mme Saran Sere/Sereme a pris ses fonctions de Médiateur du Faso.
Le mot de la fin
« Les législateurs continueront-ils à agiter le mythe qui veut que les pesticides sont indispensables pour nourrir la population mondiale ? Continueront-ils à dépendre des conclusions scientifiques de l’industrie ? Ou se décideront-ils à protéger les droits humains, notamment les droits de l’enfant, en invoquant le principe de précaution du fait des incertitudes considérables auxquelles nous sommes encore confrontés ? »
Baskut Tuncak, rapporteur spécial de l’ONU sur les déchets toxiques dans une tribune publiée dans Le Monde et le Guardian
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