République Démocratique du Congo: Sans argent, point d'école !

[KISANGANI, 17 juillet 2006] - « Regardez-moi… Pensez-vous que je ressemble à un enseignant ? » s’exclame le directeur d’école Ire Yabongengo, dans son ensemble rouge élimé, tout en pointant du doigt ses sandales usées.

« Nous n’avons ni bureau, ni livre… même pas d’eau ».
Puis Ire Yabongengo explique combien les parents en ont assez d’être constamment sollicités pour réparer l’école, un ensemble cabanes faites de bouts de bois et de boue séchée, recouvertes de branchages.

Nous sommes à Lokanja Lina Nkoy, un petit village au milieu de l’immense forêt tropicale qui couvre une grande partie du bassin du Congo et le cœur de la République démocratique du Congo (RDC). Ici, la seule école encore fonctionnelle est dirigée par les Kimbanguistes, une secte religieuse qui vénère Kimbangu, un combattant de la liberté incarcéré par le colonisateur belge et décédé en prison peu après la fin de la période coloniale.

Ici, comme dans la plupart des écoles publiques de la RDC, le gouvernement prend en charge la paie des enseignants et fournit les bancs, les tables et les salles de classe des quelque 150 élèves de l’école du village de Lokanja Lina Nkoy. Les élèves sont entassés dans quatre salles de classe où le soleil pénètre à travers les larges interstices des branchages qui font office de toiture.

Les écoliers sont assis sur des billots de bois, pieds nus et vêtus de haillons plutôt que d’un uniforme. Et pourtant, les enfants sont heureux d’être à l’école, même si leur éducation doit se faire sans le matériel didactique le plus élémentaire.

« Bonjour Monsieur le Directeur! », crient-ils tous en choeur.

Crayon, cahier ou papier sont inexistant dans cette école. Le maître griffonne quelques mots en français sur une planche de bois peinte en noir et les enfants s’exercent à l’écriture sur le sable.

Dans un pays où le système éducatif se trouve dans un état de déliquescence avancée après plusieurs années de conflit et des décennies de négligence, la situation de l’école primaire de Lokanja Lina Nkoy est un cas courant en RDC.

Sur une population de 60 millions d’habitants, plus de 3,5 millions d’enfants ne sont pas scolarisés en RDC.

Selon le document de stratégie pour la réduction de la pauvreté élaboré conjointement par le gouvernement congolais et les agences des Nations unies en mars 2006, la situation n’a fait que se détériorer au cours des dernières années. En 1995, 25 pour cent des enfants n’étaient pas scolarisés. En 2001 ce chiffre est passé à 30 pour cent.

Des enseignants sans salaire

Jusque dans les années 60, l’Eglise gérait la plupart des écoles en RDC. Celles-ci étaient généralement construites par des prêtres catholiques qui avaient établi leurs missions à travers le pays.

Après son arrivée au pouvoir en 1965, Mobutu Sésé Seko s’est lancé dans une campagne agressive de nationalisation. Cette stratégie a non seulement ruiné l’économie, mais aussi la fonction publique qui était en grande partie supportée par le clergé. Les frais de scolarité étaient désormais perçus par le gouvernement, mais la gestion des écoles était restée aux mains des prêtres, sans aucune contribution financière de l’Etat.

A l’école de Lokanja Lina Nkoy, les maîtres sont sans salaire depuis plusieurs mois. Et lorsqu’il lui arrive d’être payé, le directeur d’école perçoit 14 000 francs congolais, soit l’équivalent d’environ 30 dollars américains. Les maîtres titulaires, pour leur part, sont payés moins de la moitié.

Mais un salaire de 15 dollars est bien trop peu pour vivre en RDC où presque tout doit être importé, y compris les crayons et le papier, même si le pays abrite la plus grande forêt d’Afrique.

Malgré toutes ces frustrations, certains parents et enseignants du village refusent de se laisser abattre et construisent une nouvelle case pour remplacer celle qui menace de s’effondrer sur les enfants.

« Sans les enseignants et les parents d’élèves le système éducatif en RDC n’existerait plus du tout », affirme Christian Lannoye, expert en éducation et consultant pour l’agence de développement de coopération technique belge.

Sans argent, point d’école!
La nouvelle constitution approuvée en décembre dernier par le peuple congolais garantit une éducation gratuite pour tous les élèves des écoles primaires et secondaires. Mais comme les enseignants ne sont pas payés, un système parallèle s’est développé et les écoles du pays exigent désormais une participation des parents dont le montant peut varier de 15 cents à un dollar, dans les zones rurales, ou de 10 dollars à 30 dollars à Kinshasa, la capitale.

Mais pour beaucoup de parents, les 15 cents restent une somme prohibitive. Une mère, occupée à faire la lessive et la vaisselle dans la rivière Lomami, proche de l’école du village, se plaignait que ses enfants ne pourraient pas apprendre à lire et à écrire parce qu’elle ne pouvait pas payer cette somme.

Les habitants de Lokanja Lina Nkoy vivent généralement de l’agriculture de subsistance et de la pêche. Hormis la vente des gâteaux de manioc et des poissons fumés, ils n’ont aucun moyen autre de gagner leur vie.

Pendant ce temps, des tonnes de produits de culture de rente tels que le café et les noix d’huile de palme pourrissent dans l’arrière-pays. Le problème est que le coût du transport de ces produits vers Kisangani, la capitale de la province Orientale, est plus élevé que leur prix de vente au marché.

A 3 heures de marche du village se trouve la ville d’Isangi. Ce carrefour commercial de 5 300 habitants qui abrite une mission de l’Eglise catholique et les services administratifs du territoire d’Isangi est l’une des 500 municipalités de la province Orientale.

Là-bas, les plantations d’huile de palme ont été laissées à l’abandon. La Busira Lomani, la société d’exploitation et unique employeur de la région, a cessé ses activités lorsque la ville a été pillée et occupée par les armées rwandaise et ougandaise et les rebelles congolais dans les années 90.

L’école primaire d’Isangi est tenue par des prêtres catholiques et sa situation est très peu différente de celle de Lokanja Lina Nkoy. Construites dans les années 30, ses salles de classe qui faisaient autrefois la fierté de l’école sont maintenant tombées en décrépitude, faute moyens financiers.

Pas de pension pour les retraités

Augustin Mombaya, directeur d’école de 68 ans a connu le règne de Mobutu ainsi que tous les conflits qui ont suivi son renversement par Laurent Désiré Kabila, le père de l’actuel président, Joseph Kabila.

Selon M. Mombaya, les enseignants de son école n’ont pas perçu de salaire depuis quinze mois.

« Dix pour cent de tous nos enseignants n’ont jamais perçu de salaire parce qu’ils ne sont pas enregistrés au ministère de l’Education », explique-t-il.

Lorsque les enseignants atteignent l’âge de la retraite, ils sont remplacés par des jeunes. Mais comme le système éducatif est inefficace, les retraités restent inscrits sur les registres de paie, même après leur mort.

M. Mombaya aurait dû prendre sa retraite il y a 13 ans, après ses 30 ans de service. « A plusieurs reprises, j’ai envoyé au ministère de l’Education à Kinshasa la liste des 140 enseignants qui devraient aller à retraite, mais je n’ai jamais reçu de réponse », affirme-t-il.

Et récemment, lorsque le ministre de l’Education a présenté le budget de son ministère et une liste de 10 000 enseignants pouvant faire valoir leur droit à la retraite, on lui a répondu qu’il n’y avait pas d’argent pour leurs pensions.

Et malgré les deux grèves organisées cette année par les enseignants congolais, rien n’a changé.

Les filles, les premières sacrifiées

Les filles sont les principales victimes du système de participation parentale instauré dans les écoles. Ainsi, sur les seize élèves d’une classe de l’établissement secondaire d’Isangi, on ne compte qu’une seule fille. A l’école primaire pourtant, elles sont généralement plus nombreuses que les garçons. Ceci est le résultat d’une campagne du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) pour encourager les parents à scolariser les filles.

Mais au fil des années, ces jeunes filles quittent l’école parce que les parents ne peuvent plus financer leur scolarité ou à cause de grossesses et de mariages précoces.

L’UNICEF a fourni à plus de 290 écoles de la province Orientale des kits de matériel didactique pour enfants et enseignants.
Mais plus de 2200 écoles attendent encore de bénéficier d’une aide, alors que de nouveaux élèves continuent d’entrer dans le système scolaire.

Pascal Libondo Molanga, directeur de 63 écoles primaires à Kinshasa a confié à IRIN que près du tiers des enfants de la capitale, soit environ 80 000 enfants sur une population totale de 500 000, ne sont pas scolarisés.

« Soixante-cinq pour cent des enfants qui traînent la journée dans les rues sont des filles », affirme-t-il.

« Beaucoup d’entre elles se prostituent avec l’accord tacite de leurs parents, pour avoir les moyens d’envoyer leurs frères à l’école », affirme Giovanni Pross, un prêtre italien qui vit depuis près de 20 ans à Kisangani. Il avoue sa frustration et sa colère quand il voit la réaction des politiciens locaux face aux problèmes.

Sylvain Nzaba, agent de protection pour l’UNICEF à Kisangani, la capitale de la province, pense que l’absence de scolarisation est l’un des facteurs qui expliquerait la présence dans les rues de 5 000 enfants abandonnés à eux-mêmes.

Les fonds existent, mais sont pas accessibles

Lannoye se bat avec le ministère de l’Education à Kinshasa pour une réforme du système éducatif. Mais il a du mal à trouver des partenaires conscients de la gravité de la situation et capables de trouver des solutions aux problèmes que rencontre la corporation.

« Ce ne sont pas des politiciens, mais des prédateurs. Une bonne partie des fonds alloués à l’éducation est détournée et les sommes restantes sont conservées dans les coffres car les fonctionnaires du ministère ne savent pas comment y accéder et l’utiliser. Des millions attendent ainsi d’être investis ».

Et les problèmes au ministère de l’Education reflètent la réalité sur le terrain.

Selon Lannoye, presque tous les responsables du ministère sont très âgés et ont en moyenne entre 60 et 70 ans. Et bien souvent, ils sont incompétents.

« Ils détiennent tous les postes et empêchent les jeunes de progresser. Les derniers recrutements effectués au ministère de l’Education remontent à plus de 10 ans. Le salaire mensuel des fonctionnaires varie entre 7 et 15 dollars, ce qui les oblige à avoir un autre emploi ».

Et comme les enseignants, les employés les plus âgés du ministère de l’Education ne peuvent pas prendre leur retraite. Mais la Banque mondiale a présenté au gouvernement de RDC un projet de financement permettant d’octroyer une indemnité de retraite de 600 dollars maximum par personne.

Les universités, le reflet des difficultés économiques et politiques de la RDC

Même si leur situation n’est pas aussi déplorable que celles des écoles, les universités sont des lieux où se traduisent les frustrations, le mécontentement et les tensions en RDC.

« Lorsque vous êtes confrontés à des difficultés économiques et politiques, cela se ressent nécessairement au niveau des institutions académiques », explique Danly Ngbonda, recteur de l’université de Kisangani et médecin de formation.

Son université a perdu plusieurs professeurs au cours des combats qui ont ravagé la ville pendant les trois dernières rébellions. Beaucoup d’entre eux se sont enfuis à Kinshasa, les plus chanceux ayant réussi à quitter le pays.

Avec M. Ngbonda, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) tente de convaincre certains membres de la diaspora de rentrer en RDC pour enseigner à Kisangani en leur promettant de prendre en charge leur transport et leur salaire.

Jusqu’à présent, seuls 4 professeurs sont rentrés, mais l’université ne dispose encore que de 65 enseignants pour plus de 5000 étudiants inscrits dans huit facultés. Les connexions Internet sont inexistantes, la fourniture d’électricité est aléatoire et les bibliothèques sont très mal équipées.

Comme tous les professeurs et enseignants en RDC, Ngbonda ne peut vivre que de son salaire. En tant que pédiatre, il a des revenus supplémentaires, ce qui n’est pas possible pour d’autres enseignants et peut favoriser la corruption.

« Je ne peux pas dire combien d’enseignants exigent des pots-de-vin aux étudiants qui veulent passer leur examen », confie Ngbonda avant de rappeler que « ce n’est malheureusement pas les plus brillants qui réussissent ; c’est souvent les plus riches ».

Et à l’école primaire de Lokanja Lina Nkoy, il y a peu de chance que les choses changent après les élections du 30 juillet.

« Le gouvernement nous avait fait beaucoup de promesses, mais très peu se sont réalisées. Pourquoi les choses changeraient-elles cette fois-ci », ajoute le directeur d’école en haussant les épaules.

Informations supplémentaires

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pdf: http://www.irinnews.org/FrenchReport.asp?ReportID=7056&SelectRegion=Gran...

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