Élections au Congo: Faire ou défaire la paix


[Nairobi/Bruxelles, 27 avril 2006] - A l’approche des premières élections libres au Congo depuis 40 ans, la menace persiste quant à la stabilité du pays, et ce pour trois raisons majeures.

Premièrement, l’un des anciens groupes rebelles, le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) est impopulaire et risque de perdre une bonne partie de son pouvoir au cours des élections. Les violences renouvelées que cela a déclenché dans l’est du pays, alors que des dissidents du RCD attaquent l’armée nationale nouvellement intégrée, vont probablement s’intensifier tant avant qu’après les élections.

Deuxièmement, le vote n’a pas été préparé convenablement. Les mesures de précaution contre la fraude restent minimales or des élections truquées pourraient rapidement déstabiliser le pays et provoquer des troubles en zone urbaine.

Troisièmement, le traditionnel parti d’opposition, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) d’Etienne Tshisekedi, va boycotter les élections afin de marquer son mécontentement face au manque de volonté des principaux partis de négocier avec lui. Il est probable que ceci provoque des troubles dans les deux provinces Kasaïennes et à Kinshasa, où Tshisekedi bénéficie d’un soutien considérable.

L’est du Congo est une véritable poudrière.

Les élections vont radicalement changer le paysage politique. Il est probable que le RCD, dont la branche militaire contrôlait autrefois plus d’un tiers du pays, passe du statut d’acteur national majeur à celui de petit parti régional. Cette probabilité est étroitement liée aux combats qui se déroulent dans l’est, où des éléments contestataires du RCD constituent une menace pour la sécurité, notamment dans les provinces du Kivu.

Dans le Nord Kivu, d’anciennes unités du RCD ont refusé d’être intégrées dans l’armée nationale. Menées par Laurent Nkunda, elles ont attaqué à plusieurs reprises des unités intégrées, entraînant le déplacement de 50 à 70000 civils dans les environs de Rutshuru.

Les dissidents étant tous des Congolais Hutus et Tutsis, les combats ont pris une dimension ethnique. Les tensions dans la province, où des conflits fonciers opposent de longue date ces communautés à d’autres groupes ethniques, s’en sont trouvées exacerbées.

À moins que des mesures ne soient prises rapidement pour mettre fin à ces revendications politiques sous-jacentes et pour arrêter les dissidents armés, la poursuite des combats est inévitable.

La fraude électorale est une éventualité considérable.

Le ministère de la Justice a échoué à promouvoir des projets de lois qui garantissent l’indépendance du pouvoir judiciaire. Les tribunaux qui devront enquêter et se prononcer sur les litiges électoraux demeurent politisés. Une proposition de loi sur le financement de la campagne électorale a également été suspendue.

D’autre part, d’anciens belligérants maintiennent des chaînes de commandement parallèles au sein des forces de sécurité chargées de protéger les élections et n’ont pas hésité à influencer ou à intimider les électeurs. À Kinshasa et Lubumbashi, ces forces ont harcelé les partis politiques et dispersé les manifestations. La police nationale est peu formée et la nouvelle armée est faible, encore mal intégrée et fortement politisée.

Il est vraisemblable que les élections soient repoussées une sixième fois, pour des raisons logistiques et législatives. Elles se tiendraient alors au-delà de la date du 30 juin 2006 fixé par le traité de paix.

La nouvelle constitution adoptée par référendum en décembre 2005 et promulguée en février 2006 stipule que les institutions transitoires resteront en place jusqu’à ce que des élections aient lieu, ce qui sous-entend qu’un nouveau report est juridiquement possible. Cependant, l’UDPS utiliserait certainement ce prétexte pour mobiliser la population afin de perturber le processus électoral et il est possible que d’autres groupes qui ne peuvent espérer que de faibles résultats électoraux, tel le RCD, fassent de même.

Le problème est politique et non juridique.

Il est important de mener le processus électoral à son terme sans délai ou avec un retard minimal nécessaire pour des raisons techniques. Les repousser trop longuement dans le seul but de faire durer les privilèges des élites politiques est inacceptable. Si les élections présidentielles et législatives devaient encore être repoussées, il serait réaliste d’envisager la date des 12 et 13 août. Des efforts doivent être faits pour maintenir un dialogue avec les mécontents, sans toutefois leur donner la possibilité de bloquer le processus électoral, tout en préservant, autant que possible, le caractère inclusif de ce processus, afin de préserver la paix après les élections.

Les élections sont un pas dans la bonne direction, mais si elles ne se déroulent pas correctement, elles pourraient entraîner des troubles accrus. Si la population et les dirigeants estiment que le changement ne peut sortir des urnes, ils pourraient recourir à la violence pour contester les résultats. Il incombe aux autorités transitoires et à la communauté internationale de garantir que ces élections, les premières élections multipartites depuis 1965, soient une étape décisive mettant fin au trop long conflit congolais.

RECOMMANDATIONS

Au gouvernement transitoire de la République démocratique du Congo:

1.  Organiser le premier tour des élections présidentielles et législatives au plus tard les 12 et 13 août 2006 et achever le cycle électoral par l’organisation d’élections locales aussitôt que possible.

2.  Fournir rapidement un plan en vue de la distribution de bulletins de votes et autre matériel électoral afin d’éviter de nouveaux reports du calendrier électoral et de garantir des élections libres et équitables.

3.  Accepter qu’un organisme indépendant aide à résoudre les litiges entre candidats durant la période électorale, comme le “comité des sages” proposé par la mission des Nations unies en République démocratique du Congo (MONUC), qui serait composé des personnalités éminentes de la région et qui agirait en étroite coordination avec la commission électorale.

4.  S’engager à effectuer un recensement peu après les élections et à redistribuer les sièges au Parlement en fonction des résultats obtenus.

5.  Ne déployer la garde présidentielle dans les villes qu’immédiatement avant une visite présidentielle et la retirer immédiatement après afin qu’elle ne puisse pas influencer de façon excessive le processus électoral, et la retirer de Kindu, Kisangani et Mbandaka, où elle a commis de nombreuses violations des droits de l’homme.

6.  Maintenir l’armée dans ses garnisons durant la période électorale, sauf dans les zones frontalières et là où les milices constituent une menace sérieuse pour la population.

7.  Fournir à la Haute autorité des médias les ressources suffisantes pour le suivi et la résolution des litiges concernant l’activité des médias pendant le processus électoral, y compris par l’ouverture de bureaux dans toutes les provinces avec un personnel suffisamment nombreux et décemment rémunéré.

8.  Donner aux tribunaux les ressources suffisantes pour le suivi et la résolution des litiges électoraux, y compris par l’envoi de plus nombreux juges dans les bureaux provinciaux de la Cour suprême.

9.  Discuter du rapport de la commission Lutundula sur les contrats passés en temps de guerre et largement rendre public les résultats de ces discussions.

10.  Encourager les partis politiques à rendre public leur mode de financement, y compris dans les médias.

11.  Faire preuve d’engagement envers la mise en œuvre de l’objectif fixé dans la nouvelle constitution d’établir une parité homme-femme dans les institutions nationales, provinciales et locales, en impliquant tous les partenaires dans le processus électoral, et en particulier les femmes, y compris par l’encouragement de toutes les parties à débattre des questions de genre et par des actions visant à assurer une représentation significative des femmes dans les corps élus.

12.  Faire face aux dissidents dans le Nord et Sud Kivu tant par des moyens pacifiques que militaires:

(a)  mettre en place une commission d’occupation des terres et renforcer le système de cadastre afin d’éviter de futurs litiges;

(b)  débattre ouvertement de la réconciliation ethnique dans l’est du pays pendant la campagne électorale; et

(c)  s’assurer que toutes les brigades de l’armée soient nourries et payées convenablement afin qu’elles ne constituent plus une menace pour la sécurité, et utiliser les brigades intégrées pour arrêter les fauteurs de troubles notoires, tel Laurent Nkunda, en coordination avec la MONUC.

Aux partis politiques participant aux élections:

13.  S’engager à faire tous les efforts possibles pour nommer dès la fin des élections des femmes à pas moins de 20 pour cent des postes au sein du gouvernement, du pouvoir judiciaire et de l’administration publique.

Aux membres du Comité international d’accompagnement de la transition (CIAT):

14.  Soutenir la création d’un corps de personnalités indépendantes et éminentes dans la région d’Afrique centrale qui puisse contribuer à résoudre les litiges entre partis durant la période électorale, selon le modèle du “comité des sages” proposé par la MONUC.

15.  Se rendre à Goma, Bukavu et Uvira pour parler avec les autorités locales des troubles croissants dans les provinces du Kivu et soutenir un mécanisme efficace de réconciliation local.

16.  Renforcer le système judiciaire en finançant l’envoi de juges supplémentaires dans les bureaux provinciaux de la Cour suprême et les doter de ressources appropriées pour traiter les litiges électoraux.

À la commission électorale et aux observateurs des groupes de la société civile congolaise et des missions étrangères:

17.  Coordonner leurs efforts afin que des observateurs soient présents dans le plus grand nombre de bureaux de vote.

Au Conseil de sécurité des Nations unies, le Secrétaire Général et la MONUC:

18.  Concevoir une stratégie cohérente pour faire face aux insurgés dans le Nord Kivu qui:

(a)  examine les revendications des communautés locales, en particulier le problème d’occupation des terres, et qui aide le gouvernement au niveau national et local à mettre sur pied une commission afin de réfléchir à des mécanismes de résolution des conflits plus efficaces;

(b)  renforce le système juridique afin de pouvoir enquêter en toute impartialité sur les abus des droits de l’homme et délimiter les propriétés foncières dans la province; et

(c)  prépare avec l’armée congolaise une opération pour arrêter Laurent Nkunda en ayant recours aux brigades intégrées et en assurant un suivi constant afin de prévenir tout abus contre des civils.

Aux bailleurs de fonds:

19.  Réfléchir à la création d’un fonds de soutien aux campagnes des candidates féminines au travers d’une formation et d’une assistance financière.

pdf: http://www.crisisgroup.org/home/index.cfm?id=4081&l=2

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