Soumis par Louise le
Ces derniĂšres semaines, des attaques terroristes en Turquie, en Ăgypte, au Liban, en France, en Irak, au Mali et en Tunisie ont fait des centaines de morts, dont des dizaines dâenfants.
Ces attaques ont toutes Ă©tĂ© revendiquĂ©es par des groupes se rĂ©clamant de lâorganisation Ătat Islamique (EI), Ă lâexception de lâattentat en Turquie, qui a nĂ©anmoins Ă©tĂ© attribuĂ© Ă lâEI par les autoritĂ©s. Depuis juin 2014, les actes terroristes perpĂ©trĂ©s par lâĂtat Islamique et ses groupes affiliĂ©s auraient causĂ© la mort de plus de 1600 personnes dans 20 pays. Ceci ne tient compte que des attentats, mais lâObservatoire Syrien des Droits de lâhomme fait quant Ă lui mention de plus de 3500 exĂ©cutions par lâĂtat Islamique, dont 77 enfants, rien quâen Syrie. LâOrganisation pour lâinterdiction des armes chimiques a Ă©galement fait Ă©tat dâutilisation de gaz moutarde par lâEI lors de combats en aoĂ»t dernier au nord de la Syrie.
Parler aux enfants
Ces Ă©vĂ©nements dramatiques affectent directement les enfants victimes ou proches des victimes, partout dans le monde. Mais ce type dâĂ©vĂ©nements peut Ă©galement ĂȘtre traumatique pour les enfants indirectement, lorsquâils sont confrontĂ©s Ă la couverture mĂ©diatique de ces Ă©vĂ©nements et aux rĂ©actions des adultes. Il est important de comprendre que les enfants sâinforment et souhaitent savoir ce quâil se passe. Cependant les informations donnĂ©es par les mĂ©dias sont en gĂ©nĂ©ral destinĂ©es aux adultes, et il est important que ces derniers soient capables de relayer ces informations et de rĂ©pondre aux questions des enfants dâune maniĂšre adaptĂ©e Ă leur Ăąge, et sans les faire culpabiliser de leurs rĂ©actions.
Les enfants musulmans peuvent en particulier penser que lâon attend une rĂ©action particuliĂšre de leur part (par exemple de sâexcuser ou de culpabiliser pour les attentats). Ils peuvent Ă©galement ĂȘtre confrontĂ©s Ă des prĂ©jugĂ©s et des amalgames. Pour contrer ces effets, un quotidien français dâactualitĂ©s pour les enfants a publiĂ© un numĂ©ro spĂ©cial en invitant ses lecteurs musulmans Ă sâexprimer sur les Ă©vĂ©nements et sur leur religion.
Plusieurs outils sont Ă la dispositions des parents et adultes pour mieux communiquer avec les enfants sur ces sujets.
-  Guide de lâombudsman norvĂ©gien pour les enfants, donnant desrĂšgles de base sur la maniĂšre de communiquer avec les enfants lors d'Ă©vĂ©nements dramatiques.
-  Conseils du groupe de presse Bayard jeunesse (Bayard, 14 novembre 2015)
-  Document réalisé par le magazine Astrapi sur les attentats de Paris
-  Numéro du P'tit Libé sur les attentats de Paris (Libération)
Utilisation des enfants par les groupes terroristes
Les groupes terroristes nâhĂ©sitent pas Ă recruter des enfants, parfois trĂšs jeunes, pour servir dans leurs rangs. Ces enfants peuvent ĂȘtre recrutĂ©s de force, kidnappĂ©s lors dâattaques sur des villages, ou attirĂ©s vers le djihadisme par un processus de radicalisation et dâendoctrinement.
Au NigĂ©ria et dans les pays avoisinants, le groupe terroriste Boko Haram, dĂ©sormais affiliĂ© Ă lâEI, multiplie les attaques contre les populations civiles. Le 18 novembre, Boko Haram a utilisĂ© deux adolescentes pour perpĂ©trer un attentat suicide sur un marchĂ©. Un garçon de 11 ans a rĂ©cemment Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© pour risque dâattentat-suicide. En Irak, 12 enfants ont Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©s aprĂšs avoir tentĂ© de sâenfuir dâun camp dâentraĂźnement de lâEI.
De nombreux pays du monde sont confrontĂ©s Ă la radicalisation de jeunes qui partent parfois combattre en Syrie aux cĂŽtĂ©s de lâĂtat Islamique aprĂšs avoir Ă©tĂ© recrutĂ©s, souvent par le biais des rĂ©seaux sociaux.
En France, le journal le Figaro a rapportĂ© que 16% des 11 400 personnes listĂ©es sur le Fichier des signalĂ©s pour la prĂ©vention et la radicalisation Ă caractĂšre terroriste (FSPRT) seraient des mineurs. Le profil de ces jeunes sâest diversifiĂ©Â ces deux derniĂšres annĂ©es. Ce chiffre, sâil est avĂ©rĂ©, rĂ©vĂšle une tendance inquiĂ©tante, et interroge sur lâinsuffisance de moyens allouĂ©s Ă la prĂ©vention de la radicalisation des mineurs. Selon un rapport, au 2 juillet 2015, 10 mineurs français se trouveraient en Syrie, et quatre y seraient dĂ©cĂ©dĂ©s.
Ces mineurs, sâils dĂ©sirent rentrer dans leur pays dâorigine, peuvent en ĂȘtre dissuadĂ©s par le risque de faire face Ă des poursuites, Ă de lourdes peines dâemprisonnement, voire Ă la peine de mort ou Ă la torture dans certains pays. Le Protocole facultatif Ă la Convention relative aux Droits de lâEnfant (CDE) sur lâimplication des enfants dans les conflits armĂ©s oblige les Ătats à « accorder Ă ces personnes toute l'assistance appropriĂ©e en vue de leur rĂ©adaptation physique et psychologique et de leur rĂ©insertion sociale. » Les Principes de Parisde 2007, bien que non contraignants, dĂ©clarent que les enfants-soldats « ne doivent jamais ĂȘtre arrĂȘtĂ©s, poursuivis ou sanctionnĂ©s ou menacĂ©s de poursuites ou de sanction ». On observe cependant une tendance des Ătats Ă se dĂ©tacher de ces obligations et principes dĂšs lors quâil sâagit de lutte contre le terrorisme. Le parquet de Paris par exemple, en demandant le renvoi de deux adolescents, revenus dâeux-mĂȘmes de Syrie, devant le tribunal pour enfants pour « participation Ă un groupement terroriste », avait par exemple écartĂ© les Principes des Paris. Il avait dĂ©clarĂ© quâ« un terroriste ne saurait se prĂ©valoir de la qualitĂ© de combattant au sens du droit international », mais en se rĂ©fĂ©rant Ă un prĂ©cĂ©dent qui concernait un adulte, et non pas un mineur.
Mesures anti-terroristes au niveau national
Les actes terroristes et les mesures anti-terroristes mises en place ont des rĂ©percussions non seulement sur la vie quotidienne des enfants, mais aussi sur la protection de leurs droits et libertĂ©s. Si des mesures dâexception peuvent ĂȘtre justifiĂ©es pour prĂ©venir les actes terroristes, poursuivre les coupables et repĂ©rer les radicalisations, elles nĂ©cessitent une vigilance accrue car elles peuvent mener Ă des abus des autoritĂ©s et des forces de lâordre. Les lĂ©gislations nationales doivent encadrer ces Ă©tats dâexception, dans le respect de leurs obligations internationales, et des moyens de recours doivent ĂȘtre accessibles Ă tous en cas dâutilisations abusives de ces mesures exceptionnelles.
Ătats dâurgence
Ă la suite dâattaques terroristes sur leur sol, de nombreux pays ont dĂ©clarĂ© lâĂ©tat dâurgence sur tout ou partie de leur territoire. Si cet Ă©tat dâexception a Ă©tĂ© levĂ© aprĂšs quelques jours au Mali, il a Ă©tĂ© prolongĂ© pour plusieurs mois par les Parlements du Tchad et de la France. LâĂ©tat dâurgence permet Ă un Ătat dâappliquer des mesures exceptionnelles telles que des perquisitions administratives (câest-Ă -dire sans le contrĂŽle dâun magistrat), dâĂ©tablir des couvre-feux, dâordonner des assignations Ă rĂ©sidence, voire de contrĂŽler la presse et les mĂ©dias (cette derniĂšre possibilitĂ© a Ă©tĂ© supprimĂ©e par la France dans la loi prolongeant lâĂ©tat dâurgence). Ces dispositions peuvent permettre des limitations contestables Ă la libertĂ© de manifester ou Ă la libertĂ© de mouvement des individus.
En France, lâinterdiction de manifester a Ă©tĂ© critiquĂ©e, et certaines assignations Ă rĂ©sidence ont visĂ© des personnes sans lien avec le terrorisme, par exemple des militants Ă©cologistes. Peu dâinformations sont disponibles sur la maniĂšre dont ces mesures extraordinaires affectent les mineurs. On sait nĂ©anmoins que de nombreux enfants ont Ă©tĂ© tĂ©moins de perquisitions musclĂ©es Ă leur domicile, et quâune enfant a Ă©tĂ© blessĂ©e lors de lâune dâelles. Par ailleurs, une semaine aprĂšs une opĂ©ration de police massive Ă Saint-Denis prĂšs de Paris, des familles nâavaient toujours pas Ă©tĂ© relogĂ©es et Ă©taient hĂ©bergĂ©es dans un gymnase. Des parents dâĂ©lĂšves ont fait Ă©tat du stress subi par les enfants tĂ©moins de lâassaut des forces de lâordre contre des terroristes retranchĂ©s dans un appartement.
Mesures de surveillance
Comme Ă©voquĂ© plus haut, en France plus de 1800 mineurs seraient listĂ©s sur le Fichier des signalĂ©s pour la prĂ©vention et la radicalisation Ă caractĂšre terroriste, classĂ© secret dĂ©fense. La modification de ce fichier en mars 2015 avait fait lâobjet dâun « avis favorable avec rĂ©serve » de la Commission Nationale Informatique et LibertĂ©s (CNIL), sans que lâon sache ni si la rĂ©serve Ă©tait importante au regard du respect de la vie privĂ©e des citoyens fichĂ©s, ni si elle a Ă©tĂ© prise en compte par le gouvernement, puisque lâavis nâa pas Ă©tĂ© publiĂ© dans son intĂ©gralitĂ©.
Mais la surveillance peut Ă©galement concerner des mineurs non fichĂ©s, dans le contexte de leur quotidien Ă lâĂ©cole. Au lendemain des attentats, une autoritĂ© locale en France a demandĂ© aux chefs dâĂ©tablissements de rapporter des faits « pouvant porter atteinte aux valeurs de la RĂ©publique ». Cela incluait entre autres les « parents portant atteinte » au principe de laĂŻcitĂ©, Ă travers, notamment, des « tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ». Bien que le directeur du service concernĂ© ait tentĂ© de rectifier ce passage en assurant que « les tenues concernent naturellement les Ă©lĂšves et non les parents. Câest une erreur que nous allons rectifier », cette requĂȘte tĂ©moigne, pour un syndicat dâenseignants, du « climat gĂ©nĂ©ral de frĂ©nĂ©sie et dâamalgames autour dâune population prĂ©tendument Ă risques ».
En Grande-Bretagne, un groupe dâimams, soutenu par des professeurs, des syndicats Ă©tudiants et des organisations locales a dĂ©noncĂ© les mesures adoptĂ©es dans le cadre du programme anti-radicalisation « Prevent » et de la loi contre le terrorisme, qui prendraient pour cible au sein des Ă©coles des « pratiques religieuses normales ». Selon ces groupes, ces mesures reviennent Ă Â espionner les jeunes et conduisent Ă plus de divisions et Ă une rupture de confiance dans les Ă©coles.
Apologie du terrorisme
Comme Ă la suite des attentats contre Charlie Hebdo en janvier dernier, des poursuites pour « apologie du terrorisme » ont Ă©tĂ© conduites depuis le 13 novembre en France, y compris contre des mineurs. MĂȘme si lâon ne peut pas encore dĂ©terminer si elles se sont autant multipliĂ©es quâen janvier, on peut nĂ©anmoins rappeler quâAmnesty International sâĂ©tait alors inquiĂ©tĂ©Â de la dĂ©finition vague de cette infraction.
LibertĂ© dâexpression
Lâorganisation Article 19, qui Ćuvre pour la libertĂ© dâexpression, rappelle que « la sĂ©curitĂ© nationale est depuis longtemps, avec la diffamation, lâun des outils juridiques privilĂ©giĂ©s grĂące auxquels les gouvernements du monde entier, y compris dans les pays dĂ©mocratiques, suppriment illĂ©galement le libre flux des informations et des idĂ©es. Souvent les restrictions dictĂ©es par la sĂ©curitĂ© nationale sont vagues et rĂ©pondent Ă des dĂ©clarations qui ne posent quâun risque hypothĂ©tique. Cela en fait des instruments abusifs idĂ©aux pour prĂ©venir la diffusion dâidĂ©es impopulaires et de critiques du gouvernement. »
Bien que dans le cas de la France, la loi prorogeant lâĂ©tat dâurgence pour trois mois supprime les dispositions permettant le contrĂŽle des mĂ©dias, des inquiĂ©tudes persistent. Dans dâautres pays, comme les Maldives (qui a dĂ©clarĂ© lâĂ©tat dâurgence dĂ©but novembre en raison de tensions politiques et de tentatives dâattentats), le contrĂŽle de la presse sous couvert de sĂ©curitĂ© nationale est une rĂ©alitĂ©.
Politiques migratoires
En rĂ©ponse aux rĂ©centes attaques, des Ătats ont annoncĂ© des contrĂŽles accrus des frontiĂšres. Plusieurs Ă©tats des Ătats-Unis ont annoncĂ© quâils nâaccepteraient pas de rĂ©fugiĂ©s syriens, et la Chambre des reprĂ©sentants a adoptĂ©Â un projet de loi contestĂ© visant Ă suspendre lâaccueil des rĂ©fugiĂ©s syriens et irakiens, alors que le gouvernement sây Ă©tait engagĂ©Â en septembre dernier. Le PrĂ©sident Obama a dĂ©clarĂ© quâil opposerait son veto si le projet passait au SĂ©nat. La France a rĂ©tabli le contrĂŽle aux frontiĂšres du territoire mĂ©tropolitain, et le Premier ministre a appelĂ© lâUnion europĂ©enne à fermer la porte aux migrants, lors dâun rencontre informelle avec des journalistes. LâONU a appelĂ© les Ătats Ă ne pas fermer leurs portes aux rĂ©fugiĂ©s, et a dĂ©noncĂ© la diabolisation des rĂ©fugiĂ©s.
RessourcesÂ
France
- LĂ©galitĂ© de crise et Ă©tat dâurgence en France (Revue gĂ©nĂ©rale du droit, 15 novembre 2015)
- Veille sur les abus de lâĂ©tat dâurgence : Quadrature du net, Blog du Monde
Droit international
- LâObservation gĂ©nĂ©rale no 29 du ComitĂ© des droits de lâhomme de lâONU (2001) relative Ă lâarticle 4 (DĂ©rogations en pĂ©riode dâĂ©tat dâurgence) dĂ©taille les droits  du Pacte international sur les droits civils et politiques  qui peuvent ĂȘtre limitĂ©s - et dans quelle mesure - dans le cadre dâun Ă©tat dâurgence, ainsi que les droits auxquels il ne peut pas ĂȘtre dĂ©rogĂ©.
- Les Principes de Johannesbourg sur la SĂ©curitĂ© nationale, la libertĂ© dâexpression et lâaccĂšs Ă lâinformation, (Ă©laborĂ©s par un groupe dâexperts le 1er octobre 1995).
Mesures anti-terroristes au niveau international
Les frappes internationales, menĂ©es notamment par la Russie et la France se poursuivent en Syrie, et se sont intensifiĂ©es depuis les attentats en Egypte et en France. Lâintensification des frappes Ă proximitĂ© de populations civiles est problĂ©matique et pourrait mĂȘme faire le jeu de lâEI. Les frappes font des victimes civiles, notamment des enfants, sans quâil soit toujours possible de dĂ©terminer le nombre de victimes ou lâorigine des frappes, pour diffĂ©rentes raisons.
Dâabord, les Ătats font preuve dâun manque de transparence sur les victimes civiles. Le 20 novembre, l'armĂ©e amĂ©ricaine a reconnu qu'un bombardement en Irak en mars dernier avait « probablement provoquĂ© la mort » de quatre civils dont un enfant. Depuis le dĂ©but de la campagne des Ătats-Unis contre lâEI en aoĂ»t 2014, ce nâest que la deuxiĂšme fois que lâarmĂ©e amĂ©ricaine reconnaĂźt sa responsabilitĂ© dans la mort de civils. Des accusations de dissimulations de victimes civiles par lâarmĂ©e amĂ©ricaine ont Ă©galement Ă©mergĂ©. Ensuite, les forces russes et syriennes mĂšnent parfois des attaques conjointes contre lâEI, comme le 20 novembre dernier, lors de frappes qui auraient causĂ© la mort de 10 enfants. Par ailleurs, des images de victimes civiles sont couramment dĂ©tournĂ©es. Cela a notamment Ă©tĂ© le cas aprĂšs lâintensification des frappes françaises à la mi-novembre, alors que pour lâinstant il nây a en fait pas de rapports de victimes civiles confirmĂ©es causĂ©es par les frappes françaises depuis cette intensification. Enfin, des enfants peuvent ĂȘtre prĂ©sents dans des infrastructures tenues par lâEI, et donc considĂ©rĂ©es comme des cibles lĂ©gitimes. Le 8 dĂ©cembre, un enfant a Ă©tĂ© ainsi tuĂ© dans la rĂ©gion de Raqqa, et lors des premiĂšres frappes françaises en Syrie en septembre dernier, 12 enfants soldats avaient Ă©tĂ© tuĂ©s.
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