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Summary: La police française utilise certains pouvoirs trop Ă©tendus dont elle est investie pour procĂ©der Ă des contrĂŽles dâidentitĂ© abusifs et non justifiĂ©s visant des garçons et de jeunes hommes noirs et arabes, a dĂ©clarĂ© Human Rights Watch dans un rapport publiĂ© aujourdâhui.
[Le 26 janvier 2012] - Le rapport de 62 pages, intitulé «La base de lâhumiliation : Les contrĂŽles dâidentitĂ© abusifs en France», rĂ©vĂšle que les jeunes issus des minoritĂ©s, dont des enfants nâayant pas plus de 13 ans, font frĂ©quemment lâobjet de contrĂŽles comprenant des interrogatoires prolongĂ©s, des palpations portant atteinte Ă leur intimitĂ©, ainsi que des fouilles dâobjets personnels. Human Rights Watch a constatĂ© que ces contrĂŽles arbitraires peuvent avoir lieu mĂȘme en lâabsence dâun signe quelconque dâinfraction. Les propos insultants, voire racistes, ne sont pas rares, et certains contrĂŽles donnent lieu Ă un usage excessif de la force par la police. «Il est choquant que des jeunes noirs et arabes puissent ĂȘtre, et soient, obligĂ©s de se mettre contre un mur et soient malmenĂ©s par la police en lâabsence de rĂ©elles preuves dâinfraction», a soulignĂ© Judith Sunderland, chercheuse senior sur lâEurope occidentale Ă Human Rights Watch. «Mais en France, si vous ĂȘtes jeune et que vous vivez dans certains quartiers, cela fait partie de la vie.» Le rapport se fonde sur des dizaines dâentretiens rĂ©alisĂ©s avec des citoyens français appartenant Ă des groupes minoritaires, dont 31 enfants, Ă Paris, Lyon et Lille. La loi française confĂšre Ă la police de vastes pouvoirs pour effectuer des contrĂŽles dâidentitĂ© mĂȘme en lâabsence de soupçons dâacte dĂ©lictueux, entre autres dans des centres de transport et dans tout lieu dĂ©signĂ© par un procureur. CescontrĂŽles ne sont pas systĂ©matiquement consignĂ©s dans un rapport de police, et les personnes contrĂŽlĂ©es ne se voient remettre aucun document Ă©crit expliquant ou rendant compte de la procĂ©dure. La plupart des personnes interrogĂ©es par Human Rights Watch nâavaient jamais Ă©tĂ© informĂ©es des motifs des nombreux contrĂŽles quâelles avaient subis. En raison du manque de donnĂ©es enregistrĂ©es, il est difficile dâĂ©valuer lâefficacitĂ© ou la lĂ©galitĂ© des contrĂŽles, a affirmĂ© Human Rights Watch. Les tĂ©moignages publiĂ©s dans le rapport viennent sâajouter aux preuves statistiques et autres rĂ©cits qui indiquent que la police française a recours au profilage ethniqueâcâest-Ă -dire quâelle prend la dĂ©cision dâopĂ©rer des contrĂŽles en se fondant sur lâapparence, entre autres la race et lâappartenance ethnique, plutĂŽt que sur le comportement rĂ©el des personnes ou sur des soupçons raisonnables dâinfraction. Farid A., un jeune de 16 ans habitant Sainte-GeneviĂšve-des-Bois, en rĂ©gion parisienne, a expliquĂ© que lui et cinq amis avaient Ă©tĂ© contrĂŽlĂ©s Ă trois reprises prĂšs de la Tour Eiffel. «On sort du mĂ©tro, contrĂŽle. On marche 200mĂštres, autre contrĂŽle. On marche 200 mĂštres, et autre contrĂŽle. Il y avait tout le monde, mais ils ont contrĂŽlĂ© que nous.» Une Ă©tude publiĂ©e en 2009 par lâOpen Society Justice Initiative et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a Ă©tabli quâen France, comparativement aux Blancs, les probabilitĂ©s de contrĂŽle Ă©taient six fois plus Ă©levĂ©es pour les Noirs, et prĂšs de huit fois plus Ă©levĂ©es pour les Arabes. Bon nombre de personnes interrogĂ©es par Human Rights Watch Ă©taient convaincues que leur ethnicitĂ©, conjuguĂ©e Ă une tenue vestimentaire associĂ©e aux banlieues, jouait un rĂŽle important. «ContrĂŽler les gens Ă cause de leur couleur de peau revient Ă gaspiller les ressources de la police et engendre du ressentiment Ă lâĂ©gard des policiers», a fait remarquer Judith Sunderland. «Les opĂ©rations de police devraient sâappuyer sur des preuves et des renseignements, pas sur des stĂ©rĂ©otypes.» Lors des contrĂŽles, les jeunes issus des minoritĂ©s doivent souvent subir des palpations humiliantes et une fouille de leurs objets personnels. Les palpations peuvent porter atteinte Ă leur intimitĂ© â SaĂŻd, un jeune homme de 25 ans de Lyon, nous a confiĂ©, «Ils nous touchent de plus en plus les parties intimes» â et bon nombre de jeunes interrogĂ©s sâen sont plaints. Les membres des forces de lâordre justifient les palpations en les prĂ©sentant comme une mesure de sĂ©curitĂ© nĂ©cessaire, mais leur utilisation, pourtant systĂ©matique, nâest pas clairement rĂ©glementĂ©e par la loi française. Human Rights Watcha Ă©galement recueillides tĂ©moignages inquiĂ©tants de violence lors de contrĂŽles dâidentitĂ©. Des personnes ont notamment dĂ©clarĂ© avoir Ă©tĂ© giflĂ©es, frappĂ©es Ă coups de pied ou visĂ©es par une arme Ă dĂ©charge Ă©lectrique. IsmaĂ«l Y., un jeune de 17 ans habitant en banlieue sud de Paris, a Ă©tĂ© contrĂŽlĂ© par la police en compagnie dâun groupe dâamis devant la gare de banlieue de Sainte-GeneviĂšve-des-Bois dĂ©but 2011. «Lorsquâon Ă©tait avec les mains contre le mur, je me suis tournĂ© vers lui [le policier qui le fouillait] et il mâa frappĂ© la tĂȘte. Jâai dit quelque chose comme âpourquoi vous me frappezâ, et il mâa dit âferme ta gueule, tu veux un coup de gazeuse [lacrymogĂšne] ou quoi?â» Le refus dâobtempĂ©rer lors dâun contrĂŽle dâidentitĂ©, ainsi que le fait de poser trop de questions ou de protester contre la maniĂšre dâĂȘtre traitĂ© peuvent dĂ©boucher sur des plaintes administratives ou pĂ©nales telles quâ «outrage Ă agent». Cela ajoute une dimension coercitive aux contrĂŽles dâidentitĂ© et dissuade les gens de faire valoir leurs droits, a expliquĂ© Human Rights Watch. Yassine, un jeune de 19 ans de Lille, a dĂ©clarĂ© que lors dâun contrĂŽle dâidentitĂ©, des policiers lui avaient assĂ©nĂ© des coups de pied aprĂšs quâil leur avait prouvĂ© oĂč il avait passĂ© la soirĂ©e. Il avait ensuite passĂ© 15 heures en garde Ă vue pour outrage Ă agent avant que les charges ne soient abandonnĂ©es et quâil soit libĂ©rĂ©. Les contrĂŽles dâidentitĂ© abusifs ont un impact profondĂ©ment nĂ©gatif sur les relations entre la police et les communautĂ©s, a soulignĂ© Human Rights Watch. La colĂšre refoulĂ©e face aux abus de la police, entre autres face aux contrĂŽles dâidentitĂ© musclĂ©s, a jouĂ© un rĂŽle significatif dans les Ă©meutes dont la France a Ă©tĂ© le thĂ©Ăątre en 2005, et semble ĂȘtre Ă la base dâinnombrables conflits de moindre intensitĂ© entre la police et les jeunes des zones urbaines dĂ©favorisĂ©es partout dans le pays. Human Rights Watcha fait remarquer que les expĂ©riences de contrĂŽles rĂ©pĂ©tĂ©s tout au long dâune journĂ©e ou le fait dâĂȘtre choisi pour un contrĂŽle au milieu dâune foule dâautres personnes renforcent le sentiment quâont les jeunes issus des minoritĂ©s dâĂȘtre pris pour cible. Le comportement irrespectueux de la police, entre autres lâusage habituel du tutoiement et dâinsultes, accentue ce ressentiment. Certaines personnes interrogĂ©es en vue du rapport ont dĂ©clarĂ© avoir Ă©tĂ© traitĂ©es de «sale bougnoule» ou de «bĂątard dâArabe». Un jeune de 19 ans habitant Lille a signalĂ© quâil avait Ă©tĂ© traitĂ© de «sale bougnoule» tant de fois que «ça nous choque plus, câest normal».Un garçon de 13 ans dâĂvry, en rĂ©gion parisienne, a confiĂ© quâun policier lâvait traitĂ© de «sale nĂ©gro». Le droit international et le droit français interdisent la discrimination, lâingĂ©rence injustifiĂ©e dans lâexercice du droit Ă la vie privĂ©e, ainsi que les violations de la dignitĂ© et du droit Ă lâintĂ©gritĂ© physique. Les normes nationales et internationales exigent Ă©galement que la police traite les gens avec respect. Human Rights Watch a appelĂ© le gouvernement français Ă reconnaĂźtre les problĂšmes posĂ©s par les pouvoirs confĂ©rĂ©s Ă la police pour les contrĂŽles dâidentitĂ©, et Ă adopter les rĂ©formes juridiques et politiques nĂ©cessaires pour prĂ©venir le profilage ethnique et les mauvais traitements lors des contrĂŽles. Tous les contrĂŽles dâidentitĂ© et palpations devraient ĂȘtre fondĂ©s sur des soupçons raisonnables et individualisĂ©s. Toute personne contrĂŽlĂ©e devrait se voir remettre une preuve Ă©crite de lâinterpellation, reprenant des informations pertinentes telles que ses donnĂ©es personnelles, les noms des agents ayant procĂ©dĂ© au contrĂŽle, ainsi que la base juridique de celui-ci. La police devrait Ă©galement consigner tous les contrĂŽles dans un registre interne, et le gouvernement devrait publier rĂ©guliĂšrement des donnĂ©es ventilĂ©es Ă ce sujet. Toute discrimination de la part de membres des forces de lâordre devrait ĂȘtre explicitement interdite. «Franchement, les relations entre la police et les minoritĂ©s sont dĂ©plorables en France, et tout le monde le sait», a conclu Judith Sunderland. «Lâadoption de mesures concrĂštes visant Ă prĂ©venir les contrĂŽles dâidentitĂ© abusifs â lâune des principales sources de tension â constituerait un vĂ©ritable pas en avant et apporterait un rĂ©el changement dans la vie quotidienne des gens.» TĂ©moignages tirĂ©s du rapport : Ouamar C., 13 ans, Paris : « JâĂ©tais avec mes amis assis dans un coin... et ils sont venus nous contrĂŽler. Je nâai pas parlĂ© car si tu parles, tu es embarquĂ©. Ils ont ouvert ma sacoche. Ils ont aussi cherchĂ© sur mon corps. Ăa se passe comme ça chaque fois. Ils nâont rien trouvĂ© sur moi. Câest la premiĂšre fois que ça se passe devant lâĂ©cole. Ils disent «Mettez-vous contre le mur», ils fouillent, Ă la fin ils disent merci et ils sâen vont... Ăa fait peur au dĂ©but quand on me contrĂŽle. Maintenant je commence Ă mâhabituer. » Haroun A., 14 ans, Bobigny : « JâĂ©tais dans le centre commercial avec des copains en train de sâamuser. Ils [les policiers] viennent avec leurs armes et ils nous braquent. Il y avait trois policiers. Ils nous ont dit âcontrĂŽle dâidentitĂ©â. Deux avaient dans les mains les flash-balls [armes qui utilisent des balles de caoutchouc]. JâĂ©tais avec cinq ou six amis. On ne faisait rien. Tout le temps ils nous contrĂŽlent comme ça. Quand on est en groupe tout de suite ils nous contrĂŽlent. Ils ont demandĂ© si on avait des trucs. Ils nous mettent contre un mur, ils nous fouillent mĂȘme dans les chaussettes et les chaussures. Ils nâont rien trouvĂ©. Les papiers ils demandent, mais pas tout le temps. » Halim B., 17 ans, Lille : « Le bus sâarrĂȘte et la police monte. JâĂ©tais assis au fond. CâĂ©tait Ă 7h20 du matin. Le bus Ă©tait rempli... Ils ont dĂ©signĂ© un mec et lui ont dit, «tu te lĂšves et tu descends avec nous». Je regardais, je croyais que câĂ©tait un criminel, et ils mâont dĂ©signĂ© aussi pour descendre. Trois personnes sont descendues, et il y avait deux Arabes sur trois. Le bus Ă©tait rempli, il y avait plein de monde debout. Il y avait plus de Français [Blancs] dans le bus (...) Les contrĂŽles, ils [les policiers] ont le droit de les faire autant de fois quâils veulent mais franchement, jâĂ©tais gĂȘnĂ©. Je me suis senti comme si jâĂ©tais un cambrioleur, un dĂ©linquant poursuivi. Jâavais peur quand ils mâont dĂ©signĂ© pour descendre. Je me demandais ce que jâavais fait. Quand je suis descendu [du bus], ils ont dit âcontrĂŽle, est-ce que vous avez rien dâillicite sur vous, videz vos pochesâ. Ils ont fouillĂ© mon sac, puis je suis parti. Je suis arrivĂ© un peu en retard Ă lâĂ©cole. Franchement, jâĂ©tais pas mal habillĂ© ou quoi, jâallais Ă lâĂ©cole. »