ÉDITORIAL : Les droits de l'enfant et la prescription abusive de mĂ©dicaments

[15 novembre 2012]

Si l’on nous demandait de rĂ©flĂ©chir Ă  la question de l’utilisation de la drogue chez les enfants, la plupart d’entre nous penserait probablement Ă  son utilisation illĂ©gale. Le problĂšme des enfants mis inutilement sous traitement mĂ©dicamenteux, par des personnes de confiance, ne nous vient pas aussi facilement Ă  l’esprit : il est pourtant tout aussi inquiĂ©tant. Ce problĂšme attire de plus en plus l’attention des mĂ©dias depuis quelques annĂ©es, en particulier dans le cas du traitement des difficultĂ©s comportementales, telles que le Trouble du DĂ©ficit de l’Attention avec HyperactivitĂ© (TDA/H).

Le droit des enfants Ă  jouir des normes de santĂ© les plus Ă©levĂ©es qui soient, comme le stipule la Convention relative aux droits de l’enfant, n’inclut pas seulement l’accĂšs aux soins mĂ©dicaux, mais Ă©galement au type d’assistance adĂ©quate, qu’elle soit mĂ©dicale, psychologique ou autre. Cependant, dans le cas du traitement prescrit aux enfants diagnostiquĂ©s avec le TDA/H, les interventions ayant eu lieu jusqu’à ce jour trĂšs controversĂ©es.

Les enfants et adolescents, voire mĂȘme les nourrissons diagnostiquĂ©s avec le TDA/H ou d’autres difficultĂ©s comportementales, se voient systĂ©matiquement prescrits des mĂ©dicaments puissants, parfois associĂ©s Ă  d’autres, souvent inutilement, et Ă  un Ăąge toujours plus prĂ©coce. Il est triste de constater que le fait de trouver des moyens de moins en moins chers et de plus en plus faciles pour garder les enfants « sous contrĂŽle » prime bien trop souvent sur la rĂ©flexion quant aux effets Ă  longs et courts termes d’un tel type de traitement. Cette semaine, CRIN examine plus en dĂ©tail cette situation.

Quel semble ĂȘtre le problĂšme ?

Pendant plus de 60 ans, le chlorhydrate de mĂ©thylphĂ©nidate, ou Ritalin sous sa dĂ©nomination commerciale, qui a le mĂȘme profil pharmaceutique que la cocaĂŻne (bien qu’une Ă©tude ait montrĂ© qu’il a un effet plus puissant sur le cerveau), a Ă©tĂ© utilisĂ© dans le but de calmer les enfants hyperactifs. Mais depuis plus de dix ans, les professionnels de la santĂ© remettent en question la sĂ»retĂ© et la nĂ©cessitĂ© du Ritalin et d’autres substances du mĂȘme genre, telles que l’Adderall ou le Concerta, lorsqu’elles sont administrĂ©es Ă  des enfants diagnostiquĂ©s TDA/H.

On estime que le TDA/H touche entre 3 et 10% des enfants en Ăąge d’ĂȘtre scolarisĂ©s, les chiffres variant d’un pays Ă  l’autre. Ceux touchĂ©s ont des difficultĂ©s d’attention, ce qui les amĂšne souvent Ă  l’échec scolaire. D’autres symptĂŽmes tels que l’agitation, l’impulsivitĂ©, et un comportement perturbateur peuvent mĂȘme les amener Ă  ĂȘtre exclus temporairement voire expulsĂ©s. Le TDA/H peut aussi rendre les personnes agressives,  ce qui, dans le cas des enfants, pose des problĂšmes en classe et Ă  la maison, et peut aussi ĂȘtre un obstacle Ă  la crĂ©ation de liens d’amitiĂ©.

Dans certains cas, des parents ont dĂ©clarĂ© que le Ritalin avait eu un effet trĂšs positif sur leurs enfants, amĂ©liorant leur comportement tant Ă  l’école qu’à la maison. Cependant, d’autres parents l’accusent d’avoir empirĂ© la maladie, ayant transformĂ© leurs enfants en « zombies », et de les avoir rendus toxicomanes. Certains parents ont mĂȘme signalĂ© de terribles symptĂŽmes de sevrage. Dans d’autres cas, les mĂ©dicaments prescrits pour le traitement du TDA/H ont entraĂźnĂ© une psychose temporaire, de la dĂ©pression et des pensĂ©es suicidaires. C’est peut-ĂȘtre la raison pour laquelle les ordonnances de Ritalin sont accompagnĂ©es d’antidĂ©presseurs. Une Ă©tude a Ă©galement dĂ©montrĂ© que les enfants sous Ritalin souffrent d’une croissance ralentie.

Il semblerait Ă©galement que l’utilisation des mĂ©dicaments dans le traitement du TDA/H ait Ă©tĂ© une cause de dĂ©cĂšs chez un certain nombre de personnes. En 2006, des experts amĂ©ricains recommandĂšrent que les boĂźtes de Ritalin affichent le plus haut niveau d’avertissement qui soit, avisant des risques possibles de crises cardiaques, suite Ă  la mort de 51 enfants et adultes aux Etats-Unis depuis 1999. L’Agence de rĂ©glementation des mĂ©dicaments et des produits de santĂ© du Royaume-Uni (la MHRA) a dĂ©clarĂ© que « le mĂ©thyphĂ©nidate est responsable d’effets cardiovasculaires nocifs », tels que des palpitations ou des battements de cƓur anormaux ainsi qu’une augmentation de la tension. En 2006, la MHRA a Ă©galement rapportĂ© que neuf enfants faisant partie d’un petit groupe sous traitement avaient trouvĂ© la mort. Parmi eux, deux dĂ©cĂ©dĂšrent suite Ă  des hĂ©morragies et ƓdĂšmes cĂ©rĂ©braux, deux autres suite Ă  des problĂšmes cardiaques, et deux autres se suicidĂšrent.

 

Une augmentation inquiétante

MalgrĂ© ces inquiĂ©tudes, des associations de professionnels ont signalĂ© une augmentation considĂ©rable du nombre d’enfants atteints de troubles du comportement mis sous mĂ©dication puissante, souvent associĂ©e Ă  des antidĂ©presseurs. Cependant, les effets Ă  long terme que ces cocktails de mĂ©dicaments auront sur ces enfants dont le cerveau est encore en dĂ©veloppement restent incertains. Ce problĂšme met en Ă©vidence le besoin de contrĂŽler l’excĂšs de diagnostics de la maladie.

Les opposants au diagnostic du TDA/H dĂ©clarent que certains mĂ©decins du Royaume-Uni distribuent les pilules comme des « Smarties ». Les ordonnances de mĂ©dicaments dans le traitement du TDA/H en Angleterre ont presque doublĂ© entre 1998 et 2004. En 2010, elles avaient presque Ă©tĂ© multipliĂ©es par 4, passant de 158 000 en 1999 Ă  661 463 en 2010, selon les chiffres publiĂ©s par la Commission du service d’affaires du Service national de la santĂ© (NHS). En 2009, 30% des enfants en Uruguay prenaient du mĂ©thylphĂ©nidate d’aprĂšs le ministĂšre de la santĂ© publique, ce qui amena un tribunal Ă  imposer au gouvernement de resserrer les contrĂŽles sur son importation et son approvisionnement.

Mais l’inquiĂ©tude n’est pas seulement due Ă  l’augmentation du nombre d’enfants Ă  qui l’on prescrit ces mĂ©dicaments, mais Ă©galement Ă  l’ñge de plus en plus prĂ©coce des enfants mis sous traitement, certains ayant Ă  peine 18 mois. L’association des psychopĂ©dagogues au Royaume-Uni a dĂ©clarĂ© ĂȘtre persuadĂ©e que les recommandations Ă©tablies par l’Institut national de la santĂ© et de l’excellence clinique ne sont pas respectĂ©es. Ces derniĂšres stipulent que les enfants n’étant pas encore en Ăąge d’ĂȘtre scolarisĂ©s ne devraient pas se voir prescrits de mĂ©dicaments pour le TDA/H.

 

Établir le bon diagnostic

Avant la prescription des mĂ©dicaments Ă  l’enfant, vient le diagnostic. L’excĂšs problĂ©matique de diagnostics est considĂ©rable. Par exemple, l’Institut national de la santĂ© mentale affirme qu’il y a plus d’adultes aux Etats-Unis sous antidĂ©presseurs tels que le Prozac et le Zoloft que de personnes vraiment dĂ©primĂ©es. Une telle inquiĂ©tude peut s’appliquer aux enfants chez qui le diagnostic du TDA/H est Ă©tabli, et qui sont donc mis sous traitement.

D’autres craignent que l’utilisation des mĂ©dicaments afin de traiter les enfants prĂ©sentant des symptĂŽmes du TDA/H risque de masquer d’autres causes de trouble du comportement, souvent Ă©motionnelles. Les psychiatres, par exemple, ont mis en Ă©vidence le fait que les crises de colĂšre peuvent ĂȘtre trompeuses et prises pour des troubles bien plus sĂ©rieux. Certains mĂ©decins, comme le Docteur Gwynedd Lloyd de l’universitĂ© d’Edimbourg, ne reconnaissent pas le TDA/H comme Ă©tant une maladie, car le TDA/H est diagnostiquĂ© par l’intermĂ©diaire d’une liste de contrĂŽle comportemental, et non pas par l’intermĂ©diaire de procĂ©dures mĂ©dicales, telles qu’une analyse sanguine. Elle explique que lorsque des enfants prĂ©sentent des troubles du comportement, « certains d’entre eux sont bien entendu biologiques, mais la plupart sont d’ordre social et culturel ».

 

Les enfants, nouveau marché cible

En 2006, les mĂ©decins amĂ©ricains ont prescrit trois millions d’ordonnances par mois pour le TDA/H. Un million pour les adultes et deux millions pour les enfants. En 2010, les ventes de Ritalin avaient augmentĂ© de 83%. Aujourd’hui, quatre millions d’enfants sont sous Ritalin. En effet, dans certains endroits, l’utilisation de mĂ©dicaments chez les enfants a augmentĂ© davantage que dans n’importe quel autre groupe d’ñge ces derniĂšres annĂ©es et certains communiquĂ©s dĂ©signent ceux-ci comme « la nouvelle frontiĂšre pour les ventes ». En effet, les entreprises pharmaceutiques prĂȘtent attention au fait que les enfants sont davantage diagnostiquĂ©s comme atteints de TDA/H que les adultes. 

A l’origine, le Ritalin Ă©tait utilisĂ© dans les annĂ©es 1950 en tant qu’antidĂ©presseur, mais sa capacitĂ© Ă  calmer les enfants hyperactifs Ă©mergea dix ans plus tard. Et l’une des raisons pour lesquelles le nombre d’enfants Ă  qui l’on prescrit ce mĂ©dicament ne cesse d’augmenter, et ce, de façon exponentielle, n’est autre que du marketing pur. Les fabricants de mĂ©dicaments ont ciblĂ© un crĂ©neau dans l’industrie pharmaceutique, ce qui ouvre la voie Ă  un marchĂ© entiĂšrement nouveau et rentable : les enfants. Certains professionnels ont remarquĂ© que les sociĂ©tĂ©s pharmaceutiques dĂ©pensent des montants colossaux sur des campagnes publicitaires Ă©laborĂ©es afin de faire croire au public que le TDA/H peut ĂȘtre guĂ©ri par une pilule miracle.

Des publicitĂ©s affichant des enfants tout sourire et des parents heureux ne font que perpĂ©tuer cette idĂ©e.  Et dessous, l’on peut lire quelque-chose comme « Ils sont heureux, car ils savent qu’à prĂ©sent le TDA/H peut ĂȘtre soigné », fait remarquer le psychiatre Peter Jensen. Il ajoute : « En quoi cela pose-t-il problĂšme ? Les gens sont poussĂ©s Ă  ne rĂ©flĂ©chir que dans un seul sens face au problĂšme, ils pensent que ce dernier est biologique, et qu’ils ont besoin de mĂ©dicaments pour le soigner. ». MĂȘme si le travail des sociĂ©tĂ©s pharmaceutiques est guidĂ© par la science, Jensen met l’accent sur le fait que ce n‘est pas lĂ  la seule science qui existe et que la recherche sur d’autres thĂ©rapies possibles ne bĂ©nĂ©ficie pas d’un tel lobbying. « Si les gens pouvaient dĂ©montrer l’efficacitĂ© nette de traitements n’impliquant pas de mĂ©dicaments, je pense qu’un grand nombre de personnes se prĂ©cipiterait Ă  leurs portes. Le problĂšme est qu’ils n’ont pas encore Ă©tĂ© capables de le dĂ©montrer », conclut-il.

Cependant, une partie du problĂšme repose sur l’idĂ©e dĂ©veloppĂ©e depuis les annĂ©es 1980 que le TDA/H, considĂ©rĂ© initialement comme une affection mĂ©dicale, est depuis classĂ© en tant que « maladie cĂ©rĂ©brale », d’aprĂšs le neurologue pour enfants et ferme adversaire du diagnostic de TDA/H Fred Baughman. Cette perception a amenĂ© le public Ă  penser « qu’il est logique qu’une simple pilule soit la solution au problĂšme du TDA/H ». Il ajoute : « une telle perception trompe le public car elle devance leur droit au consentement Ă©clairĂ© dans chacun des cas ».

Le problĂšme n’implique pas seulement de fournir des renseignements corrects, tant sur les traitements mĂ©dicaux que sur les autres mĂ©thodes, mais Ă©galement un accĂšs adĂ©quat Ă  ces renseignements. La dĂ©cision que les mĂ©decins et les parents prennent de soigner un enfant souffrant apparemment du TDA/H ne devrait pas se baser sur l’influence de larges campagnes de marketing publicitaire ; l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant – Ă©valuĂ© selon chaque cas – devrait ĂȘtre examinĂ© avant toute chose. En dĂ©finitive cependant, il s’agit pour les sociĂ©tĂ©s pharmaceutiques avant tout de gagner toujours plus d’argent. Le psychiatre Peter Breggin fait remarque :

« Les sociĂ©tĂ©s pharmaceutiques, comme l’industrie du tabac ou de l’alcool, sont trĂšs compĂ©titives, et sont toujours en quĂȘte de nouveaux marchĂ©s. Le marchĂ© des adultes est saturĂ© par les antidĂ©presseurs. Combien de millions de personnes peuvent prendre du Prozac et du Zoloft ainsi que tous les autres mĂ©dicaments ?... Par consĂ©quent, la pression se dĂ©place automatiquement sur les autres marchĂ©s. Et le marchĂ© le plus consĂ©quent aprĂšs celui des adultes est celui des enfants. Ainsi existent des reprĂ©sentants de sociĂ©tĂ©s pharmaceutiques, ainsi que des sociĂ©tĂ©s pharmaceutiques subventionnant des confĂ©rences durant lesquelles le problĂšme est examinĂ©, ou durant lesquelles on encourage cette idĂ©e de marketing visant les enfants. »

Et d’aprĂšs le Docteur Gwynedd Lloyd, de l’universitĂ© d’Edimbourg, l’augmentation soudaine des diagnostics du TDAH au Royaume-Uni dans les annĂ©es 1990 correspond Ă  l’augmentation aux Etats-Unis du marketing des entreprises pharmaceutiques amĂ©ricaines, qui avaient l’impression d’avoir saturĂ© le marchĂ© amĂ©ricain.

 

En dernier recours uniquement

Le Ritalin et bien d’autres mĂ©dicaments du genre ont de potentiels effets secondaires, c’est pourquoi les experts s’accordent sur le fait qu’il est prĂ©fĂ©rable de n’en prendre qu’en dernier recours. Ils dĂ©clarent que la premiĂšre action doit ĂȘtre non mĂ©dicamenteux, incluant une thĂ©rapie de comportement, un rĂ©gime adaptĂ©, et le fait de passer plus de temps Ă  l’extĂ©rieur, de prĂ©fĂ©rence dans des environnements ruraux. Pour les cas les plus sĂ©vĂšres chez qui ces mĂ©thodes de traitement alternatives n’ont aucun effet, se pose la question de savoir qui serait autorisĂ© Ă  prescrire des mĂ©dicaments, et si ces derniers doivent ĂȘtre utilisĂ©s seuls ou faire partie d’un traitement plus complet.

Le problĂšme est que les mĂ©dicaments utilisĂ©s dans le traitement du TDA/H agissent sur les symptĂŽmes mais n’aident pas l’enfant Ă  contrĂŽler la maladie de maniĂšre durable afin de ne pas les amener Ă  ĂȘtre dĂ©pendants des mĂ©dicaments. D’aprĂšs le Docteur Tim Kendall, du CollĂšge royal des psychiatres au Royaume-Uni, « ce qui importe est que nous ayons une approche complĂšte et dĂ©taillĂ©e, qui ne se concentre pas uniquement sur un seul type de traitement ».

L’institut national pour la santĂ© et l’excellence clinique (NICE) au Royaume-Uni a publiĂ© des directives indiquant que lorsque des mĂ©dicaments sont prescrits, ils doivent ĂȘtre utilisĂ©s en conjonction avec une thĂ©rapie et un soutien psychologiques. De plus, une fois que l’enfant sous traitement se stabilise, les mĂ©dicaments doivent lui ĂȘtre retirĂ©s. Pourtant, de façon controversĂ©e, l’institut exclut tous rĂ©gimes alimentaires spĂ©ciaux, tels que ceux incluant des huiles de poisson (omĂ©ga-3), malgrĂ© les recommandations de certains chercheurs.

Un autre type de traitement qui pourrait aider Ă  combattre le TDA/H serait de passer plus de temps dans un environnement naturel. Selon un rapport ordonnĂ© par la SociĂ©tĂ© royale du Royaume-Uni pour la protection des oiseaux, appelĂ© « Natural Thinking », les activitĂ©s en espaces verts semblent amĂ©liorer les symptĂŽmes des enfants de 30%, comparĂ© aux activitĂ©s d’extĂ©rieur rĂ©alisĂ©es en ville, et trois fois plus que les activitĂ©s d’intĂ©rieur.

Cependant, la membre du parlement dĂ©mocrate libĂ©rale Tessa Munt a dĂ©clarĂ© que les jeunes dans l’incapacitĂ© de pouvoir se divertir Ă  l’extĂ©rieur sont nombreux, ce pour plusieurs raisons, parmi lesquelles le manque de terrains de jeux Ă  l’école, la popularitĂ© des appareils Ă©lectroniques comme les jeux vidĂ©o et les smartphones, ou encore les rĂ©seaux sociaux. L’expĂ©rience d’un ancien professeur soutient cet argument :

« Les enseignants leur disent « Restez tranquilles ! », mais les enfants ont besoin de courir et se dĂ©fouler, afin d’assouvir leur besoin d’énergie. Je sais que c’était le cas pour moi. C’est Ă©vident qu’il est plus rentable de mettre les gens sous traitement que d’avoir une sociĂ©tĂ© qui leur offrirait de l’espace et du temps pour courir, jouer, ou mĂȘme de penser par eux-mĂȘmes. En tant qu’enseignant, je ne pouvais pas facilement organiser de sorties avec mes Ă©lĂšves, car il me fallait l’accord parental, simplement pour pouvoir sortir de la classe. Nous vivons dans une sociĂ©tĂ© procĂ©duriĂšre, oĂč il est plus facile de mettre sous traitement mĂ©dicamenteux que de sortir marcher ».

Mais comme mentionnĂ© prĂ©cĂ©demment, les recherches sur d’autres mĂ©thodes thĂ©rapeutiques ont un impact publicitaire bien plus faible que les compagnies pharmaceutiques.

Puis vient la question de savoir qui devrait ĂȘtre autorisĂ© Ă  prescrire des mĂ©dicaments pour soigner le TDA/H. Des rĂ©glementations internationales stipulent que seuls les professionnels de la santĂ© (tels que les psychiatres en collaboration avec une Ă©quipe multidisciplinaire), plutĂŽt que les pĂ©diatres ou les mĂ©decins gĂ©nĂ©ralistes, devraient pouvoir intervenir en cas de soupçon de TDA/H. Au Royaume-Uni, les mĂ©decins gĂ©nĂ©ralistes doivent envoyer le patient en consultation chez un spĂ©cialiste ayant un niveau d’expertise en TDA/H, avant qu’une ordonnance ne puisse ĂȘtre prescrite. Mais des associations de professionnels ont remarquĂ© que de nombreux spĂ©cialistes ne suivent pas les recommandations Ă©tablies par l’institut national pour la santĂ© et l’excellence clinique, autorisant par exemple la prescription d’un traitement mĂ©dicamenteux avant de vĂ©rifier si les troubles comportementaux se font ressentir tant Ă  l’école qu’à la maison.

Le nombre d’ordonnances pour les mĂ©dicaments contre le TDA/H ne cesse d’augmenter, malgrĂ© les effets nĂ©fastes, et pour certains mortels, qui ont Ă©tĂ© signalĂ©s. Partant de ce constant, les experts s’accordent Ă  dire qu’il est important d’informer les mĂ©decins des inquiĂ©tudes que constituent ces effets secondaires, ainsi que d’informer les parents, qui doivent ĂȘtre au courant de toutes les rĂ©actions possibles que l’enfant pourrait avoir. Un membre de l’Office des mĂ©dicaments et des produits alimentaires (Food and Drug Administration) aux Etats-Unis a dĂ©clarĂ© dans une interview en 2007 qu’il espĂ©rait que les inquiĂ©tudes liĂ©es Ă  la santĂ© et Ă  l’utilisation du Ritalin rĂ©duiraient le nombre d’ordonnances prescrites pour soigner les enfants inattentifs ou qui se conduisent mal Ă  l’école. « Je veux que les mains tremblent un peu avant de prescrire cette ordonnance », a dĂ©clarĂ© le Docteur Steven Nissen.

 

Un compromis inévitable

Des universitaires ont Ă©galement fait part de leurs prĂ©occupations quant Ă  certains enseignants qui encouragent l’utilisation de mĂ©dicaments dans le traitement du TDA/H, ceux-ci permettant de contrĂŽler les mauvais comportements plus facilement. Dans les pires cas, certaines Ă©coles sont connues pour avoir fortement fait pression sur les Ă©lĂšves et leurs parents afin qu’ils recourent aux mĂ©dicaments. Dans un cas, un Ă©lĂšve diagnostiquĂ© a Ă©tĂ© menacĂ© de devoir quitter l’école s’il ne se mettait pas au Ritalin et s’il n’agissait pas avec un peu plus de respect.

Mais le problĂšme des ressources se pose aussi, car les Ă©coles manquent souvent des moyens nĂ©cessaires afin de s’attaquer Ă  la racine du problĂšme des troubles du comportement.  Une aide-enseignante au Royaume-Uni explique qu’ « idĂ©alement, les Ă©coles prĂ©fĂšreraient offrir un soutien personnalisĂ© intensif, mais si les ressources sont limitĂ©es, ce qui est souvent le cas, alors nous sommes poussĂ©s Ă  choisir entre les mĂ©dicaments ou l’exclusion. ». Et compte tenu de la situation Ă©conomique actuelle, « toutes les Ă©coles font l’objet de rĂ©ductions de coĂ»ts, et c’est bien ce genre de services (thĂ©rapeutes, conseillers, mentors), qui en sera la cible, car les Ă©coles ne veulent pas perdre leurs enseignants, ce qui est comprĂ©hensible ».

Voici le tĂ©moignage d’un garçon de 13 ans : « Je sais que d’un cĂŽtĂ© ça m’aide, mais je dĂ©teste le prendre. Il y a des jours oĂč je fais exprĂšs de ne pas en prendre. Vous ne vous sentez pas vous-mĂȘmes, vous vous sentez tellement vidĂ©. Vous vous sentez dĂ©goĂ»tĂ© et dĂ©primĂ©, comme si vous n’aviez pas d’ñme ou quelque-chose dans le genre. Ma mĂšre ne veut pas que j’en prenne, mais qu’est-ce qu’elle peut y faire ? Elle souhaite que j’aie une Ă©ducation ».

 

Le dernier mot

« Nos enfants vivent dans une des pĂ©riodes les plus stimulantes de l’histoire de la planĂšte Terre. Ils sont assiĂ©gĂ©s par l’information et leur attention est constamment suscitĂ©e par tous types de plateformes : par des ordinateurs, des iPhones, des panneaux publicitaires, et des centaines de chaines de tĂ©lĂ©vision. Et on les pĂ©nalise ensuite pour ĂȘtre distraits. Distraits de quoi ? De choses ennuyeuses - Ă  l’école - pour la plus grande partie. Il me semble que, si ce n’est pas une coĂŻncidence, alors la frĂ©quence  des cas de TDA/H a dĂ©finitivement augmentĂ© parallĂšlement Ă  l’augmentation de contrĂŽles standardisĂ©s. On donne dĂ©sormais Ă  ces enfants
 des mĂ©dicaments souvent assez dangereux afin de les calmer et d’obtenir leur concentration ».

Sir Ken Robinson, spĂ©cialiste des sciences de l’éducation, sur la nĂ©cessitĂ© de changer les paradigmes actuels de l’éducation.

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Traduction : Stephanie Miroux

 

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