TCHAD: Un semblant d’éducation pour les enfants dĂ©placĂ©s

[14 mars 2008, GOZ BEIDA] - Assis sur une natte en plastique, dans une salle de classe en plein air d’un camp pour personnes dĂ©placĂ©es par les violences, situĂ© Ă  la pĂ©riphĂ©rie de la ville de Goz Beida, dans le sud-est du Tchad, Ibrahim Abdoulaye Moussa a toutes les raisons d’ĂȘtre attentif pendant les cours.

« Je vais Ă  l’école pour sauver mon pays », dit le jeune garçon, qui fait partie des quelque 180 000 Tchadiens dĂ©placĂ©s, dissĂ©minĂ©s Ă  travers la vaste rĂ©gion semi-dĂ©sertique de l’est du Tchad. « Je rĂȘve d’ĂȘtre prĂ©sident ».

Avant, dans son village natal de DjĂ©didĂ©, situĂ© le long de la frontiĂšre avec le Soudan, l’école la plus proche Ă©tait Ă  trois heures de marche. Ce n’est qu’aprĂšs ĂȘtre arrivĂ© au camp avec sa famille que le jeune Ibrahim a pu aller Ă  l’école pour la premiĂšre fois.

A 14 ans, Ibrahim est en cours élémentaire premiÚre année (CE1).

Au cours des 18 derniers mois, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et quelques organisations non-gouvernementales (ONG) ont commencĂ© Ă  mettre en place un systĂšme Ă©ducatif pour les enfants tchadiens dĂ©placĂ©s par les affrontements intercommunautaires et les attaques transfrontaliĂšres des miliciens soudanais.

Le dĂ©fi est Ă©norme. Avant le dĂ©but des violences, le taux d’inscription des enfants en Ăąge d’ĂȘtre scolarisĂ©s Ă©tait dĂ©jĂ  infĂ©rieur Ă  10 pour cent ; les organisations partent donc pratiquement de zĂ©ro. En effet, il y a peu d’infrastructures et d’enseignants, et le gouvernement ou la communautĂ© internationale accorde peu d’intĂ©rĂȘt Ă  l’éducation.

Dans le camp de dĂ©placĂ©s de GassirĂ©, situĂ© Ă  la pĂ©riphĂ©rie de Goz Beida, les 200 Ă©lĂšves d’une classe de fortune lĂšvent tous frĂ©nĂ©tiquement la main, impatients de donner la bonne rĂ©ponse Ă  la question posĂ©e par Mahamat Abdelkarim, le maĂźtre d’école ; ce dernier avait Ă©crit la lettre « O » au tableau et avait demandĂ© Ă  ses Ă©lĂšves s’ils savaient comment prononcer cette lettre.

M. Abdelkarim est un maĂźtre communautaire, une fonction rare dans l’est du Tchad, a expliquĂ© Ă  IRIN Andrea Berther, responsable des programmes d’éducation Ă  l’UNICEF.

« La plus grande difficultĂ© est le manque d’enseignants », a-t-elle fait remarquer.

Le taux d’illettrisme dans l’est du Tchad est estimĂ© entre 90 et 95 pour cent, a-t-elle poursuivi. Il est donc difficile de trouver localement des personnes sachant lire et Ă©crire pour les former Ă  l’enseignement.

Les rares personnes que trouve l’UNICEF ont gĂ©nĂ©ralement le niveau du cours prĂ©paratoire (CP) et souvent, elles peuvent gagner plus d’argent en travaillant pour des ONG, a indiquĂ© Mme Berther.

S’adressant aux quelques instituteurs assis sur des nattes sous un abri de fortune, IRIN leur a demandĂ© pourquoi ils restaient au camp ?

« Ces Ă©coliers sont nos enfants », a rĂ©pondu Baharadin Anour, un maĂźtre communautaire, recrutĂ© parmi les dĂ©placĂ©s du camp de GassirĂ©. « Nous ne pouvons pas les abandonner sans Ă©ducation ». M. Anour a lui-mĂȘme suivi une formation de 10 jours pour devenir instituteur.

Certes, l’Etat envoie quelques instituteurs salariĂ©s et qualifiĂ©s dans l’est du pays, mais gĂ©nĂ©ralement la plupart d’entre eux abandonnent leur poste en raison des conditions de vie difficiles et de l’insĂ©curitĂ© qui prĂ©valent dans la rĂ©gion. Pour l’annĂ©e scolaire 2005-2006, par exemple, il n’y avait que 37 maĂźtres qualifiĂ©s pour 104 Ă©coles primaires.

Mais il est encore plus difficile de trouver de l’argent pour payer ces enseignants.

« La situation est inextricable », pouvait-on lire dans le rapport de fin d’annĂ©e 2006 rĂ©digĂ© par Namia Doumbaye, le reprĂ©sentant du ministĂšre de l’Education dans le dĂ©partement de Dar Sila. « La solution passe par le recrutement de maĂźtres communautaires [mais actuellement] ils sont mal formĂ©s et refusent [souvent] de travailler parce qu’ils sont mal payĂ©s », note le rapport.

Les maĂźtres communautaires perçoivent un salaire mensuel d'environ 30 000 francs CFA (67 dollars amĂ©ricains), mais l'Etat en embauche trĂšs peu, a indiquĂ© Elise Joisel, directrice du projet Education du Service jĂ©suite des rĂ©fugiĂ©s (JRS) Ă  Goz Beida. De mĂȘme, l’Etat ne recrute pas beaucoup de maĂźtres communautaires. « Ils ont de trĂšs faibles quotas », a-t-elle ajoutĂ©.

Pour sa part, le JRS a commencĂ© Ă  prendre en charge une bonne partie du salaire des maĂźtres et les parents d’élĂšves des communautĂ©s apportent leur contribution.

De derriĂšre la bĂąche en plastique faisant office de mur de sĂ©paration entre les salles de classe en plein air du site de GassirĂ© parvient le bruit d’un coup de martinet administrĂ© Ă  un enfant.

Pour la directrice du JRS et la reprĂ©sentante de l’UNICEF, qui se tiennent quelques mĂštres plus loin, cela n’a rien de surprenant.

« Nous essayons de sensibiliser les maßtres », a indiqué Mme Joisel à IRIN. « Nous leur expliquons que [les chùtiments corporels] ne sont pas autorisés. Mais il est difficile de le leur faire comprendre ».

Pour Mme Joisel, le premier objectif Ă©tait d’amener les Ă©coliers dans les salles de classe. Le deuxiĂšme objectif devra ĂȘtre d’amĂ©liorer la qualitĂ© des maĂźtres.

Mais malgrĂ© la prĂ©sence des maĂźtres, des salles de classe de fortune et des programmes de cantine scolaires, bon nombre d’enfants sont absents des cours.

« La majoritĂ© [des parents] n’ont pas conscience de l’importance de l’école », a indiquĂ© Zakaria Ousmane, prĂ©sident de l’association des parents d’élĂšves de l’école de GassirĂ©.

Dans les familles dĂ©placĂ©es, les enfants, notamment les fillettes, passent souvent leur journĂ©e Ă  marcher ou Ă  se dĂ©placer Ă  dos d’ñne pour chercher du bois, qu’ils revendent ensuite – une des quelques possibilitĂ©s qu’ont les dĂ©placĂ©s pour gagner de l’argent.

En outre, il n’est pas rare que les manuels scolaires distribuĂ©s aux enfants Ă  l’école soient vendus au marchĂ© central de Goz Beida.

« Chez les communautĂ©s tchadiennes, l’importance de l’éducation est encore mal perçue et la demande de scolarisation est trĂšs faible », a indiquĂ© Katy Attfield, ancienne directrice nationale de l’ONG Save the Children Royaume-Uni.
« Nous essayons de fournir les maĂźtres et les Ă©coles pour rendre les ressources disponibles, mais [
] le plus difficile est de susciter la demande de scolarisation ».

Dans certaines rĂ©gions de l’est du Tchad, l’éducation existe Ă  peine. Dans la ville d’AdĂ©, le long de la frontiĂšre avec le Soudan, une Ă©cole de trois classes n’a toujours pas officiellement ouvert ses portes depuis deux ans. Toutefois, de maniĂšre informelle, un maĂźtre communautaire enseigne Ă  un groupe de 28 Ă©lĂšves les quelques rudiments de français qu’il connaĂźt.

Dans un camp de déplacés voisin, Youssouf Chérif a transformé sa case en paille en salle de classe de fortune. Des cartons font office de tableau et une planche posée sur des pieux en bois sert de bancs improvisés.

« Depuis que nous sommes ici, aucun des enfants n’est allĂ© dans une [vraie] Ă©cole », a-t-il confiĂ© Ă  IRIN.

Il existe cependant certaines rĂ©gions de l’est du pays oĂč l’accĂšs Ă  l’éducation, plutĂŽt que de diminuer Ă  cause des violences, est en nette progression. En effet, le taux de scolarisation des enfants a grimpĂ© de 15 pour cent dans le dĂ©partement de Dar Sila, oĂč vivent la plupart des dĂ©placĂ©s de l’est du Tchad.

« [Auparavant, lorsque les gens vivaient] dans des zones reculĂ©es, personne ne pensait Ă  l’éducation », a expliquĂ© Ă  IRIN Hissein Djaba, chargĂ© du programme Ă©ducation Ă  l’UNICEF. « [Aujourd’hui], avec le regroupement des Ă©coles dans les camps [de dĂ©placĂ©s], les enfants ont la possibilitĂ© d’aller Ă  l’école ».

Pourtant, les organisations assurant l’éducation des enfants ont un budget limitĂ©. Sur les 287 millions de dollars sollicitĂ©s par les Nations Unies et les ONG pour financer toutes les opĂ©rations humanitaires menĂ©es au Tchad en 2008, seuls 15 millions de dollars ont Ă©tĂ© demandĂ©s pour l’éducation. Et s’il est vrai que les bailleurs de fonds ont dĂ©jĂ  dĂ©bloquĂ© prĂšs de 97 pour cent de la somme globale de l’appel, ils n’ont versĂ© que 12 pour cent du montant demandĂ© pour l’éducation.

« Cela montre bien que l’éducation n’occupe pas une place trĂšs importante par rapport aux autres secteurs », a dĂ©plorĂ© Mme Berther de l’UNICEF. « Il est important de faire clairement savoir que dans le domaine de l’humanitaire, il y a aussi des besoins en matiĂšre d’éducation ».

Selon M. Doumbaye, le reprĂ©sentant du ministĂšre de l’Education, le gouvernement tchadien accorde encore moins d’importance Ă  l’éducation.

« Nous n’avons aucune proposition Ă  faire car aucune de nos suggestions n’a jamais Ă©tĂ© prise en compte », a-t-il indiquĂ© dans son rapport sur l’éducation. « Nous implorons le Bon Dieu pour que notre situation s’amĂ©liore ».

 

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