TCHAD: La dĂ©mobilisation des enfants soldats compromise par l’insĂ©curitĂ©

[N'DJAMENA, 13 avril 2009] - Sur le papier, rebelles et militaires au Tchad se disent d’accord : la place d’un enfant n’est pas dans un mouvement armĂ©, et ceux qui sont associĂ©s Ă  ces forces et groupes devraient ĂȘtre dĂ©mobilisĂ©s et rĂ©insĂ©rĂ©s. Mais dans la rĂ©alitĂ©, le regain d’insĂ©curitĂ© des derniers mois a plutĂŽt entraĂźnĂ© une reprise des recrutements, selon de nombreux acteurs humanitaires.

En mai 2007, profitant d’un certain retour au calme aprĂšs la signature, en dĂ©cembre 2006, d’un accord de paix entre le gouvernement tchadien et plusieurs groupes rebelles de l’est du pays, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a signĂ© un protocole d'accord avec le gouvernement pour retirer et rĂ©insĂ©rer les enfants associĂ©s aux forces et groupes armĂ©s.

FinancĂ© par l’UNICEF et les coopĂ©rations espagnole et japonaise, ce programme a permis d’extraire des forces et groupes armĂ©s 496 enfants en 2007, selon l’UNICEF.

Mais Ă  partir de fin 2007, Ă  la faveur de nouvelles attaques contre le rĂ©gime du prĂ©sident Idriss DĂ©by, le mouvement de dĂ©mobilisation s’est brusquement ralenti. « Soudain, l’ambiance Ă©tait Ă  la guerre et Ă  sa prĂ©paration, la collaboration [avec les forces et groupes armĂ©s] s’est dĂ©gradĂ©e », a racontĂ© l’un des partenaires du programme.

Ce regain de violence a eu des consĂ©quences sur la dĂ©mobilisation des enfants : seuls 59 d’entre eux ont pu ĂȘtre retirĂ©s des forces et groupes armĂ©s en 2008, et tout simplement aucun depuis dĂ©but 2009.

Au contraire, la tendance des derniers mois serait plutĂŽt au recrutement, ont dit plusieurs acteurs humanitaires au Tchad. « Les groupes armĂ©s continuent Ă  recruter des enfants soldats en toute libertĂ© », a dĂ©plorĂ© rĂ©cemment l’organisation Oxfam international dans un communiquĂ©.

Ce recrutement, effectuĂ© par des entitĂ©s « non identifiĂ©es », s’opĂšre jusque dans les camps de rĂ©fugiĂ©s de l’est du Tchad, qui accueillent plus de 250 000 personnes ayant fui la rĂ©gion du Darfour, au Soudan, ont notĂ© plusieurs acteurs humanitaires.

Un recrutement tabou

MalgrĂ© les trĂšs nombreux tĂ©moignages faisant Ă©tat d’une reprise du recrutement et de la prĂ©sence d’enfant dans les forces et groupes armĂ©s, le sujet reste tabou, Ă  la fois du cĂŽtĂ© de l’armĂ©e nationale tchadienne (ANT) et de la rĂ©bellion.

« Quand les [groupes rebelles] ont intĂ©grĂ© l’armĂ©e [en 2007], ils ont amenĂ© beaucoup d’enfants et certains chefs ont essayĂ© de les garder », a dit Ă  IRIN le gĂ©nĂ©ral BĂ©chir Ali Haggar, commandant du groupement des Ă©coles militaires interarmĂ©es et reprĂ©sentant du ministĂšre de la DĂ©fense prĂšs les humanitaires. « Mais ils ne sont pas rĂ©munĂ©rĂ©s par l’armĂ©e. Officiellement, l’armĂ©e n’a plus d’enfants ».

Un officier supĂ©rieur de l’armĂ©e a cependant reconnu qu’il « pouvait y en avoir ». Un militaire du rang, qui Ă©tait rĂ©cemment en opĂ©ration dans l’est du pays, a dit Ă  IRIN : « il y a des enfants, mais pas seulement dans l’armĂ©e, il y en a [aussi] chez les rebelles. C’est la guerre, on a besoin de tout le monde ».

Tout comme l'armĂ©e nationale, la rĂ©bellion a niĂ© procĂ©der Ă  des recrutements d'enfants. « Nous sommes trĂšs prudents avec cela, nous ne pouvons pas nous le permettre parce que nous recherchons une crĂ©dibilitĂ© internationale », a affirmĂ© Makaila Nguebla, membre de l’opposition armĂ©e tchadienne et ancien coordonnateur Afrique de l’Alliance nationale des groupes armĂ©s au Tchad.

Sur les 555 enfants retirĂ©s des groupes armĂ©s depuis 2007, 87 pour cent venaient des groupes rebelles signataires de l’accord de paix avec le gouvernement, les 13 pour cent restants Ă©tant issus de l’ANT.

La prĂ©sence de ces enfants dans les forces et groupes armĂ©s est parfois due Ă  l'ignorance, a notĂ© DĂ©sirĂ© Mohindo, spĂ©cialiste de la protection de l’enfant Ă  l’UNICEF. « Certains chefs n’ont pas fait beaucoup d’études. Quand on leur dit ‘enfant’, ils pensent Ă  des enfants de sept ou huit ans, mais pour eux, Ă  14 ans on n’est plus un enfant », a-t-il dit.

Il y aurait aujourd’hui, selon les estimations de l’UNICEF, quelque 10 000 enfants ĂągĂ©s de moins de 18 ans associĂ©s Ă  ces forces et groupes dans le pays. Et le recrutement, qui concernait auparavant surtout l’est du pays, commence aussi Ă  toucher d’autres rĂ©gions, comme le sud, fragilisĂ© par l’insĂ©curitĂ© dans le pays voisin, la RĂ©publique centrafricaine, ont notĂ© des acteurs humanitaires.

Ne pas relĂącher les efforts

Face Ă  la diminution du nombre d’enfants retirĂ©s des forces et groupes armĂ©s au cours des derniers mois, trois centres de transition et d’orientation (CTO), sur les cinq crĂ©Ă©s en 2007 pour accueillir les enfants, ont Ă©tĂ© fermĂ©s. Les deux restants, Ă  AbĂ©chĂ©, dans l’est du pays, et Ă  N’djamena, hĂ©bergent encore 80 enfants, qui n’ont pas encore pu ĂȘtre rĂ©unis avec leur famille : dans le cas des enfants originaires de l’est du Tchad – les plus nombreux - oĂč l’insĂ©curitĂ© reste une prĂ©occupation majeure, rentrer prĂ©senterait pour eux un risque de nouveau recrutement.

Le seul moyen d’en finir avec le recrutement de ces enfants et de retirer ceux qui sont dĂ©jĂ  dans les forces et groupes armĂ©s est d’intensifier le plaidoyer auprĂšs de ces mouvements, tout en travaillant Ă  l’établissement de la paix dans le pays, ont notĂ© les acteurs humanitaires.

L’UNICEF a commencĂ© en 2008 Ă  former des officiers et soldats de l’armĂ©e pour sensibiliser leurs pairs. Une vingtaine d’entre eux est opĂ©rationnelle, et l’agence entend intensifier ses efforts en 2009, en collaboration avec la MINURCAT (Mission des Nations Unies en RĂ©publique centrafricaine et au Tchad).

Il faut aussi trouver les fonds. Pour l’instant, 35 pour cent des besoins pour 2009, estimĂ©s Ă  900 000 dollars, sont couverts par le comitĂ© français de l’UNICEF, et une contribution du gouvernement amĂ©ricain est attendue dans les prochains jours, a dit Jean-François Basse, responsable de la section protection Ă  l’UNICEF au Tchad.

« L’intĂ©rĂȘt des donateurs est toujours lĂ  », a-t-il dit Ă  IRIN. Pourtant, a-t-il prĂ©venu, il faut prendre garde Ă  ne pas les dĂ©courager. « La prĂ©sence encore visible de mineurs au sein des forces ou groupes armĂ©s peut ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme une absence de volontĂ© politique de relĂącher tous les enfants ».

pdf: http://www.irinnews.org/fr/ReportFrench.aspx?ReportId=83901

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