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Summary: En Syrie, lorsque le personnel du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) interroge les femmes, dont la plupart ont quittĂ© leur maison et vivent dans des abris collectifs exigus, celles-ci rĂ©pondent quâelles ne souhaiteraient tomber enceintes pour rien au monde.  [Le 3 juin 2013] - « Personne ne veut ĂȘtre enceinte dans les refuges [...] OĂč que ce soit », a dit Laila Baker, reprĂ©sentante de lâUNFPA en Syrie. « Il nây a pas de place pour sâoccuper du bĂ©bĂ© et cela fait une bouche de plus Ă nourrir ». Les femmes craignent par ailleurs des complications lors de lâaccouchement, car lâaccĂšs Ă des soins prĂ©natals et Ă des services obstĂ©tricaux sans danger est extrĂȘmement limitĂ©, notamment en cas dâurgence. LâUNFPA estime cependant que 250 000 femmes en Syrie et dans les camps de rĂ©fugiĂ©s tomberont enceintes avant fin 2013. AprĂšs plus de deux ans de conflit, le systĂšme de santĂ© syrien est anĂ©anti, les hĂŽpitaux ont Ă©tĂ© dĂ©truits, le personnel soignant a quittĂ© le pays, les voies dâapprovisionnement ont Ă©tĂ© coupĂ©es et, dans de nombreux endroits, lâaccĂšs aux outils de planification familiale est difficile. Fadia Salameh a appris quâelle Ă©tait enceinte aprĂšs ĂȘtre arrivĂ©e au camp de rĂ©fugiĂ©s syriens de Zaâatari, dans le nord de la Jordanie. Le centre mĂ©dical de son village dâorigine, en banlieue dâHama, « qui a Ă©tĂ© le thĂ©Ăątre dâimportants bombardements », nâavait plus de contraceptifs en stock. Elle avait donc cessĂ© de prendre la pilule. « Il nây avait plus rien dans notre village, ni nourriture, ni pain, ni mĂ©dicaments », a-t-elle dit Ă IRIN depuis le camp, oĂč elle a sollicitĂ© de lâaide au dispensaire de lâUNFPA. En 2012, lâUNFPA a distribuĂ© prĂšs de 1,5 million de pilules contraceptives, 40 000 contraceptifs injectables, 45 000 dispositifs intra-utĂ©rins (DIU), et 21 000 prĂ©servatifs dans les gouvernorats syriens touchĂ©s par le conflit. Mais les livraisons sont irrĂ©guliĂšres et ne suffisent pas pour rĂ©pondre Ă lâampleur des besoins. Des Ă©quipes mobiles de lâUNFPA se rendent Ă©galement dans les refuges. Elles apportent des soins mĂ©dicaux aux femmes et leur distribuent des bons dâachat grĂące auxquels elles peuvent obtenir gratuitement des soins de santĂ© maternelle et des soins obstĂ©triques dâurgence dans le centre mĂ©dical de leur choix. Le ministĂšre de la SantĂ© syrien a poursuivi ses activitĂ©s tout au long de la crise, et des maternitĂ©s et des hĂŽpitaux universitaires offrent toujours des soins obstĂ©triques ou de santĂ© maternelle. « Chambre conjugale » Les personnes dĂ©placĂ©es Ă lâintĂ©rieur de leur propre pays (PDIP) sont confrontĂ©es Ă des difficultĂ©s supplĂ©mentaires en matiĂšre de planification familiale et de sexualitĂ© non protĂ©gĂ©e, en raison des conditions de vie exigĂŒes, notamment dans les abris collectifs. LâUNFPA estime quâil y aura environ 1,65 million de femmes en Ăąge de procrĂ©er parmi les PDIP dâici fin 2013. Sâils ne veulent peut-ĂȘtre pas avoir dâenfants, les couples mariĂ©s dĂ©placĂ©s veulent toujours avoir des relations sexuelles. Ils ont mĂȘme demandĂ© aux organisations dâaide humanitaire de mettre en place une « chambre conjugale » dans un refuge des faubourgs ruraux de Damas, pour prĂ©server leur intimitĂ©. LâUNFPA nâa pas encore pu mener dâenquĂȘte pour Ă©valuer lâampleur du problĂšme, mais selon Mme Baker, ne serait-ce quâĂ Damas, les visites de routine dans les centres mĂ©dicaux ont permis de dĂ©tecter un nombre croissant dâinfections sexuellement transmissibles (IST). « Nous craignons rĂ©ellement que les grossesses non dĂ©sirĂ©es et les IST deviennent problĂ©matiques lĂ oĂč ce nâĂ©tait auparavant pas le cas en Syrie », a-t-elle dit Ă IRIN. « Et lorsque vous tombez enceinte sans le vouloir ou que vous avez une IST, vous nâavez pas [forcĂ©ment] accĂšs [en Syrie] aux soins dont vous avez besoin ». MortalitĂ© maternelle et infantile Avant le conflit, 96 pour cent des accouchements en Syrie (que ce soit Ă la maison ou Ă lâhĂŽpital) bĂ©nĂ©ficiaient de lâassistance dâun professionnel de santĂ© qualifiĂ©. Or, le systĂšme dâenregistrement des naissances, qui Ă©tait autrefois trĂšs bon, sâest depuis fortement dĂ©gradĂ©. Ces chiffres ne peuvent donc pas ĂȘtre actualisĂ©s, mais Mme Baker soupçonne une hausse des dĂ©cĂšs maternels et nĂ©onatals. Des associĂ©s ont parlĂ© Ă Mme Baker de deux femmes mortes ces derniers mois Ă Homs, dans le centre du pays, aprĂšs avoir accouchĂ© sans anesthĂ©sie. Les mĂ©decins Ă©taient Ă court dâanesthĂ©siants et il Ă©tait trop difficile de traverser les lignes de front pour sâen procurer. Lâune des femmes a Ă©tĂ© opĂ©rĂ©e post mortem pour sauver sa petite fille qui a maintenant quatre mois et a Ă©tĂ© confiĂ©e Ă sa grand-mĂšre. Mme Baker ignore quel a Ă©tĂ© le sort de lâautre bĂ©bĂ©. Les accouchements par cĂ©sarienne sont trois Ă cinq fois plus nombreux quâen conditions normales, a dit Mme Baker. Les femmes les planifient en avance pour Ă©viter dâavoir Ă se rendre Ă lâhĂŽpital en urgence dans des circonstances imprĂ©visibles et souvent dangereuses. Dans un hĂŽpital de Homs, 75 pour cent des bĂ©bĂ©s naissent par cĂ©sarienne. Les mĂšres doivent souvent rentrer chez elles Ă pied ou en bus quelques heures seulement aprĂšs lâopĂ©ration en raison de lâinsĂ©curitĂ© gĂ©nĂ©rale et de leur crainte de rester bloquĂ©es Ă lâhĂŽpital. Leurs maris ne les accompagnent gĂ©nĂ©ralement pas, car ils ont peur de se faire arrĂȘter Ă lâhĂŽpital. Cette planification des accouchements ne suffit cependant pas Ă Ă©viter tout problĂšme. Le 5 mai, des tirs de mortiers auraient touchĂ© lâhĂŽpital de rĂ©fĂ©rence en matiĂšre de santĂ© maternelle en Syrie, situĂ© Ă Damas. LâhĂŽpital a essuyĂ© dâimportants dĂ©gĂąts, alors quâune femme Ă©tait allongĂ©e sur la table dâopĂ©ration, prĂȘte pour une cĂ©sarienne. Selon Mme Elizabeth Hoff, reprĂ©sentante de lâOrganisation mondiale de la santĂ© (OMS) en Syrie, qui sâest rendue dans cet hĂŽpital peu de temps aprĂšs le bombardement, la femme a paniquĂ©, retirĂ© son cathĂ©ter et sa perfusion intraveineuse et sâest enfuie en courant. Deux autres femmes ont avortĂ© sous le choc. Les femmes sont prises en charge Ă lâhĂŽpital pour un maximum de huit heures, a dit Mme Hoff, en raison de lâaugmentation du nombre de patients et du manque de lits. LâannĂ©e derniĂšre, lâOMS a signalĂ© que les mĂ©decins tĂ©moignaient dâune hausse du nombre « dâavortements incomplets ». Lâavortement est illĂ©gal en Syrie. Les femmes prennent donc des pilules abortives qui ne marchent pas toujours. « Elles ne voient pas comment elles pourraient vivre une grossesse dans un contexte aussi difficile et pourvoir aux besoins dâun autre enfant alors quâelles peuvent Ă peine subvenir aux besoins de ceux quâelles ont dĂ©jà », avait dit Mme Hoff Ă IRIN Ă lâĂ©poque. « Compenser les vies » perdues De nombreuses femmes estiment que les conditions de vie dans les camps ne sont « pas adaptĂ©es » pour avoir des enfants. Le groupe syrien de dĂ©fense des femmes Refugees not Captives a dâailleurs lancĂ© une campagne sur Internet incitant les rĂ©fugiĂ©es Ă attendre de rentrer en Syrie avant de faire des enfants. Dâautres souhaitent par contre « compenser les vies » perdues dans le conflit. « Si les Syriennes arrĂȘtent de faire des enfants alors que [tant de personnes se font tuer], notre nation va disparaĂźtre », a-t-elle dit Ă IRIN. Chaque jour, une foule de femmes et de jeunes filles syriennes se forme devant le centre de santĂ© reproductive financĂ© par lâUNFPA. Elles viennent pour sâinformer sur des questions de planification familiale et de fertilitĂ© ou passer des tests de grossesse ou une visite mĂ©dicale. « Nous enregistrons chaque jour des taux de grossesse Ă©levĂ©s », a dit Munira Shaban, sage-femme. « Des patientes viennent demander de lâaide pour tomber enceintes. Leur nombre augmente Ă mesure que la population du camp se multiplie ». Le centre de santĂ© accueille environ 90 femmes par jour. Selon Reema Dyab, gynĂ©cologue, un tiers dâentre elles viennent pour des questions relatives Ă la grossesse, que ce soit pour un test ou un traitement. Tous les types de planification familiale sont disponibles au centre mĂ©dical, a dit Mme Dyab, mais « la demande pour ce service est faible [...] La plupart de nos patientes nous demandent de lâaide pour traiter des problĂšmes les empĂȘchant de tomber enceintes, et la majoritĂ© dit vouloir arrĂȘter dâutiliser un contraceptif », a-t-elle dit Ă IRIN. Certaines femmes ont dit que leur belle-famille les poussait Ă avoir plus dâenfants. « Ils veulent que jâaie de nouveaux enfants maintenant, parce que mon mari a perdu deux de ses frĂšres pendant la guerre », a dit Um Khaled*. « Ils attendent de moi que je leur rende tous les mĂąles perdus ». Les nouveau-nĂ©s portent souvent le nom de proches morts dans le conflit, disent les rĂ©fugiĂ©s. De nombreuses femmes enceintes dans le camp de Zaâatari sont encore des enfants, a par ailleurs signalĂ© Mme Dyab. Le centre de santĂ©, dirigĂ© par la Jordan Health Aid Society, a enregistrĂ© 58 grossesses de femmes de moins de 18 ans pendant la derniĂšre semaine de fĂ©vrier seulement. (Avant le soulĂšvement en Syrie, 11,6 pour cent des filles de 15 Ă 19 ans Ă©taient mariĂ©es.) Sensibilisation Aucune Ă©pidĂ©mie dâIST ne sâest encore dĂ©clarĂ©e dans le camp, a dit Mme Dyab, mais les risques de relations sexuelles non protĂ©gĂ©es sont « Ă©levĂ©s ». « Les femmes nous disent que leur mari refuse dâutiliser un prĂ©servatif, ce qui est commun dans un tel contexte culturel. MĂȘme si certains ont recours au prĂ©servatif, ils ne lâutilisent pas forcĂ©ment correctement. » Selon Heather Lorenzen, responsable de la santĂ© reproductive Ă lâUNFPA en Jordanie, bien quâil soit difficile dâaborder des questions de santĂ© sexuelle et reproductive dans le camp en raison des sensibilitĂ©s culturelles, les organisations dâaide humanitaire tentent de sensibiliser la population. LâUNFPA organise par exemple des ateliers de discussion sur le mariage prĂ©coce et les moyens de planification familiale dans le camp. « Câest une occasion pour les femmes de connaĂźtre les services qui sont Ă leur disposition et de dĂ©cider de ce qui leur convient », a-t-elle dit Ă IRIN. Selon Mme Lorenzen, il est important de comparer la situation actuelle avec les normes en matiĂšre de santĂ© reproductive en Syrie avant le conflit. « RĂ©trospectivement, les taux de natalitĂ© Ă©taient Ă©levĂ©s ces derniĂšres annĂ©es en Syrie. Les mariages prĂ©coces Ă©taient nombreux en Syrie et il est difficile de savoir si le taux de grossesse a augmentĂ© avec la guerre ou si les mariages prĂ©coces sont devenus un mĂ©canisme dâadaptation. » *nom dâemprunt
Juste de lâautre cĂŽtĂ© de la frontiĂšre, dans le camp poussiĂ©reux de Zaâatari, en Jordanie, qui hĂ©berge un nombre croissant de rĂ©fugiĂ©s syriens, la tendance en matiĂšre de naissances est en revanche bien diffĂ©rente.
« Nous nâallons pas arrĂȘter dâavoir des enfants Ă cause [du conflit] », a dit Um Ahmad, mĂšre de sept enfants, en faisant la queue pour voir un mĂ©decin. Deux de ses frĂšres ont Ă©tĂ© tuĂ©s. « Câest pour cela que je veux arrĂȘter dâutiliser un stĂ©rilet pour avoir un nouvel enfant », a-t-elle dit.