SOUDAN DU SUD : Hausse de la violence contre les enfants en 2015

[14 mars 2016] - Un nouveau rapport sur le Soudan du Sud publiĂ© vendredi par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme fournit des « dĂ©tails Ă©pouvantables » sur une multitude de terribles violations des droits de l’homme, y compris sur la politique de la « terre brĂ»lĂ©e » menĂ©e par le gouvernement, et sur la prise pour cible dĂ©libĂ©rĂ©e de civils victimes de meurtres, viols et pillages. 

Bien que toutes les parties au conflit aient commis des violences graves et systĂ©matiques contre les civils depuis le dĂ©but des combats en dĂ©cembre 2013, le rapport indique que les acteurs Ă©tatiques portent la plus grande responsabilitĂ© des violences pour l’annĂ©e 2015, Ă©tant donnĂ© l’affaiblissement des forces d’opposition. 

L’étendue des violences sexuelles est particuliĂšrement choquante. Au cours d’une pĂ©riode de cinq mois l’an passĂ©, l’ONU a enregistrĂ© plus de 1 300 rapports sur des viols dans un seul des dix Etats du Soudan du sud, l’Etat d’UnitĂ©, connu pour ĂȘtre riche en pĂ©trole. Selon des sources crĂ©dibles, des groupes alliĂ©s au gouvernement sont autorisĂ©s Ă  violer les femmes en guise de salaire. Des groupes d’opposition et des gangs criminels s’en sont aussi pris aux femmes et aux filles. 

« L’échelle et le type de violences sexuelles – qui sont principalement le fait des forces gouvernementales SPLA et des milices qui leur sont affiliĂ©es – sont dĂ©crits avec des dĂ©tails Ă©pouvantables et dĂ©vastateurs, tout comme l’attitude – presque dĂ©sinvolte mais calculĂ©e - de ceux qui ont massacrĂ© les civils et dĂ©truit des biens et des moyens de subsistance », a dĂ©clarĂ© Zeid Ra’ad Al Hussein, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme. « Toutefois, le nombre de viols et viols collectifs dĂ©crits dans le rapport ne doit reprĂ©senter qu’un aperçu de leur chiffre rĂ©el. Il s’agit d’une situation des droits de l’homme parmi les plus horribles dans le monde, avec une utilisation massive du viol comme instrument de terreur et comme arme de guerre – et pourtant elle passe plus ou moins inaperçue auprĂšs de la communautĂ© internationale. » 

Ce nouveau rapport est le rĂ©sultat du travail de l’équipe d’évaluation dĂ©ployĂ©e par le Haut-Commissaire au Soudan du Sud d’octobre 2015 Ă  janvier 2016, conformĂ©ment Ă  la rĂ©solution du Conseil des droits de l’homme de juillet 2015. Il porte essentiellement sur les Etats d’UnitĂ© et du Haut-Nil, qui ont Ă©tĂ© les plus touchĂ©s, mais aussi sur l’Equateur central et occidental, oĂč le conflit s’est Ă©tendu. Tout en capitalisant sur des rapports prĂ©cĂ©dents Ă©laborĂ©s par de la Commission de l’Union africaine et la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS), ce nouveau rapport met l’accent sur les violations commises en 2015. 

La situation des droits de l’homme au Soudan du Sud s’est dĂ©gradĂ©e aprĂšs le dĂ©clenchement de la crise en dĂ©cembre 2013. Plus de deux millions d’habitants ont Ă©tĂ© dĂ©placĂ©s et des dizaines de milliers tuĂ©s. Les parties au conflit doivent encore Ă©tablir le Gouvernement d'union nationale de transition qu’ils avaient promis de crĂ©er dans le cadre de l’accord de paix en aoĂ»t dernier. Le pays le plus jeune du monde est le thĂ©Ăątre de conflits depuis prĂšs de la moitiĂ© de ses cinq ans d’existence et les souffrances de sa population sont immenses. 

Depuis 2013, toutes les parties au conflit ont menĂ© des attaques contre les civils, des viols et d’autres crimes de violence sexuelle, des arrestations et dĂ©tentions arbitraires, des enlĂšvements, des privations de libertĂ©, des disparitions, y compris forcĂ©es, et des attaques contre du personnel des Nations Unies et des locaux appartenant aux forces de maintien de la paix, selon le rapport. Etant donnĂ© l’ampleur, la profondeur et la gravitĂ© des allĂ©gations, leur cohĂ©rence, leur rĂ©pĂ©tition et les similaritĂ©s observĂ©es dans le mode opĂ©ratoire, le rapport conclut qu’il existe des motifs raisonnables de penser que ces violations pourraient constituer des crimes de guerre et/ou des crimes contre l’humanitĂ©. 

L’immense majoritĂ© des victimes civiles ne semblent pas rĂ©sulter d’opĂ©rations de combat mais d’attaques dĂ©libĂ©rĂ©es contre des civils, poursuit le rapport. Dans des villes et des dĂ©partements stratĂ©giques, le schĂ©ma du conflit est celui d’attaques, suivies de retraits et de contre-attaques. A chaque fois qu’une zone change de main, les personnes responsables tuent ou dĂ©placent le plus grand nombre de civils possible, sur la base de leur appartenance ethnique. 

Certains des abus les plus graves ont eu lieu au cours du printemps 2014 Ă  Bentiu et Ă  Rubkona, dans l’Etat d’UnitĂ©, lorsque des groupes armĂ©s alliĂ©s aux forces de l’opposition ont pĂ©nĂ©trĂ© dans ces villes et tuĂ© des centaines de civils qui tentaient de se protĂ©ger des combats. Le plus souvent, les lieux de refuge sont devenus de vĂ©ritables souriciĂšres pour les civils, les Ă©glises, mosquĂ©es et hĂŽpitaux n’ayant pas Ă©tĂ© Ă©pargnĂ©s lors des attaques, indique le rapport. 

Les meurtres, les violences sexuelles, le dĂ©placement, les destructions et les pillages massifs se sont poursuivis avec la mĂȘme intensitĂ© en 2015. Pendant cette pĂ©riode, les forces de l’opposition dans l’Etat d’UnitĂ© n’ont que peu ou pas rĂ©sistĂ© et ont fui avant les offensives de la SPLA, laissant les civils derriĂšre eux. Le rapport contient des rĂ©cits dĂ©chirants de civils soupçonnĂ©s de soutenir l’opposition, y compris des enfants et des personnes handicapĂ©es, qui ont Ă©tĂ© assassinĂ©s, brĂ»lĂ©s vifs, asphyxiĂ©s dans des conteneurs, tuĂ©s par balle, pendus Ă  des arbres ou dĂ©coupĂ©s en morceaux. Une femme a dĂ©clarĂ© Ă  l’équipe avoir Ă©tĂ© entiĂšrement dĂ©shabillĂ©e et violĂ©e par cinq soldats devant ses enfants au bord d’une route, puis violĂ©e par d’autres hommes dans les fourrĂ©es, avant de dĂ©couvrir que ses enfants avaient disparu. Une autre femme a Ă©tĂ© attachĂ©e Ă  un arbre aprĂšs que son mari ait Ă©tĂ© assassinĂ© et contrainte d’assister au viol de sa fille de 15 ans par dix soldats. Plusieurs femmes ont dĂ©clarĂ© avoir Ă©tĂ© violĂ©es aprĂšs avoir quittĂ© les camps protĂ©gĂ©s de l’ONU pour aller chercher de la nourriture. D’autres femmes ont dit avoir Ă©tĂ© kidnappĂ©es, maintenues en situation d’esclavage sexuel et prises comme « Ă©pouses » par des soldats dans des casernes. 

Ces agressions sexuelles sont caractĂ©risĂ©es par leur extrĂȘme brutalitĂ©. Dans certains cas, les femmes qui tentaient de rĂ©sister ou regardaient leurs violeurs dans les yeux ont Ă©tĂ© tuĂ©es. Un tĂ©moin a expliquĂ© que les femmes belles ou jeunes Ă©taient violĂ©es par dix hommes environ et les plus ĂągĂ©es par sept Ă  neuf hommes. 

La prĂ©valence du viol suggĂšre que son utilisation dans le cadre du conflit est devenue une pratique acceptable pour les soldats de la SPLA et les milices armĂ©es qui leur sont associĂ©es, indique le rapport. Les femmes et les filles Ă©taient considĂ©rĂ©es comme des marchandises et emmenĂ©es avec des biens civils lorsque les soldats passaient dans les villages. Certaines ont Ă©tĂ© forcĂ©es d’épouser leurs agresseurs; d’autres ont Ă©tĂ© victimes de stigmatisation et de violences domestiques du fait des grossesses ayant rĂ©sultĂ© des viols, ce qui a dissuadĂ© des femmes de signaler les crimes qu’elles ont subis. Tous ces Ă©lĂ©ments suggĂšrent que le viol fait part d’une stratĂ©gie intentionnelle pour terroriser et punir les civils. 

Bien que les enfants aient fait les frais de la violence tout au long du conflit - certains ont Ă©tĂ© blessĂ©s, violĂ©s, recrutĂ©s pour prendre part aux hostilitĂ©s et tuĂ©s -, une nette hausse des violations Ă  leur encontre a Ă©tĂ© rapportĂ©e en 2015. L’ONU a reçu des rapports faisant Ă©tat de 702 enfants victimes de violences sexuelles depuis le dĂ©but du conflit. Certaines victimes de viols collectifs Ă©taient ĂągĂ©es d’à peine neuf ans au moment des faits. Tant les forces gouvernementales que les forces d’opposition ont utilisĂ© des groupes de jeunes armĂ©s comprenant des adolescents. Des rapports font Ă©tat de 617 enfants soldats recrutĂ©s en 2014 mais l’ampleur du phĂ©nomĂšne est probablement beaucoup plus importante car des informations Ă©voquent le cas de milliers d’enfants recrutĂ©s, depuis le dĂ©but des violences, par les forces d’opposition dans l’Etat d’UnitĂ©. 

Des images satellitaires corroborent les rĂ©cits de destruction systĂ©matique de villes et villages Ă  travers le sud et le centre d’UnitĂ© en 2014 et 2015 par les forces gouvernementales et leurs milices. Elles suggĂšrent une stratĂ©gie dĂ©libĂ©rĂ©e pour priver les civils vivant dans ces zones de tout moyen de subsistance et de tout soutien matĂ©riel, conclut le rapport. A Malakal, dans l’Etat du Haut-Nil, 9 878 structures rĂ©sidentielles ont Ă©tĂ© dĂ©truites en 2014, prĂšs du quart des structures existantes dans la capitale de cet Etat. Des destructions d’une telle ampleur ne peuvent ĂȘtre justifiĂ©es, de maniĂšre plausible, par la nĂ©cessitĂ© militaire. Elles semblent constituer une forme de pillage organisĂ©. L’incendie des rĂ©coltes, les vols de bĂ©tail, les pillages et la destruction de rĂ©serves de nourriture ont aussi conduit Ă  crĂ©er des conditions proches de la famine dans l’Etat d’UnitĂ©. 

Les voix critiques ont continuĂ© Ă  ĂȘtre rĂ©duites au silence. En 2015, au moins sept journalistes ont Ă©tĂ© tuĂ©s et de nombreux militants arrĂȘtĂ©s. Des activistes de la sociĂ©tĂ© civile, des dĂ©fenseurs de droits de l’homme, des travailleurs humanitaires, des journalistes, des membres de la presse Ă©crite et mĂȘme des membres de l’ONU ont fait l’objet de menaces, d’intimidation, de harcĂšlement, de dĂ©tention et, dans certains cas, ont Ă©tĂ© tuĂ©s par le gouvernement. D’avril Ă  octobre 2015, au moins 13 travailleurs humanitaires ont Ă©tĂ© tuĂ©s dans le seul Etat d’UnitĂ©. En juillet 2015, les forces de l’opposition ont dĂ©libĂ©rĂ©ment tirĂ© sur un site pour civils dĂ©placĂ©s de la MINUSS Ă  Malakal, tuant et blessant des personnes qui s’y Ă©taient rĂ©fugiĂ©es pour fuir les violences. 

Le rapport passe en revue les dĂ©fis considĂ©rables rencontrĂ©s dans l’administration de la justice au Soudan du Sud, dont l’un tient Ă  la taille du pays, qui Ă©quivaut aux superficies de la France et de la Belgique rĂ©unies, et Ă  l’absence de routes pavĂ©es en dehors de la capitale. Il parle d’un Ă©chec chronique pour garantir ne serait-ce qu’un minimum de reddition de comptes, l’octroi d’amnisties et d’immunitĂ© Ă©tant la norme. Il est facile de s’échapper des prisons et les salles d’audience sont dĂ©labrĂ©es. L’anglais est la langue officielle utilisĂ©e par le systĂšme judiciaire mais peu de personnes la parlent. Les livres de droit sont rares et les juges comme les procureurs ont fui en raison des combats. De mĂ©moire, aucune arrestation pour meurtre par la police n’a jamais eu lieu dans la capitale. 

Le rapport recommande que le Conseil des droits de l’homme continue Ă  suivre les dĂ©veloppements dans le pays et envisage l’établissement d’un mĂ©canisme spĂ©cifique dĂ©diĂ© au Soudan du Sud pour suivre les progrĂšs dans le domaine de la reddition de comptes et des droits de l’homme. 

Le rapport demande aussi au Gouvernement d'union nationale de transition, une fois Ă©tabli, de prendre des mesures efficaces pour stopper et empĂȘcher les violations et abus des droits des enfants et pour Ă©liminer les violences sexuelles et fondĂ©es sur le genre, mais aussi pour promouvoir et respecter le rĂŽle de la sociĂ©tĂ© civile, y compris en garantissant les libertĂ©s d’opinion et d’expression, et de rassemblement pacifique.


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