SENEGAL: Les Ă©ducateurs agressent sexuellement leurs Ă©lĂšves

Les enseignants sont responsables de 20 pour cent des cas d’agressions sexuelles sur les 46 cas de viols recensĂ©s cette annĂ©e sur des filles Ă©lĂšves, et 96 pour cent des victimes sont des adolescentes vivant dans des banlieues de Dakar, la capitale sĂ©nĂ©galaise, selon une Ă©tude de la Direction de l’enseignement moyen secondaire gĂ©nĂ©ral au SĂ©nĂ©gal.

EngagĂ©s pour donner une bonne instruction aux Ă©lĂšves, certains enseignants violent ou engrossent les filles sans ĂȘtre inquiĂ©tĂ©s par les parents de la victime ou par la justice, indique l’étude.

Dr Jean Charles Moreau, professeur et chef du service de clinique gynĂ©cologique et obstĂ©tricale Ă  l’hĂŽpital Le Dantec de Dakar, rĂ©vĂšle, aprĂšs une Ă©tude prospective entre janvier 2005 et avril 2009, que le profil Ă©pidĂ©miologique des victimes des agressions sexuelles est celui d’une adolescente ĂągĂ©e en moyenne de 14 ans et que l’agresseur est souvent d’une trentaine d’annĂ©es vivant dans l’entourage de la victime.

Quelque «96,5 pour cent des filles violĂ©es vivent dans les banlieues de Dakar et 70 pour cent des agresseurs appartiennent Ă  l’entourage de la victime. Le contact gĂ©nito-gĂ©nital (rapport sexuel) reprĂ©sente 67,3 pour cent des cas d’agressions sexuelles et 94,6 pour cent des cas de viols se font sans protection», explique-t-il Ă  IPS.

Sur le plan clinique, Moreau indique Ă©galement que 70,9 pour cent des patientes prĂ©sentent des signes de traumatisme gĂ©nital rĂ©cent et 54,5 pour cent des filles agressĂ©es sexuellement ont des lĂ©sions hymĂ©nales. «Au cours du suivi de 55 patientes Ă©lĂšves admises suite Ă  des viols, trois grossesses sont survenues et 9,1 pour cent des victimes ont pu bĂ©nĂ©ficier d’une assistance psychologique», souligne-t-il.

Marie Siby, chargĂ©e des questions du genre au ministĂšre de l’Education, reconnaĂźt que c’est un phĂ©nomĂšne trĂšs rĂ©pandu dans le systĂšme Ă©ducatif sĂ©nĂ©galais. «La violence sexuelle Ă  l’école est rĂ©elle, malheureusement on ne s’est pas encore mobilisĂ© pour venir Ă  bout de ce phĂ©nomĂšne», dĂ©plore-t-elle Ă  IPS.

Pourtant, les consĂ©quences de ces agressions sexuelles ont un impact direct sur la scolarisation des filles, car si elles ne tombent pas enceintes, elles risquent d’ĂȘtre contaminĂ©es par le VIH/SIDA. «Je suis persuadĂ©e que certaines contre-performances des filles Ă  l’école sont liĂ©es Ă  cette violence. Lorsque les enfants subissent des violences Ă  l’école, le problĂšme de dĂ©motivation survient. Les filles s’absentent et quittent dĂ©finitivement l’école», dĂ©clare-t-elle.

Pour l'annĂ©e 2008, l’étude de la Direction de l'enseignement moyen secondaire place Kolda (rĂ©gion sud du SĂ©nĂ©gal) en tĂȘte des agressions sexuelles contre les filles Ă  l’école. En 2008, quelque 100 cas de grossesses non dĂ©sirĂ©es ont Ă©tĂ© enregistrĂ©s dans les Ă©coles Ă  Kolda. A Dakar, il y a eu 29 cas de grossesses dont huit avortements.

Siby incrimine les croyances socioculturelles, qui sont, selon elle, les causes des agressions sexuelles sur les filles. «Nos croyances n’accordent toujours pas Ă  la femme ses droits. L’école est considĂ©rĂ©e comme un lieu qui engendre la rĂ©volte et la dĂ©sobĂ©issance chez les filles», explique-t-elle, un peu gĂȘnĂ©e.

Selon Siby, la fille qui va Ă  l'Ă©cole au SĂ©nĂ©gal est lĂ©sĂ©e par rapport au garçon, parce que la femme, dans la culture locale, est considĂ©rĂ©e comme un ĂȘtre infĂ©rieur, qui doit tout subir et tout accepter sans broncher. Ensuite, ajoute-t-elle, le rĂŽle de l’islam n’est pas toujours positif dans l'Ă©ducation des filles. Et Ă  tout cela, s'ajoute la dislocation du tissu social.

Mame Bousso Samb Diack, directrice du Forum des Ă©ducatrices africaines (FAWE) au SĂ©nĂ©gal, une organisation qui lutte pour la scolarisation et le maintien des filles Ă  l’école, estime que la famille et l’école ont un grand rĂŽle Ă  jouer pour prendre Ă  bras le corps le phĂ©nomĂšne des agressions sexuelles sur les filles.

Elle a Ă©galement fustigĂ© l’attitude de certains directeurs d’école qui sont prompts Ă  jouer au mĂ©diateur entre l’enseignant et la famille de la victime. «Il faut responsabiliser les chefs d’établissements et les inspecteurs d’acadĂ©mie pour la prise en charge des cas d’agressions sexuelles», insiste-t-elle.

«La premiĂšre fois que mon professeur des sciences de la vie et de la terre m’a violĂ©, c’était le 12 fĂ©vrier 2009, il m’avait donnĂ© ses effets en me disant de lui amener ça Ă  la maison. Quand je suis arrivĂ©e chez lui, il est aussi apparu et a sautĂ© sur moi. AprĂšs, il m’a menacĂ©e en me demandant de ne rien dire», dĂ©clare AĂŻda en pleurs, une Ă©lĂšve de 15 ans au lycĂ©e des Parcelles assainies, une banlieue de Dakar.

NĂ©nĂ©, 16 ans, une Ă©lĂšve au lycĂ©e de Ziguinchor, dans le sud du SĂ©nĂ©gal, explique aussi que les cas de viols sont plus frĂ©quents Ă  l’intĂ©rieur du SĂ©nĂ©gal qu’à Dakar, mais que souvent les parents interviennent pour noyer l’affaire.

«Vous savez, le plus souvent, on a honte de dire ça aux parents. On a aussi peur des professeurs et des reprĂ©sailles. Moi aussi, j’ai Ă©tĂ© violĂ©e. Pour mettre fin Ă  ça, j’ai changĂ© d’établissement, c’est pourquoi j’ai prĂ©fĂ©rĂ© venir Ă  Dakar pour frĂ©quenter, mais Dakar, c’est pire», explique-t-elle, un peu agacĂ©e.

Jeannette 17 ans, une Ă©lĂšve au lycĂ©e Blaise Diagne Ă  Dakar, reconnaĂźt qu’il y a des professeurs vicieux, mais ajoute que ce sont les jeunes filles qui les provoquent le plus souvent. «Les filles font tout pour avoir de bonnes notes, on appelle cela les notes sexuellement transmissibles. On les connaĂźt dans notre Ă©tablissement. Le plus souvent, elles viennent en retard aux heures du professeur qu’elles lorgnent, elles portent des choses pour provoquer les professeurs», affirme-t-elle Ă  IPS.

Un professeur de français dans un lycĂ©e de Dakar, qui a requis l’anonymat, dĂ©clare Ă  IPS que le problĂšme de viol sur les filles est trĂšs complexe. Selon lui, la responsabilitĂ© est partagĂ©e.

«Je ne dĂ©fends pas les collĂšgues, mais nos Ă©lĂšves filles nous provoquent. Elles donnent des sobriquets Ă  chaque professeur; elles vont parfois jusqu’à Ă©crire des lettres d’amour aux professeurs. L’autre part de responsabilitĂ© revient Ă  l’Etat qui engage les jeunes professeurs qui ne sont pas psychologiquement formĂ©s. Lorsqu’ils voient les jeunes filles, le contact entre eux se fait rapidement et bonjour les dĂ©gĂąts», explique-t-il Ă  IPS.

La question d’abus sexuel sur les filles Ă  l’école, estime Aliou Niang, un pĂšre de famille, est liĂ©e Ă  une bonne Ă©ducation. «Moi, mes filles ne me cachent rien. Lorsqu’un garçon Ă©crit une lettre Ă  une de mes filles, elles me la montrent. C’est pour vous dire que je discute avec elles sur tous les sujets sans tabou, et elles savent ce que je veux», dit-il Ă  IPS.

Pour sa part, Samba Faye, un conseiller au ministĂšre de la Justice, a reconnu l’absence totale, dans le Code pĂ©nal sĂ©nĂ©galais, des aspects juridiques relatifs aux agressions sexuelles. Le code devrait, selon lui, apporter une rĂ©ponse judiciaire au traitement des auteurs d’agressions sexuelles, de mĂȘme que des mesures d’assistance matĂ©rielle, mĂ©dicale et psychologique au profit des victimes.

pdf: http://www.ipsinternational.org/fr/_note.asp?idnews=5411

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