SENEGAL: Dakar regorge d'enfants mendiants venus de Guinée-Bissau

[3 septembre 2008] - Des garçons âgés de quatre à 12 ans, originaires des villages de Guinée-Bissau, non loin de la frontière sud du Sénégal, sont très nombreux à mendier à Dakar, la capitale sénégalaise, alors qu’ils sont venus apprendre le Coran auprès des maîtres marabouts, a constaté IPS sur place.

Ces enfants viennent pour la plupart des villages de Bafata, Gabou et Birada peuplés de Peuls, dans le nord de la Guinée-Bissau, et constituent 30 pour cent des enfants mendiants à Dakar, communément appelés les "talibés", selon une enquête effectuée en août par le Centre africain d'études supérieures en gestion, une institution sous-régionale de formation basée à Dakar.

L'étude indique que plus de 8.000 enfants sont touchés par le phénomène de la mendicité infantile dans la région de Dakar qui comprend quatre départements : Dakar, Rufisque, Pikine et Guédjewaye. L'enquête ajoute que sur les 8.000 enfants mendiants, 30 pour cent sont également originaires du Mali, un autre pays voisin du Sénégal en Afrique de l'ouest.

"Mon père m'avait recommandé au marabout pour que j'apprenne le Coran, mais je n'ai même pas une heure de cours religieux par jour. Je dois tout faire chaque jour pour obtenir 500 francs CFA (environ 1,15 dollar) avant de rentrer chez mon marabout, sinon je suis mort, on va bien me frapper", a déclaré à IPS, Ibrahima Ka, un jeune talibé bissau-guinéen rencontré dans la rue Bourguiba, à Dakar.

Ibrahim, âgé de 10 ans, fait partie d'un groupe de 12 enfants talibés bissau-guinéens parlant le Peul. Ils affirment que chaque jour, ils passent des heures à parcourir les rues de Dakar à la recherche d'une pitance et à demander l'aumône pour réunir la somme d'argent exigée quotidiennement par leurs marabouts à Grand Dakar, en banlieue. Ils sont vêtus de haillons, pieds nus et sales, leurs têtes couvertes de boutons et de petites plaies.

Un autre groupe de six talibés bissau-guinéens, rencontré dans le centre-ville, indique à IPS que leur marabout exige 700 FCFA (environ 1,5 dollar) par jour, et qu'ils se lèvent tôt à 5 heures du matin pour commencer à mendier jusqu'à 21 heures le soir, et parfois plus tard. "Notre marabout est à Guédjewaye, une banlieue lointaine de Dakar; donc on doit vite se réveiller pour vite arriver ici à Dakar", raconte Sidi Sow qui vient de Bafata.

Sidi, âgé de neuf ans et qui a déjà passé trois ans avec son marabout, raconte à IPS son itinéraire avant d'arriver à Dakar. "A six ans, mon père m'a confié au marabout El-Hadj Kane pour que j'apprenne le Coran, mais après quelques mois à Birada à Bissau, il nous a amenés à Kolda (sud du Sénégal) : on était 79 enfants talibés".

"Ensuite, il nous a amenés à Tambacounda, (est du Sénégal), puis à Kaolack (ouest) et enfin, nous sommes arrivés à Dakar il y a deux ans. Dans chacune des deux villes, on a passé au moins un mois", ajoute Sidi.

Les marabouts rencontrés ont préféré ne rien dire à IPS, sauf El-Hadj Dia qui compte parmi ses talibés 39 enfants bissau-guinéens, et habite Grand Dakar. Selon lui, il est indispensable d'envoyer leurs talibés mendier car, dit-il, quand un parent confiait son enfant au marabout, cela s'accompagnait de présents, mais aujourd'hui rares sont les parents qui le font.

"Les parents nous confient seulement leurs enfants, sans rien nous donner en retour, or nous sommes aussi des pères de famille, je n'y peux rien. Mais moi, je fais tout pour enseigner le Coran à mes talibés", explique-t-il à IPS.

Selon les statistiques de l'Empire des enfants, un centre non gouvernemental basé à Dakar, plus de 200 enfants bissau-guinéens ont pu rejoindre leur famille cette année. Ce centre s'occupe de la réinsertion des enfants victimes de traite ou de trafic, et de leur retour en famille, en partenariat avec l'Organisation internationale des migrations.

"Dans le centre, il y a en majorité des enfants talibés de Guinée-Bissau, et après les avoir recueillis dans la rue, nous travaillons avec nos point focaux en Guinée-Bissau, qui facilitent les recherches pour que les enfants puissent retrouver leurs pères biologiques", explique Moussa Coulibaly, un responsable du centre Empire des enfants.

Selon Coulibaly, les enfants bissau-guinéens talibés sont plus nombreux que les enfants talibés sénégalais : dans leur centre, dit-il, sur 100 enfants, au moins 60 sont de Guinée-Bissau.

Coulibaly explique également à IPS que le phénomène de talibés était une tradition dans certains pays de la sous-région, notamment en Guinée-Bissau, au Mali, en Gambie, en Guinée (Conakry) et au Sénégal. Mais, ajoute-t-il, les conditions de vie difficiles en milieu rural provoquent souvent une délocalisation des talibés vers Dakar, ce qui permet aux marabouts d'exploiter les enfants.

IPS a rencontré vendredi dernier trois parents venus de Guinée-Bissau retirer leurs enfants au centre. Ils avaient le regard triste et ému. Selon Ismaël Baldé, père de l'enfant Abdoulaye Baldé, venu de Bafata, le marabout à qui il avait confié son enfant depuis trois ans, lui avait dit l'année dernière que son fils était décédé et inhumé à Dakar.

"Le marabout m'avait dit que mon enfant est tombé malade et est décédé. On a même fait son deuil avant que les représentants de l'Empire des enfants dans notre pays ne nous informent que notre enfant est à Dakar et c'est vrai, j'ai vu mon fils, il est vivant, je suis content", dit-il à IPS, les larmes aux yeux.

Pour sa part, l'enfant Abdoulaye dit être trop pressé pour rentrer. "Je veux seulement partir et retrouver ma mère et mes cousines; tu sais, j'ai souffert avec mon marabout", déclare-t-il à IPS. "Si je ne trouve pas 500 FCFA, je reçois des coups et j'avais même des plaies partout; c'est pourquoi un jour, j'ai refusé de retourner chez mon marabout et puisqu'il ne me voyait plus, il pensait que j'étais mort, je suis très content de revoir mon père".

 

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