Soumis par crinadmin le
[BANGUI, 19 fĂ©vrier 2009] - Il est huit heures du matin, les portes du complexe pĂ©diatrique de Bangui, la capitale de la RĂ©publique centrafricaine (RCA), se ferment : le centre grouille dĂ©jĂ de monde et les consultations pour les enfants vivant avec le VIH vont pouvoir commencer. Ils sont 2 240 enfants Ă ĂȘtre suivis dans cet hĂŽpital, le principal centre de prise en charge pĂ©diatrique du VIH en RCA. Environ la moitiĂ© de ces enfants ont Ă©tĂ© confirmĂ©s positifs au VIH, certains via la transmission du virus de la mĂšre Ă lâenfant, dâautres suite Ă des violences sexuelles ou des transfusions sanguines non sĂ©curisĂ©es, et plus de 500 sont sous antirĂ©troviraux (ARV). Le docteur Olivia Mbitikon est le mĂ©decin prescripteur rĂ©fĂ©rent du complexe. Elle est tous les jours confrontĂ©e aux difficultĂ©s des familles Ă assurer les soins de leurs enfants infectĂ©s, dans un pays qui a connu des annĂ©es de violences civiles et reste confrontĂ© Ă une insĂ©curitĂ© permanente, et oĂč 67 pour cent des populations vivent avec moins dâun dollar par jour, selon les Nations Unies. « Les abandons dâenfants sont frĂ©quents », sâest-elle dĂ©solĂ©e. « Les familles doivent emmener leurs enfants une fois par mois au centre pour les ARV, mais elles nâont pas dâargent pour payer le transport, alors elles prĂ©fĂšrent ne pas venir, ou elles viennent et elles laissent leurs enfants ». Beaucoup dâautres petits patients sont orphelins, a-t-elle notĂ©. Selon le Fonds des Nations Unies pour lâenfance (UNICEF), environ 140 000 enfants sont orphelins du VIH/SIDA dans ce pays de quelque 4,3 millions dâhabitants, qui affiche un taux de prĂ©valence de 6,2 pour cent, selon les autoritĂ©s. An moins cinq mĂ©decins devraient en principe assurer la prise en charge de ces enfants au complexe pĂ©diatrique, mais dans la rĂ©alitĂ©, la plupart des praticiens prĂ©fĂ©rant travailler dans dâautres services oĂč ils reçoivent des primes, contrairement Ă celui-ci, Mme Mbitikon est souvent seule Ă sâoccuper des jeunes patients. « Jâai fait ma thĂšse ici, je suis habituĂ©e avec les enfants, alors je reste ». Ce jeune mĂ©decin voit jusquâĂ 60 patients par jour. Dans le cadre de la dĂ©lĂ©gation des tĂąches, comme recommandĂ© par lâOrganisation mondiale de la santĂ© dans les pays confrontĂ©s Ă une pĂ©nurie de personnels mĂ©dicaux, elle est aidĂ©e par quatre paramĂ©dicaux. Ces derniers peuvent lâaider Ă recevoir les patients et Ă renouveler les ordonnances, mais pas Ă faire les prescriptions. En cas dâabsence du prescripteur, « on reporte les consultations », a dit Mme Mbitikon. Ruptures de stocks La prise en charge des enfants sĂ©ropositifs a Ă©tĂ© rendue possible grĂące au financement du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, et Ă des partenaires qui soutiennent le complexe, comme lâUNICEF et le Programme alimentaire mondial. Les ARV sont distribuĂ©s gratuitement, et le complexe nâa pas connu de ruptures de stocks, contrairement Ă dâautres structures en RCA, les commandes Ă©tant passĂ©es avec des prĂ©visions de plusieurs mois, a affirmĂ© Mme Mbitikon. Mais ce nâest pas toujours le cas des mĂ©dicaments pour les infections opportunistes liĂ©es au VIH/SIDA, Ă©galement fournis par le Fonds mondial : lorsquâIRIN/PlusNews a visitĂ© le complexe, certains mĂ©dicaments manquaient. « Quand ça arrive, on explique la situation aux familles, si elles peuvent, elles vont acheter les mĂ©dicaments, elles essayent de nĂ©gocier avec les pharmaciens, mais si elles ne peuvent pas, lâenfant reste comme ça ». Câest le cas de Daniel*, allongĂ© sur un lit de lâune des salles du complexe, les yeux mi-clos, sa grand-mĂšre Ă ses cĂŽtĂ©s. A 12 ans, cet orphelin de pĂšre et de mĂšre, infectĂ© au VIH, ne pĂšse que 16 kilos â le poids dâun enfant de moins de cinq ans, selon les normes internationales - et souffre de dĂ©shydratation et de multiples infections. « Nous lui avons fait les tests, il est Ă©ligible aux ARV, mais on ne peut pas lui en donner tant que sa santĂ© ne sâest pas amĂ©liorĂ©e, et sa grand-mĂšre nâa pas les moyens de payer lâordonnance », a expliquĂ© Mme Mbitikon. Le complexe pĂ©diatrique dispose dâun service social, auquel les patients les plus dĂ©munis sont rĂ©fĂ©rĂ©s, mais les moyens de ce service sont limitĂ©s : dans le cas de Daniel, sa grand-mĂšre a Ă©tĂ© dispensĂ©e de payer les frais dâhospitalisation, mais le service nâa pas pu lui fournir les mĂ©dicaments. La bonne volontĂ© nâest pas toujours suffisante pour permettre Ă ces grands-parents vieillissants de prendre soin de leurs petits-enfants malades. « Les doses pĂ©diatriques sont trĂšs petites, câest difficile de les calculer. Alors on prend les boĂźtes et on fait des marques pour les aider », a expliquĂ© Mme Mbitikon. Malnutrition La surcharge de travail ne permet pas aux soignants du complexe pĂ©diatrique de passer autant de temps quâils le voudraient avec les jeunes patients, dont les familles, lorsquâil y en a, vivent souvent dans le dĂ©nuement et ont besoin dâĂȘtre soutenues. « Beaucoup dâenfants [sĂ©ropositifs] sont malnutris, mais la supplĂ©mentation nutritionnelle est rĂ©servĂ©e Ă ceux sous ARV », a-t-elle notĂ©. « Il y a une unitĂ© pour la malnutrition sĂ©vĂšre, mais parfois il nây a pas de place, on met dĂ©jĂ deux ou trois enfants par lit, alors on dit aux patients de rentrer chez eux. Pour les autres qui sont en situation de malnutrition modĂ©rĂ©e ou lĂ©gĂšre, on ne peut que donner des conseils, mais les familles doivent trouver les moyens de [les appliquer] ». Pour Josiane*, trouver de quoi nourrir son plus jeune fils, ĂągĂ© de trois ans et dĂ©pistĂ© positif au VIH aprĂšs plusieurs Ă©pisodes de maladies, est un souci majeur. « Tout ce quâon fait pour mon fils Ă lâhĂŽpital, câest bien, il a bien repris », a dit cette femme de 35 ans, sĂ©ropositive et mĂšre de deux autres enfants plus ĂągĂ©s. « Mais il est capricieux, il mange beaucoup et je nâai pas de travail, câest trĂšs difficile de le nourrir ». La dĂ©tresse de certaines familles est telle que certains parents tentent de trafiquer les ordonnances de leurs enfants pour obtenir une aide alimentaire : le Groupe de soutien du complexe pĂ©diatrique, qui suit des centaines dâenfants, est parfois tĂ©moin de situations douloureuses, a notĂ© Aubierge BathĂ©, son coordinateur. « Parfois, quand des parents qui ont abandonnĂ© leur enfant au complexe voient quâil recommence Ă grossir, ils se prĂ©sentent pour venir le rĂ©cupĂ©rer et bĂ©nĂ©ficier dâune aide alimentaire », a-t-il dit. « Câest le problĂšme de la pauvretĂ© extrĂȘme ». Lâavenir Les enfants font partie des prioritĂ©s du plan stratĂ©gique national de lutte contre le VIH/SIDA 2006-2010, ont notĂ© plusieurs acteurs de la lutte contre lâĂ©pidĂ©mie en RCA. « Des engagements forts ont Ă©tĂ© pris en faveur de la PTPE [prĂ©vention de la transmission du VIH des parents Ă lâenfant], pour [promouvoir] la prise en charge prĂ©coce des enfants, notamment en Ă©largissant le diagnostic prĂ©coce et lâallaitement protĂ©gĂ© », a notĂ© FĂ©lix de Marliave, coordonnateur santĂ© du centre de traitement de la Croix-Rouge française Ă Bangui, qui suit quelque 2 000 patients sĂ©ropositifs en file active. Des programmes ont Ă©galement Ă©tĂ© mis en place, comme un projet pilote de suivi des femmes enceintes grĂące Ă la mise en place dâun systĂšme de rĂ©fĂ©rence entre le complexe pĂ©diatrique, la maternitĂ© de lâhĂŽpital et le centre de la Croix-Rouge, avec lâobjectif de rĂ©duire Ă moins de deux pour cent la transmission du virus et de diminuer de 75 pour cent la mortalitĂ© des enfants infectĂ©s. MalgrĂ© tout, ces efforts restent insuffisants face aux besoins. Les autoritĂ©s espĂšrent pouvoir amĂ©liorer la situation de ces enfants notamment grĂące Ă la subvention VIH/SIDA du Fonds mondial, signĂ©e en novembre 2008 pour un montant de 43 millions de dollars sur cinq ans. En attendant, les enfants dĂ©pistĂ©s positifs au VIH Ă Bangui et en pĂ©riphĂ©rie continuent Ă affluer tous les jours au complexe pĂ©diatrique. Quelque 24 000 enfants vivent avec le VIH en RCA, selon les Nations Unies, dans un pays oĂč prĂšs dâun enfant sur trois ĂągĂ© de moins de cinq ans souffre dâinsuffisance pondĂ©rale, et oĂč 27 000 enfants de cette classe dâĂąge meurent chaque annĂ©e, dâaprĂšs lâUNICEF. * Un nom dâemprunt