Soumis par Louise le
[Le 11 août 2015] -
Moins de quatre mois aprĂšs la rĂ©vĂ©lation de graves accusations mettant en cause des casques bleus français, les forces de maintien de la paix dĂ©ployĂ©es en RĂ©publique centrafricaine sont Ă nouveau au centre dâun scandale portant gravement atteinte Ă leur image et Ă leur fonction dans ce pays toujours meurtri.
Dans le cas prĂ©sent, les soupçons de viol dâune fillette de 12 ans ainsi que « deux homicides aveugles », rĂ©vĂ©lĂ©s par une organisation de dĂ©fense des droits de lâhomme, semblent suffisamment sĂ©rieuses pour avoir poussĂ© le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Nations unies, Ban Ki-moon, Ă relever de ses fonctions son reprĂ©sentant spĂ©cial en RĂ©publique centrafricaine (RCA), deux jours seulement aprĂšs la publication de lâenquĂȘte dâAmnesty International.
« Le tourment et la honte »
Rompant avec son langage diplomatique habituel, le Sud-CorĂ©en Ban Ki-moon a ainsi laissĂ© poindre son exaspĂ©ration. « Il mâest impossible de mettre en mot la colĂšre, le tourment et la honte que je ressens aprĂšs ces accusations, rĂ©currentes au fil des annĂ©es, dâexploitation sexuelle et dâabus commis par des forces onusiennes (âŠ). Je ne tolĂ©rerai aucun agissement de ceux qui remplacent la confiance par la peur (âŠ). Trop, câest trop », a martelĂ© le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral. Sous pression, le chef de la mission de lâONU en Centrafrique (Minusca) a dĂ©missionnĂ©, mercredi 12 aoĂ»t.
Le diplomate sĂ©nĂ©galais, Babacar Gaye, 64 ans, « a remis sa dĂ©mission Ă ma demande », a dĂ©clarĂ© Ban Ki-moon. M. Gaye a lui-mĂȘme corroborĂ© ces propos, affirmant Ă la chaĂźne de tĂ©lĂ©vision France 24 que son dĂ©part reprĂ©sentait « la rĂ©ponse Ă une attitude qui est tout simplement inacceptable de la part de soldats venus dĂ©fendre un peuple et le protĂ©ger ». Il a Ă©tĂ© remplacĂ© par un Gabonais, Parfait Onanga-Anyanga.
Cette annonce intervient au lendemain de lâouverture dâune enquĂȘte interne sur des accusations de viol dâune fillette et de lâhomicide dâun adolescent de 16 ans et de son pĂšre, qui auraient Ă©tĂ© commis par des casques bleus camerounais et rwandais au cours dâune opĂ©ration armĂ©e Ă Bangui, dans lâenclave musulmane du PK5. Le premier Ă©vĂ©nement ce serait dĂ©roulĂ© dans la nuit du 2 aoĂ»t. « Pendant une perquisition effectuĂ©e dans une maison, vers 2 heures du matin, la fillette sâĂ©tait cachĂ©e dans la salle de bains. Un homme portant, semble-t-il, un casque bleu et un gilet des forces de maintien de la paix des Nations unies lâa emmenĂ©e Ă lâextĂ©rieur et violĂ©e derriĂšre un camion », explique Amnesty International, qui dit avoir recueilli, « immĂ©diatement aprĂšs les faits » les dires de quinze tĂ©moins. « LâinfirmiĂšre qui a examinĂ© la fillette a relevĂ© des Ă©lĂ©ments qui pourraient ĂȘtre imputables Ă une agression sexuelle », poursuit lâONG.
A lâaube de ce 2 aoĂ»t, sans que les deux Ă©vĂ©nements semblent liĂ©s, une patrouille de la Minusca Ă©tait la cible dâune attaque alors quâelle sâapprĂȘtait Ă interpeller, dans ce mĂȘme quartier du PK5, un ancien chef de lâex-SĂ©lĂ©ka, la milice Ă dominante musulmane qui avait pris le pouvoir Ă Bangui en mars 2013, avant dâen ĂȘtre chassĂ©e lâannĂ©e suivante. Un soldat camerounais avait alors Ă©tĂ© tuĂ©, neuf autres blessĂ©s, pris sous le feu dâarmes automatiques et de lance-roquettes. Câest le lendemain de cet affrontement que le deuxiĂšme incident grave dĂ©noncĂ© par Amnesty sâest dĂ©roulĂ©.
LâimmunitĂ© des casques bleus
« Cela ressemblait Ă une opĂ©ration punitive », avance un humanitaire joint sur place. Le 3 aoĂ»t, un contingent de la Minusca est en effet retournĂ© dans le quartier oĂč ils avaient essuyĂ© des tirs la veille. « DâaprĂšs des tĂ©moins, il nây a pas eu de coups de feu en direction des soldats et ceux-ci nâont pas Ă©tĂ© menacĂ©s (âŠ) dans le quartier de Yambassa. Les soldats marchaient en deux colonnes, de part et dâautre de la rue, et tiraient frĂ©quemment Ă mesure quâils avançaient », relate Amnesty. Balla Hadji (61 ans) et son fils Souleimane (16 ans) ont Ă©tĂ© tuĂ©s lors de cette opĂ©ration.
Dans une affaire sĂ©parĂ©e, la France enquĂȘte sur des allĂ©gations dâabus sexuels commis sur des enfants en RCA entre dĂ©cembre 2013 et juin 2014. Ces accusations visent notamment 14 soldats français qui faisaient partie de lâopĂ©ration « Sangaris » menĂ©e par la France. Celle-ci nâĂ©tait pas sous le commandement des Nations unies, mais lâONU a nommĂ© une commission indĂ©pendante pour enquĂȘter sur ce cas, et plus prĂ©cisĂ©ment sur la façon dont lâONU a gĂ©rĂ© lâaffaire, aprĂšs des critiques pointant du doigt la lenteur de sa rĂ©action sur le dossier.
Signe de la prĂ©occupation des Nations unies, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral sâest entretenu jeudi 13 aoĂ»t avec tous les chefs des missions de la paix prĂ©sentes dans le monde. La portĂ©e de son message destinĂ© Ă Ă©viter les dĂ©rapages risque toutefois de se heurter Ă un problĂšme structurel. « Les casques bleus bĂ©nĂ©ficient de lâimmunitĂ© dans les pays dans lesquels ils sont dĂ©ployĂ©s. Chaque contingent relĂšve de la justice de son pays dâorigine », souligne Florent Geel, de la FĂ©dĂ©ration internationale des ligues des droits de lâhomme.
Entre 2008 et 2013, 480 cas dâabus ou dâexploitation sexuelle ont Ă©tĂ© recensĂ©s au sein de lâONU, rĂ©vĂ©lait, un rapport du bureau dâenquĂȘte des Nations unies publiĂ© en juin. Mais selon ses auteurs, « les rapports sexuels en Ă©change de nourriture, dâargent ou de tout autre bien matĂ©riel », bien que « frĂ©quents », sont « rarement signalĂ©s ».
La Minusca a Ă©tĂ© Ă©tablie en avril 2014 pour mettre un terme aux affrontements intercommunautaires qui ravageaient la Centrafrique depuis plusieurs mois. Depuis lors, le pays est restĂ© divisĂ© en deux et le dĂ©sarmement des milices nâa jamais vraiment eu lieu alors que les autoritĂ©s de transition entendent toujours organiser des Ă©lections gĂ©nĂ©rales Ă lâautomne.
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