OUZBEKISTAN: Du coton produit sous la contrainte

Summary: Le deuxième pays exportateur d'"or blanc" au monde utilise aujourd'hui encore le travail forcé des enfants dans les champs.

[Le 4 juillet 2011] - Les campagnes internationales de prévention et les appels au boycott du coton ouzbek n'y font rien. Cette année, l'Ouzbékistan, le deuxième exportateur mondial d'"or blanc" continue d'utiliser le travail forcé des enfants dans les champs.

Le site internet Fergana.ru l'annonçait le 1er juin dernier: malgré l'interdiction officielle décrétée il y a quelques années par les autorités, "les élèves des écoles, des lycées et des collèges sont appelés depuis le 10 mai à travailler sur les plantations de la principale culture agricole du pays, et cela pour une durée de 40 à 45 jours". Autant de jours d'école manqués, dans une région où le niveau d'éducation est considéré comme très bas.

Ces enfants, aujourd'hui occupés au désherbage, précédant la semence, retourneront à nouveau aux champs après les vacances d'été, pour les semaines de récolte de l'automne. Celles-ci peuvent durer jusqu'à trois mois, juste le temps d'arriver aux vacances d'hiver. Si la récolte attire en général davantage l'attention internationale que la période de désherbage, pour les enfants, rappelle Fergana.ru, pas de différence: "Dans les deux cas, ils devront mettre de côté leur éducation pendant plusieurs semaines afin de travailler dans les champs de coton." Avec, en plus, les risques de maladie que comporte un travail dans des champs saturés de pesticides, et des conditions d'hygiène inquiétantes: un reportage de la BBC, en novembre 2009, faisait état d'enfants contraints d'utiliser des canaux d'irrigation pour boire et se laver.

Cartes de crédit acceptées

Il est bien sûr possible d'échapper à ce travail forcé, mais à un prix très élevé: cités par Fergana.ru, les militants des droits de l'homme Elena Ourlaeva et Dmitry Tikhonov mentionnent ainsi des montants d'exemption de 60 à 85 dollars américains, pour un pays où le salaire moyen avoisine, selon certaines estimations, 200 dollars. Signe toutefois d'une certaine modernité, le système de corruption serait si bien organisé, selon Dmitry Tikhonov, que les cartes de crédit seraient acceptées pour obtenir une exemption de travail aux champs.

Les avantages économiques de ce système sont connus. L'utilisation de cette main-d'oeuvre presque gratuite (en 2009, la BBC indiquait une rémunération de 80 cents de dollar américain pour un kilogramme de coton récolté, un montant insuffisant à l'achat de leurs repas quotidiens par les enfants) permet de maintenir des coûts de production extrêmement bas.

Travail forcé

Comme l'indique le rapport 2011 du Département d'Etat américain sur la traite des personnes dans le monde (qui inclut le travail forcé), les prix "artificiellement bas" payés par le gouvernement ouzbek pour le coton produit, ne laissent d'ailleurs pas la possibilité aux fermiers de fixer des salaires attractifs pour les travailleurs. Et ce sont les gouverneurs des provinces, tenus responsables des résultats des récoltes qui, par la pression exercée sur les fonctionnaires locaux, incitent ceux-ci à organiser le travail forcé, non seulement des enfants, mais également d'"étudiants universitaires" et même de certains "travailleurs gouvernementaux".Dans une étude détaillée publiée en 2005, l'International Crisis Group (ICG) offrait un comparatif intéressant des prix de la tonne de coton fixée par le gouvernement ouzbek, par rapport aux prix du marché libéralisé du Kirghizistan voisin: entre 50 et 80 dollars la tonne en Ouzbékistan contre 250-320 dollars de l'autre côté de la frontière.

Mais c'est ensuite aux prix internationaux que le Ministère des relations économiques, de l'investissement et du commerce vend cette production, à travers ses compagnies exportatrices. La différence serait colossale, même si elle est difficile à chiffrer avec précision, étant donné la faible fiabilité et l'opacité statistique de l'Ouzbékistan. L'organisation non gouvernementale britannique Environmental Justice Foundation estime toutefois que le pays produit annuellement près de 800 000 tonnes pour des revenus d'un milliard de dollars. Globalement, selon le CIA Factbook, l'Ouzbékistan serait aujourd'hui le cinquième plus gros producteur et le deuxième exportateur mondial de coton.

Dépenses de prestige

Pour ICG, peu de doutes que la plus grande partie de ces revenus parviennent ensuite dans les "poches des officiels gouvernementaux et de leurs alliés". Lorsqu'ils sont dépensés, c'est la plupart du temps "à perte", dans des "projets de prestige" n'aidant guère à compenser la "pauvreté rurale sur laquelle ils sont basés". Malgré l'absence de transparence générale en Ouzbékistan, ce ne seraient, estime ICG, pas plus de 10% ou 15% des revenus générés par la vente du coton qui reviendraient à l'agriculture et aux fermiers.

Ni en Suisse, ni en France, il n'a été possible de recueillir la réaction de membres des représentations officielles de l'Ouzbékistan.

Les enfants appelés à travailler dans les champs manquent des jours d'école dans un pays où le niveau d'éducation est considéré comme très bas.

Un pays opaque

En raison de la situation particulière de la liberté d'expression et de la rareté d'informations fiables et indépendantes, l'Ouzbékistan est un pays très difficile à analyser. Reporters sans frontières le classe à la 163e place sur 178 Etats en matière de liberté de la presse, et qualifie le président Islam Karimov de "prédateur de la liberté de la presse".

Déjà dubitatifs devant des médias locaux surveillés, les observateurs sont en outre privés des reportages sur place de médias comme la BBC, qui, pour des raisons de sécurité, ont retiré leurs correspondants du pays. Les interlocuteurs sur place refusent souvent de témoigner autrement que de manière anonyme.

En 2007, l'International Crisis Group avertissait qu'elle avait, "durant les deux dernières années", à l'instar d'autres analystes, connu "des difficultés croissantes à obtenir des informations directes sur l'Ouzbékistan". Son dernier rapport en date, n'était alors basé que "sur des rapports publiés et des interviews de personnes ayant récemment quitté le pays", dont les noms ne pouvaient être mentionnés pour des "raisons de sécurité".

La situation n'a guère changé depuis: quelques médias spécialisés, et les rapports d'organisations non gouvernementales (que l'on ne peut vérifier qu'avec des correspondants impossibles à citer), constituent dès lors les principales sources disponibles. Enfin, les représentations ouzbèkes en Suisse ou en France, refusent tout simplement de répondre aux journalistes. Après que le téléphone de la Mission de Genève eut sonné plusieurs jours dans le vide, invité à s'exprimer sur le travail forcé des enfants, un représentant de l'ambassade ouzbèke à Paris s'est contenté d'exprimer un puissant "no comment, no comment", avant de raccrocher brutalement le téléphone. alo

Parlementaires européens inquiets

Alors que l'Union européenne négocie actuellement un nouvel accord sur le textile, des parlementaires européens ont régulièrement soulevé la question du travail forcé des enfants dans l'industrie du coton en Ouzbékistan. La députée écologiste française Nicole Kiil-Nielsen, dénonçait par exemple, dans une question écrite du 21 juin dernier, les conditions de travail des enfants dans les champs de coton ouzbeks et le refus, par l'Ouzbékistan, d'accepter une mission de contrôle de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur le sujet.

Selon la députée européenne, ce serait "près de deux millions d'écoliers (réd: presque 9000 écoles)" qui "sont forcés à travailler pour une période maximale de trois mois dans les champs de coton chaque année". Résultat d'un environnement saturé de "pesticides, herbicides et désherbants", et "bien que les statistiques sur les maladies des enfants ne soient pas publiques, on sait que beaucoup d'enfants souffrent d'hépatite B, d'anémie, d'infections multiples des pieds et d'autres maladies". Plusieurs "cas mortels" auraient été signalés.

Alors que rien n'a pour l'instant filtré des deux jours de "dialogue" sur les droits de l'homme qui ont réuni, les 23 et 24 juin derniers, représentants de l'UE et des autorités ouzbèkes, le Parlement européen, affirme Nicole Kiil-Nielsen, ne "donnera pas son consentement sur le protocole de textile UE-Ouzbékistan si des garanties solides ne sont pas obtenues sur l'arrêt du travail forcé des enfants!". alo

pdf: http://www.lenouvelliste.ch/fr/news/suisse/du-coton-produit-sous-la-cont...

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