MONDE : Les enfants soldats face au défi de la réinsertion

Summary: Traumatisés par l'expérience qu'ils ont vécue, les enfants soldats peinent, une fois démobilisés, à retrouver une vie normale. Sur le terrain, l'ONU et les ONG tentent de les y aider. Un processus complexe, qui peut s’étendre sur plusieurs années.

[Le 12 février 2012] - Ce sont bien souvent les "oubliés" des conflits armés, en Afrique et ailleurs. Ceux dont on ne parle qu'avec parcimonie. D'eux et de leurs stigmates, on ne sait pas grand-chose, si ce n’est ce que les ONG, qui sillonnent avec constance le terrain, nous en rapportent. Pourtant, loin d’incarner un passé révolu, les enfants soldats – ou "enfants associés aux forces armées ou aux groupes armés", selon la dénomination retenue dans les Principes de Paris (février 2007, document PDF) – incarnent encore, en ce début de XXIe siècle, une douloureuse réalité. Certains, comme en Ouganda, en Colombie ou au Népal, se battent en première ligne, les armes à la main ; d’autres, moins visibles, occupent des fonctions auxiliaires –  porteurs, messagers, gardes du corps, cuisiniers ou espions. D’après l'Unicef, ils seraient actuellement près de 250 000 à travers le monde, filles et garçons confondus.

Pour ces enfants, plongés malgré eux dans les affres de la guerre, le retour à la vie civile constitue une autre forme d'épreuve. Tout aussi âpre, tout aussi intense. Outre les violations de leurs droits et de leur intégrité physique (voir la cartographie des Nations unies, PDF) – les filles ont été, dans la majorité des cas, utilisées à des fins sexuelles –, les enfants soldats doivent aussi composer avec des séquelles psychosociologiques parfois durables. Privés de tout accès à l'éducation et à la santé au cours de leur enrôlement forcé, beaucoup peinent à se reconstruireloin du "front". A la fois parce que leur capacité d'autonomie est réduite, mais aussi parce qu'il leur faut recouvrer une identité que le contexte militaire a, sinon brisée, du moins profondément remodelée.

A cela s'ajoute la difficulté de retisser des liens distendus avec une famille ou une communauté laissée derrière soi. "Les conflits armés détruisent plus que des écoles ou des villages. Ils détruisent aussi la confiance qui pouvait exister entre l'enfant et ses proches", souligne Henri Leblanc, responsable des programmes à l'Unicef France. De fait, il arrive fréquemment qu'un enfant soldat, marqué par les atrocités qu'il a commises sur le champ de bataille, hésite à renouer le contact avec les siens. Tout comme il n'est pas rare que son ancienne famille répugne à leréintégrer en son sein. Défiance, incompréhension, voire rejet pur et simple : les obstacles à la réintégration de l'enfant sont multiples. Pour faciliter cette transition, souvent brutale, des initiatives spécifiques ont été mises en place, sous l'impulsion conjointe des Nations unies et des ONG.

L’ÉDUCATION, PILIER FONDAMENTAL

Lancé vers le milieu des années 1990, notamment en Amérique latine, le programme "DDR" (démobilisation, désarmement et réinsertion) s'inscrit dans cette perspective. Il se fixe pour but de permettre aux enfants de rompreprogressivement avec la culture de la violence qui, pendant plus ou moins longtemps, a façonné leur quotidien. Selon les chiffres de l’Unicef, plus de 100 000 d’entre eux en auraient bénéficié avec succès depuis 1998 dans plus de quinze pays touchés par des conflits armés. Si les deux premières phases sont fondamentales – certains enfants soldats, auparavant associés à des forces combattantes, préfèrent conserver leurs armes pour survivre économiquement ou se prémunir d’éventuelles représailles –, la troisième étape, celle de la réinsertion, est peut-être la plus délicate.

En effet, elle inclut la prise en compte de besoins multiples. "Le processus de réintégration comprend deux dimensions, l'une économique, l’autre sociale. Pour que le retour de l’enfant à la vie civile puisse se faire dans les meilleures conditions, il faut que celles-ci soient prises en compte de manière équilibrée et que le succès soit au rendez-vous de part et d'autre", explique Guillaume Landry, expert en protection de l’enfance au sein du Bureau international des droits des enfants, basé à Montréal (lire notre entretien)"La dimension économique implique trois options : le retour à l’école, la formation professionnelle et/ou les activités génératrices de revenus", précise-t-il. Henri Leblanc souscrit à cette analyse :"Soutenir l'enfant face au marché du travail et lui permettre de trouver une activité professionnelle est crucial. D'où la nécessité de mettre en place, notamment pour les plus jeunes, des programmes assez larges de réinsertion à l’école, vecteur essentiel de socialisation."

Apporter aux enfants soldats un socle de compétences utiles pour leur vie future, leur proposer des activités "positives et constructives", tel est donc, en substance, le défi à relever. Et il n’est pas mince. D’autant que les dangers qui les guettent sont nombreux. Sans éducation ni aptitudes particulières, hormis la connaissance intime des armes, ils peuvent être tentés de glisser dans le banditisme ou, si le conflit armé perdure, être recrutés de nouveau. L’absence de ressources familiales peut aussi les amener à accepter le pire : commerce sexuel, travail dans les mines…

FILLES ET GARÇONS INÉGAUX FACE À LA RÉINSERTION 

Au-delà de l’aspect économique, la dimension sociale, qui recouvre l’assistance psychologique et, au besoin, la médiation communautaire, revêt un rôle non moins déterminant. Objectifs : promouvoir la réconciliation et, surtout, éviter la discrimination. "Pour peu qu'on les aide efficacement, y compris sur le plan psychosocial, ces enfants ont une capacité de résilience assez incroyable", insiste Henri Leblanc, qui se refuse à parler de "générations perdues". Sans aide extérieure, à l’inverse, une stigmatisation trop patente est susceptible de lesenfermer dans l’isolement et la dépression. Dans certains cas, extrêmes, elle peut même les conduire à l’automutilation, voire au suicide.

Filles et garçons sont-ils égaux face à la réinsertion ? Rarement, pointe Henri Leblanc. Et de détailler : "Au Sri Lanka, où les filles occupaient des rôles de premier plan dans les groupes armés, il n'y avait guère de différence. A contrario, en Sierra Leone, certains programmes spécifiques ont dû être mis en place pour aider les filles à trouver des familles d'accueil. Avec elles, souvent, la réinsertion 'classique' ne fonctionnait pas". Les préjugés sexistes dont certains pays sont imprégnés, particulièrement en Afrique de l’Ouest et du Centre, ne sont pas étrangers à cette iniquité. "Là-bas, lorsqu’une fille revient après avoir vécu une telle expérience, on présume souvent qu’elle a perdu sa virginité. Sa famille considère alors qu'étant impure, elle ne vaut plus rien et ne pourra jamais être mariée", argumente Guillaume Landry.

Même si son succès dépend in fine du vécu propre à chacun, la réinsertion des enfants soldats requiert du temps. Souvent plusieurs années, s’accordent à dire les experts du dossier, qui récusent tous l'existence d'un "schéma type". Acceptation, pardon, mais aussi oubli : le processus de "guérison" se fait par étapes, plus ou moins longues s'il est entrecoupé de reprises ponctuelles de la violence. Un cheminement qui, à sa façon, représente aussi un parcours du combattant.

pdf: http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/02/12/les-enfants-soldats-fac...

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