Soumis par crinadmin le
Summary: La charia (loi canonique islamique) qui a Ă©tĂ© imposĂ©e de maniĂšre stricte par les rebelles islamistes qui contrĂŽlent une grande partie du nord du Mali pousse des milliers dâĂ©lĂšves Ă quitter les Ă©coles.
 [25 juin 2012] -  Des codes vestimentaires ont Ă©tĂ© mis en place, la mixitĂ© a Ă©tĂ© abolie et les matiĂšres considĂ©rĂ©es comme susceptibles de favoriser lâ« infidĂ©litĂ© » ont Ă©tĂ© rayĂ©es du programme. « Nous vivons dans un autre monde », a dit Attaher Maiga, un habitant de Tombouctou, en signalant que le Coran nâinterdit ni le football, ni le tabac, ni le fait de se raser la barbe.
Des parents scandalisĂ©s inscrivent leurs enfants dans dâautres Ă©coles et certains Ă©tudiants dĂ©cident de ne pas passer leurs examens plutĂŽt que dâĂ©tudier dans ces conditions.
« Nous avons simplement retirĂ© nos deux enfants de lâĂ©cole », a dit Mariam TourĂ©, une femme vivant Ă Tombouctou, lâune des villes du Nord sous le contrĂŽle des islamistes et autres insurgĂ©s. « Nous allons les envoyer Ă Bamako [la capitale du Mali, dans le sud du pays] pour quâils poursuivent leur scolaritĂ© ».
« Jâai dĂ©cidĂ© de ne pas passer mes examens du deuxiĂšme semestre dans ces conditions et mes parents sont dâaccord avec moi. Ils mâont inscrit Ă Sikasso [une ville au sud-est de Bamako], oĂč je poursuis maintenant mes Ă©tudes », a dit Almoustapha CissĂ©.
Selon Boubacar Sissoko, instituteur Ă Tombouctou â ville classĂ©e au patrimoine mondial de lâUNESCO â les islamistes « terrorisent les enfants » avec leurs nouvelles lois. « Ils ont instaurĂ© leur propre programme, avec de nouvelles matiĂšres comme lâenseignement de lâislam et des sĂ©ances de priĂšre collective quâils dirigent eux-mĂȘmes », a-t-il dit. Depuis lâarrivĂ©e des islamistes dans le Nord au mois de mars et les tensions qui ont suivi, son Ă©cole ne compte plus que 107 Ă©lĂšves sur 429.
Le ministĂšre de lâĂducation malien estime quâenviron 5 000 Ă©lĂšves ont changĂ© dâĂ©cole pour sâinscrire Ă Bamako ou dans dâautres villes du sud du pays depuis que les combattants dâAnsar Dine, un groupe islamiste qui veut appliquer la charia dans lâensemble du Mali, ceux du Mouvement pour lâunicitĂ© et le jihad en Afrique de lâOuest (MUJAO), un groupuscule islamiste, et ceux du Mouvement national pour la libĂ©ration de lâAzawad (MNLA), qui veut crĂ©er un Ătat laĂŻc indĂ©pendant dans le Nord, ont pris le contrĂŽle de la rĂ©gion lorsquâun coup dâĂtat militaire a renversĂ© le prĂ©sident Amadou Amani TourĂ© Ă Bamako, le 22 mars dernier.
Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les rĂ©fugiĂ©s (HCR), le conflit, la sĂ©cheresse sĂ©vĂšre, lâinsĂ©curitĂ© alimentaire et, maintenant, lâimposition de la charia ont causĂ© le dĂ©placement de quelque 146 900 personnes au sein mĂȘme du Mali et de plus de 150 000 autres vers la Mauritanie, le Burkina Faso, le Niger et la GuinĂ©e.
Si les Ă©coles ont Ă©tĂ© les plus touchĂ©es par ces lois islamiques draconiennes, tous les habitants sont concernĂ©s. Ils ne peuvent plus regarder la tĂ©lĂ©vision et les hommes nâont plus le droit de se raser la barbe ni de fumer du tabac. Le 20 juin, un couple de Tombouctou a reçu 100 coups de fouet en public pour avoir eu un enfant hors mariage. Les habitants, choquĂ©s et furieux, ont largement dĂ©sapprouvĂ© cette sentence.
« Jâai Ă©tĂ© vraiment choquĂ©e de voir ce pauvre jeune couple subir un tel chĂątiment simplement pour avoir eu un enfant. Jâen ai pleurĂ©. Câest une honte », a dit Mariama, une Ă©coliĂšre.
Les islamistes défendent pourtant leurs lois.
« La charia doit ĂȘtre appliquĂ©e, que les gens le veuillent ou non. Nous veillerons Ă ce quâelle soit respectĂ©e. Nous ne demandons lâavis de personne. Nous ne sommes pas des dĂ©mocrates. Nous sommes des serviteurs dâAllah, qui ordonne la charia », a dit Ă IRIN Sanda Ould Boumama, porte-parole dâAnsar Dine Ă Tombouctou.
Les filles sont contraintes de porter des djellabas ou des robes couvrant tout le corps. « Le 7 mai, Ansar Dine et son alliĂ©, Al Qaida au Maghreb islamique, ont rouvert les Ă©coles de Tombouctou et de Gao, une ville plus Ă lâest, mais les Ă©lĂšves ont entamĂ© un nouveau systĂšme [dâapprentissage] dont ils nâavaient pas connaissance avant lâoccupation de la rĂ©gion », a dit Ă IRIN le directeur de lâenseignement de Tombouctou, Abou Bacri CissĂ©.
« Ils ont non seulement imposĂ© un nouveau systĂšme Ă©ducatif et sĂ©parĂ© les filles et les garçons dans les classes, mais ils ont Ă©galement fait des groupes : les garçons Ă©tudient le matin et les filles lâaprĂšs-midi », a-t-il expliquĂ©.
Dans les Ă©coles de Gao, « les garçons sâassoient devant et les filles derriĂšre, comme Ă la mosquĂ©e », a dit Ă IRIN Beydi KonĂ©, un journaliste.
Amahane TourĂ©, enseignante Ă Gao, a dit quâil ne restait que 21 Ă©lĂšves, dont trois filles, dans ses cours de français de huitiĂšme et neuviĂšme annĂ©e. Avant, elle avait 69 Ă©lĂšves, dont 19 filles.
« On nous fouille tous les jours avant dâentrer en cours par crainte que nous enseignions des matiĂšres prohibĂ©es par leur charia. Ils nous interdisent dâenseigner certaines matiĂšres comme la biologie, la philosophie et lâĂ©ducation civique, sous prĂ©texte quâelles favorisent lâinfidĂ©litĂ© », a-t-elle dit.
« Je comprends la situation des parents qui ont fui avec leurs enfants, mais en tant quâenseignants, il est de notre devoir de faire cours Ă ceux qui restent, mĂȘme si les conditions sont difficiles, notamment en raison de la charia imposĂ©e par Ansar Dine, » a dit Mme TourĂ©.
Dans les semaines qui ont suivi le coup dâĂtat militaire, des rebelles du MNLA et des islamistes armĂ©s jusquâaux dents ont renforcĂ© leur emprise sur le nord du Mali. Peu aprĂšs, le MNLA a dĂ©clarĂ© lâindĂ©pendance de la rĂ©gion, mais cette initiative a Ă©tĂ© rejetĂ©e par ses alliĂ©s islamistes et par la communautĂ© internationale et a entraĂźnĂ© des divisions au sein des groupes armĂ©s.
La CommunautĂ© Ă©conomique des Ătats de lâAfrique de lâOuest (CEDEAO) tente de juguler la crise, qui a aggravĂ© les souffrances de millions de Maliens touchĂ©s par la sĂ©cheresse sĂ©vĂšre qui sâest abattue sur le Sahel. Le bureau des Nations Unies pour la coordination des Affaires humanitaires (OCHA) estime que plus de 3,5 millions de Maliens souffrent de la faim.
Face Ă ces difficultĂ©s, le ministĂšre de lâĂducation malien a dĂ» reporter dâun mois les examens nationaux du primaire et du secondaire prĂ©vus en juin.
« Des sessions spĂ©ciales et des cours de rattrapage ont Ă©tĂ© mis en place pour les Ă©lĂšves dĂ©placĂ©s du Nord », a dit Mahamane Baby, un conseiller du ministĂšre de lâĂducation. « Cela les aidera Ă surmonter le stress et Ă ne pas rester Ă la traĂźne. »