Le chaos règne en Haïti

Le crime, horrible, a bouleversé Haïti. Brillante étudiante de 20 ans, Farah Dessources a été torturée et assassinée par ses ravisseurs. Son corps mutilé a été retrouvé à la mi-novembre. Sa mère, de condition modeste, avait pourtant versé une rançon. Quelques jours plus tard, le 25 novembre, apparaissait le cadavre d'un enfant de 6 ans, Carl Roobenz Francillon. Enlevé à la sortie de l'école, il avait été étranglé bien que ses parents aient également payé ce que réclamaient ses ravisseurs.

Les funérailles de Farah ont pris des allures de manifestation contre la Mission des Nations unies en Haïti (Minustah), qui compte près de 9 000 casques bleus, et contre le gouvernement du président René Préval. "La société haïtienne est "zombifiée". La peur s'installe dans presque toutes les familles de la capitale sauf, bien sûr, celles des kidnappeurs", lit-on dans un appel largement diffusé "pour protester contre l'inaction du gouvernement". Des étrangers, des religieux, un sénateur et même un ancien ministre du premier gouvernement du président Préval, Fred Joseph, ont été victimes d'enlèvements avec demande de rançon.

Les prises d'otages spectaculaires se sont en effet multipliées en décembre. Treize écoliers ont été séquestrés dans un autobus de ramassage scolaire dans la plaine du Cul-de-Sac, au nord de la capitale. Quelques jours plus tard, une soixantaine de passagers de deux autocars ont été enlevés. "Les bandits ciblent de plus en plus les écoliers. Nos élèves sont terrorisés", dit une enseignante de l'institution du Sacré-Coeur de Turgeau, où une fillette de 7 ans a été enlevée le 11 décembre à la mi-journée.

Au pouvoir depuis plus de six mois, le président Préval a d'abord misé sur la négociation avec les gangs qui contrôlent les bidonvilles. "La stratégie du gouvernement a échoué, constate Serge Gilles, leader du Parti social-démocrate, qui appartient à la coalition gouvernementale. Il y a trop de carotte et pas assez de bâton, il est urgent de se ressaisir."

Edmond Mulet, le chef des casques bleus, reconnaît que "le niveau de criminalité est préoccupant". Ce diplomate guatémaltèque a appelé la population à aider la police et la Minustah pour mettre un terme à la vague de kidnappings "qui met en péril les efforts de la communauté internationale et des autorités haïtiennes pour stabiliser le pays".

Dans ce pays où le "télédiol" - version locale du "téléphone arabe" - fait état d'un nombre d'enlèvements supérieur aux statistiques officielles, la perception de la population ne coïncide pas avec les communiqués, longtemps lénifiants, de la Minustah. L'abondante communication de la machine onusienne contraste avec les hésitations des autorités sur l'insécurité, qui s'est convertie en baromètre du succès de la Minustah et du gouvernement.

Beaucoup d'Haïtiens savent que le bas de la capitale est classé "zone rouge" par les casques bleus. Le personnel des Nations unies ne peut s'y rendre qu'en voiture blindée et sous escorte militaire. Pour aller dans le centre de Port-au-Prince, "zone jaune", il faut une autorisation spéciale et un suivi radio.

"On nous tire dessus tous les jours, on nous tend des embuscades. Deux soldats jordaniens ont été tués le mois dernier. Récemment j'ai eu deux Brésiliens et un Sénégalais blessés", ajoute Edmond Mulet, qui a finalement obtenu le feu vert de René Préval pour monter des opérations dans les zones contrôlées par les gangs. "Martissant est devenu un enfer. Il y a des morts presque tous les jours. Onze cas de viols ont été rapportés en moins d'une semaine", témoigne Rose-Anne Auguste. Responsable d'Aprosifa, un centre de soins communautaire, elle vit à proximité de cette banlieue misérable, au sud de la capitale.

La violence a diminué dans l'immense bidonville de Cité Soleil, au Nord, où la police a timidement repris ses patrouilles depuis deux mois avec l'appui des blindés de la Minustah. Mais la guerre des gangs fait rage à Martissant. L'assassinat, le 3 décembre, du policier Jean-André Noël, impliqué dans plusieurs kidnappings, a relancé les affrontements entre le gang du quartier de Grande Ravine et Lame Ti Manchèt - "l'armée des petites machettes" -, une bande d'un quartier voisin. Une dizaine de personnes ont été tuées en trois jours.

"Dans la nuit du 7 au 8 juillet, une quarantaine de personnes, dont des femmes et des enfants, ont été massacrées et plusieurs maisons brûlées lors d'une opération de représailles. Les autorités, pourtant alertées de la montée de la tension, n'ont rien fait contre ces bandits qui ont pris en otage plus de 50 000 habitants", dénonce Mme Auguste.

Dans un bilan intitulé "La terreur s'installe à Port-au-Prince", le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) a recensé 721 personnes assassinées, dont 28 policiers et 4 casques bleus, entre janvier et novembre 2006. "La politique du gouvernement consistant à négocier avec les bandits représente une forme d'encouragement pour les violeurs, les kidnappeurs et les assassins, qui jouissent de l'impunité et sont traités comme de véritables partenaires politiques", accuse le RNDDH.

Souvent constitués par des partisans de l'ancien président Jean-Bertrand Aristide, qui leur fournissait armes et argent, les gangs répondent de moins en moins à des motivations politiques. "Ce sont des criminels de droit commun, des bandits qui ne s'embarrassent plus de justifications idéologiques. Parmi les kidnappeurs, on trouve aussi des policiers corrompus et des criminels expulsés des Etats-Unis après avoir purgé leur peine", affirme le chef de la Minustah. "Il y a de puissants intérêts liés aux mafias internationales de la drogue et du trafic d'armes qui ne veulent pas que la situation se normalise en Haïti", ajoute le responsable politique Micha Gaillard.

Selon la police haïtienne, ce sont des émigrés haïtiens récemment expulsés des Etats-Unis qui ont assassiné la jeune Farah et enlevé l'ancien ministre des finances, Fred Joseph. "Les Américains disent vouloir la tranquillité, ils donnent de l'argent, mais, sous la table, ils envoient une centaine de criminels par mois, qui arrivent à l'aéroport et se perdent dans la nature sans qu'aucun dossier soit remis à l'Etat haïtien", proteste Edmond Mulet.

pdf: http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-849472,0.html

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